La répétition d’un mot dans une phrase est traditionnellement à proscrire dans toute rédaction. Dans un titre, cela procède d’une volonté délibérée et revendiquée, ce que fait ici Jean-Philippe Milesy avec la répétition de l’adjectif « social ». Il ne s’agit pas ici de réaliser une simple Histoire de l’économie sociale comme si celle-ci pouvait être neutre, mais de rappeler combien ce qui s’appelle aujourd’hui Économie sociale ou plus souvent maintenant ESS (Économie sociale et solidaire) procède du mouvement social, n’en déplaise à ceux qui souhaitent la banaliser ou la tiers-sectoriser à côté d’une « économie de marché » ou d’un secteur public étatisé. Notre auteur, avec d’autres, revendiquent « l’ESS comme partie d’une alternative réelle au capitalisme financier, voulant participer à renverser la table. C’est à cette dernière acceptation que nous nous référons ici. »
Dans son acceptation première, l’ESS est formée par l’ensemble des coopératives, mutuelles, associations et fondations, c’est-à-dire des structures juridiques que l’on définit comme des « sociétés de personnes » fonctionnant sur la base d’une voix par personne, physique ou morale, dérogeant donc au régime des sociétés de capitaux dans lesquelles les règles de la délibération sont basées sur le montant investi par chacun. Il faut dire que l’objectif initial des structures de l’ESS n’est pas de faire plus d’argent avec de l’argent mais de réaliser un « objet social ». Oui, mais tout est dans la définition de l’objet social de la structure. C’est ainsi que des supermarchés ont créé ensemble des centrales d’achat sous la forme de coopératives de commerçants : même sous forme coopérative, l’objet social est de fournir de meilleures conditions d’achat pour ses membres quitte à pressuriser les fournisseurs pour faciliter le profit des supermarchés. Que pensez de l’Association française des entreprises privées (AFEP) qui rassemble « plus de 100 des plus grands groupes privés exerçant leur activité en France » afin de défendre leurs positions face aux pouvoirs publics ? Que penser de certaines coopératives agricoles qui sont devenus de véritables multinationales fort éloignées des intérêts initiaux de leurs membres ? Tout cela fait partie du périmètre de l’ESS, sans parler de la dernière loi de 2014 qui l’élargit aux sociétés de capitaux « à gouvernance démocratique » qui distribueraient moins de 50 % de leurs résultats. Nul doute que ce n’est pas de cette ESS là que Jean-Philippe Milesy veut nous parler, ce rassemblement hétéroclite qui affiche crânement ses 12 % de l’emploi en France et ses 10 % du PIB…
D’où l’intérêt de ce livre de revenir sur l’histoire de cette économie sociale, dont les acteurs principaux étaient prétris de revendications démocratiques et de transformation sociale. C’est ainsi qu’il revisite la révolution française et le contexte d’apparition de la Loi Le Chapelier si néfaste pour cette économie sociale en devenir, l’apparition des premières sociétés de secours mutuel, les associations ouvrières de production, ancêtres de nos Scop, les coopératives de consommation, les premières banques coopératives, les associations d’éducation populaire. Cette évocation ne se fera pas indépendamment des deux grands courants de pensée progressistes du XIXe siècle : le socialisme et l’anarchisme. Nous verrons ainsi comment la Commune a réquisitionné et remis en route des entreprises sur des bases démocratiques, le pourquoi du grand divorce entre mouvement social et économie sociale, et le renouveau de cette dernière à l’issue de la seconde guerre mondiale.
Il ne s’agit pas ici de se contenter de rappeler l’histoire mais aussi de mettre en lumière les enjeux d’aujourd’hui. Comment expliquer que l’UDES (Union des employeurs de l’ESS) soit aujourd’hui à la remorque du Medef dans son approbation de la loi Travail et sa condamnation du mouvement social ? On remarquera que l’auteur mentionne comme facteur de renouveau de cette ESS les reprises d’entreprises par les salariés, le développement des Coopératives d’activités et d’emploi (Cae), les Sociétés coopératives d’intérêt collectif (Scic), c’est-à-dire des formes dans lesquelles les salariés sont en pouvoir de décider et se sont passés des actionnaires. Ne serait-ce pas une voie possible de définition d’une nouvelle économie qui serait sociale et solidaire ?
Pour un prix modique, cette histoire sociale de l’ESS est un outil de réflexion indispensable pour questionner les fondements de l’Economie sociale et solidaire. Nul doute que cet ouvrage participera de ce débat politique incontournable.
Jean-Philippe Milesy
Petit précis d’histoire sociale de l’Économie sociale
Note de la Fondation Gabriel Péri
Février 2017
ISBN 2-37526-011-1
prix 5 euros – 76 pages