Cornelius Castoriadis était un philosophe, économiste et psychanalyste franco-grec. Il a été l’auteur de L’Institution Imaginaire de la Société et le co-fondateur (avec Claude Lefort) du groupe Socialisme ou Barbarie.
Ses écrits sur l’autonomie et les institutions sociales ont été influentes tant auprès des cercles militants que des milieux universitaires. Ce qui a distingué Socialisme et Barbarie d’autres groupes révolutionnaires était que le socialisme ne signifiait pas le pouvoir à un « parti dirigeant » mais la gestion par les travailleurs de la production et de la société.
En développant son concept de « capitalisme bureaucratique », Castoriadis affirmait que la lutte principale était devenue celle des « exécutants » ou « preneurs d’ordres » contre les « directeurs » ou « donneurs d’ordres ». Selon lui, la résistance à cette évolution s’exprimait dorénavant par le développement au travail de groupes informels qui encouragent une tendance à l’action autonome qui pourrait servir de base à la transformation de la société. Avec le développement de la bureaucratie managériale dans les entreprises d’État ou privées, avec les syndicats intégrés du haut vers le bas qui ont remplacé le capital privé en tant que figure distinctive du capitalisme, ceux qui réalisent les tâches de la production sont encouragés à participer et à montrer du dynamisme. Cependant, dans le même temps, le management estime qu’il doit combattre les prises de décision de la part des exécutants. À partir de l’expérience de la révolution hongroise, Castoriadis a développé sa pensée sur la façon dont une société autogérée doit fonctionner. Encore aujourd’hui, Le Contenu du socialisme reste un ouvrage de référence pour les socialistes libertaires.
En 1967, Socialisme ou Barbarie est dissout, mais ses idées phares ont continué à gagner du terrain permettant aux étudiants de faire de Mai 68 la plus grande grève générale que la France n’ait jamais connue. Les appels à l’autogestion dans les universités et les entreprises font écho à son manifeste de 1949, « Socialisme ou barbarie » et nous rappellent le dernier texte de Socialisme ou Barbarie, « Le Pouvoir de l’imaginaire ».
Texte original : http://www.workerscontrol.net/theorists/cornelius-castoriadis
Traduction : Benoît Borrits
Pour en savoir plus :
Archives en français des Marxists Internet Archives
https://www.marxists.org/francais/general/castoriadis/index.htm
Le site Cornelius Castoriadis / Agora International
http://www.agorainternational.org/fr/index.html
Autogestion et hiérarchie – Cornélius Castoriadis – 1979
https://autogestion.asso.fr/?p=1995
Bonjour tout le monde,
J’ai lu avec beaucoup d’intérêt et depuis longtemps Castoriadis – et je pense que la formule « socialisme ou barbarie » est forte dans l’actualité. Il est évidemment essentiel de faire connaître ses apports.
Mais je réagis à la présentation qui en est faite. Pas du tout dans un esprit « polémique », mais pour qu’ensemble, nous oeuvrions à des débats pluralistes, ou soulignant ce qui est « ouvert » dans diverses approches.
1°) L’idée que le socialisme/communisme implique « l’association directe des producteurs » est partagée et depuis longtemps, bien au-delà de ceux et celles qui peuvent adhérer aux théorisations de Castoriadis : l’assimilation du socialisme au règne du parti communiste unique était sans aucun doute forte parmi les PC officiels ; mais elle n’était pas partagée (au-delà des anars) par l’ensemble des courants anti-staliniens marxistes (éventuellement appelés « trotskistes », dans toutes leurs variantes) – et non pas seulement par la partie qui taxait les pays se revendiquant du socialisme de « capitalisme bureaucratique » ou d’Etat.
2°) NB pour moi (mais cela peut se débattre à partie d’analyses concrètes sur les trente dernières décennies) avec le recul, et contre la conceptualisation de Castoriadis, je pense qu’assimiler tout rapport de domination (bureaucratique, notamment) à du « capitalisme » est une pensée plus restrictive qu’ouverte pour un projet émancipateur et autogestionnaire : cela ne permet pas mieux, mais moins bien :
– d’être ouvert de façon (auto-)critique sur le bureaucratisme qui pèse au coeur du « mouvement ouvrier », syndical et politique, y compris des partis se revendiquant … de l’anti-stalinisme bureaucratique, qui sont souvent tout autant « dirigistes » et hostiles à la pluralité des tendances que de « vrais » staliniens »…
– d’obliger à faire l’analyse concrète des situations concrètes et des difficultés nécessairement rencontrées par tout processus révolutionnaire et de transformation sociale socialiste et autogestionnaire (quel rôle de la monnaie, des associations/institutions, quelle forme de démocratie, etc..;) ; cela force à aller derrière les slogans, catégories économiques, institutions et discours idéologiques pour voir la réalité des rapports humains et des droits sociaux derrière le rôle réel de la monnaie, des marchés, des diverses formes de propriété : la Yougoslavie titiste était-elle un « capitalisme bureaucratique » ?
– de préciser ce qui est propre au capitalisme (dans ses capacités innovantes et récupératrices, et derrière diverses phases et contextes)- et d’être ouvert à l’analyse critique des rapports de dominations qui le transcendent mais prennent des contenus spécifiques selon le système dominant et ses classes (questions nationales/raciales, féministes, bureaucratiques, etc…)
– d’analyser (ou lieu d’occulter et noyer dans des variantes de « capitalisme »…) de façon comparative la (vraie) restauration capitaliste des années 1990 sans édulcorer le basculement radical dans le rôle de la monnaie, des marchés, de l’Etat – modifiant aussi substantiellement le statut des travailleurs et les rapports de force mondiaux.
3°) Les aspirations autogestionnaires et anti-bureaucratiques des années 1968 n’ont pas été « permises » par les critiques de Castoriadis : elles étaient massivement partagées et présentes dans les années 1960 dans le « Printemps de Prague », les conflits en Yougoslavie, les conseils ouvriers et luttes autogestionnaires en Pologne ou Hongrie… et cherchaient à rapprocher les « promesses » et idéaux socialiste de la réalité – sans avoir besoin de se réclamer des concepts de « capitalisme bureaucratique » ; et en France, comme ailleurs dans le monde, ce qui émergeait, ce sont ces aspirations contre les rapports d’oppression et de domination quels que soient les « concepts » pour désigner les pays du « socialisme réel » mais en critique de leurs rapports de domination concrets autant que des rapports de dominations colonialistes et capitalistes…
Et la pensée de Castoriadis a porté aussi sur d’autres sujets que l’émancipation, sur lesquels des débats et désaccords pouvaient également se greffer : sa vision du capitalisme réel et des rapports internationaux du temps de l’URSS (et la supposée menace du monde « occidental » par ‘l’expansion militaire soviétique, dans le contexte de l’intervention soviétique en Afghanistan…
Donc, comme pour tout auteur intéressant et intelligent, marxiste ou pas, il y a matière à mettre au pot commun, ses apports – mais aussi à mettre en évidence des erreurs ou points controversés.
Bien à vous
Catherine Samary