Pendant près de 20 ans, l’Institut for Worker’s Control (IWC) a défendu, au Royaume Uni, le drapeau du contrôle ouvrier et de l’autogestion dans les syndicats et les partis de gauche, notamment au sein du parti travailliste. Ses membres ont influencé de nombreuses luttes ouvrières dans ce sens. Un héritage à ne pas oublier.
L’IWC a été fondé en 1968 lors de la 6e conférence sur le controle ouvrier qui s’est tenu l’université de Nottingham à l’initiative de Michael Barratt Brown, Ken Coates et Tony Topham. Dans les années précédentes, de nombreuses autres conférences, sous le label Workers’ Control, avaient eu lieu, toujours avec la participation de syndicalistes, de membres de la gauche du parti travailliste et d’universitaires. En 1965, deux conférences auront lieu dont l’une avait pour thème « l’ouverture des livres de comptes » qui sera pendant plusieurs années un thème de campagne de l’IWC. La même année, le groupe de travail de Sheffield produit un plan détaillé pour le contrôle ouvrier dans la sidérurgie et les docks.
Un outil de réflexion et d’action
L’IWC se définissait comme « un instrument de recherche et d’éducation pour coordonner les discussions et l’information entre les groupes pour le contrôle ouvrier et les syndicats, fournir des conférenciers et produire des publications sur la démocratie et le contrôle ouvrier. » En 1969, Michael Barratt Brown et Ken Coates reviennent sur les conditions de création de l’IWC dans la brochure The « Big Flame » and What is the IWC?, (La « Grande Flamme » était le nom d’un fameux documentaire de 1969 réalisé par Ken Loach sur l’occupation des docks à Liverpool). Ils constatent qu’en 1968 « la revendication tant des étudiants que des travailleurs d’un contrôle sur les vies est à l’évidence un phénomène international ». Et citent, à l’appui de cette affirmation, outre les développements des luttes en Grande-Bretagne, le Mai 68 français et « la magnifique résistance des étudiants et travailleurs tchécoslovaques » ainsi que d’autres mouvements internationaux. Ils mentionnent également la contribution des expériences algérienne et yougoslave « où des expériences d’autogestion ont eu lieu. » Ils rappellent également « que le président de l’IWC est un docker londonien et ce n’est pas pour rien que la première émission de la BBC sur l’IWC était consacrée à la grève des dockers [de Liverpool] qui avaient géré eux-mêmes les docks [pendant le conflit] jusqu’à l’arrivée de l’armée et de la police pour briser le mouvement. » Enfin, ils précisent que « l’Institut ne cherche pas à prendre la place ou à usurper le rôle des syndicats ou des partis du mouvement ouvrier dans l’élaboration de leur stratégie, mais plutôt à leur proposer un forum ouvert et utile sur une question cruciale. »
Fin 1973, l’IWC avait déjà publié 38 brochures et en publiera 93 au cours de son existence. La première date de 1968 et est signée Hugh Scanlon (dirigeant du syndicat Amalgamated Union of Engineering Workers et qui avait rompu avec le parti communiste en 1954), The Way Forward for Workers’ Control, (Le chemin vers le controle ouvrier). Relevons également parmi les titres publiés The New Society: Planning and Workers’ Control (La nouvelle société : planification et contrôle ouvrier) signé John Eaton de 1972 ou bien encore, en 1973, par Walter Kendall, State Ownership, Workers’ Control and Socialism, (Propriété d’État, contrôle ouvrier et socialisme).
Deux brochures sont consacrées au contrôle ouvrier dans l’industrie automobile, deux également dans la sidérurgie et une dans le secteur minier et les docks et même une sur « le contrôle des fermiers » dans le domaine agricole. En 1973, Michael Barratt Brown and Stuart Holland publiera Public Ownership and Democracy (Propriété publique et démocratie). Seront également proposés en 1969, une contribution d’Ernest Mandel, A Socialist Strategy for Western Europe (Une stratégie socialiste pour l’Europe de l’Ouest) et d’Antonio Gramsci, Soviets in Italy, (Des soviets en Italie).
Gestion ouvrière en actes
L’IWC n’était pas à l’écart des luttes ouvrières et inspira nombre d’entre elles. En 1972, lorsque l’entreprise de chaussures Sexton, Son and Everard annonce sa mise en faillite, les 700 salariés décident l’occupation de l’entreprise et la prise de contrôle des machines et des stocks. Mais avant que ces décisions soient mises en œuvre, un plan de reprise est trouvé. Il ne garantit que 500 emplois et exclut 45 travailleuses de l’unité de production de Fakenham. Celles-ci refusent ce plan qui conduit à leurs licenciements et les apaisantes consignes de l’organisation syndicale qui, de fait, les abandonnent parce qu’elles sont des femmes. Les groupes féministes ne s’y trompent pas et soutiennent ardemment la lutte des ouvrières de Fakenham qui décident d’occuper l’entreprise et la déclarent « sous contrôle ouvrier ». Elles reprennent la production grâce aux stocks et aux machines gardés sous leur controle. Les chaussures produites portent désormais l’étiquette « Fakenham Occupation Workers ». Après 18 semaines d’occupation et de production, elles obtiennent un soutien financier d’une fondation et fondent leur coopérative Fakenham Enterprises qui fonctionnera plusieurs années.
En 1974, l’IWC accueillit avec espoir l’arrivée des travaillistes au pouvoir, en particulier son engagement en faveur de la « démocratie industrielle ». La présence de Tony Benn, soutien de l’IWC, au gouvernement comme secrétaire d’État à l’industrie constituait un point d’appui. Ce dernier apporta, malgré l’opposition d’autres membres du gouvernement, un soutien financier de l’État à trois coopératives de production nées d’un refus de fermeture d’entreprise.
Cependant, les espoirs furent de courtes durées, car la commission qui devait explorer la question de la démocratie industrielle n’alla pas plus loin que d’évoquer le modèle de la co-gestion allemande (qu’une des brochures de l’IWC dénonçait) et le dossier fut clos. Malheureusement, au cours de la décennie 1975-1985, les reculs accumulés par le mouvement social, notamment syndical, et le tournant droitier de plus en plus prononcé du Labour réduisent l’espace politique pour les idées autogestionnaires et l’IWC disparaît au début des années1980. Il laisse derrière lui une riche somme d’écrits et d’expériences.
Certaines brochures du l’IWC sont disponibles en fichier pdf sur le site de Socialist Renewal