L’histoire, les faits
En 2000, Philips employait 4 000 personnes sur les trois sites télévision de l’Eure-et-Loir et 1 200 sur le site éclairage. Il ne reste plus aujourd’hui que 217 emplois à Dreux et 500 sur le site éclairage de Chartres. Le 22 octobre 2009, la direction annonce au Comité Central d’Entreprise la fermeture du site EGP de Dreux fabriquant des téléviseurs. Cette annonce n’est guère surprenante pour les salariés dans la mesure où elle fait suite à un précédent plan de licenciement de 278 personnes en mars 2008. Ce premier plan de licenciement a déclenché une grève de presque trois mois. À cette occasion, la direction de Philips avait fait preuve d’une dureté dans le conflit, n’hésitant pas à assigner en justice les délégués syndicaux et faire appel aux forces de l’ordre. De même, alors que les salariés gagneront aux prudhommes le paiement des jours de grève, la direction obtiendra de ne pas s’exécuter au travers d’un jugement de référé condamnant les travailleurs à payer 9 000 € de dommages et intérêts ! Avec des mises à pied, certains ne recevront donc aucun traitement pendant huit mois ! Au final, en 2008, le plan social sera entériné notamment approuvé par les syndicats CGC et FO et à l’exception notable de la CGT.
Suite à l’annonce de la fermeture programmée du site de Dreux, le Comité d’entreprise mandatera dès novembre 2009 le cabinet Syncea pour étudier ce plan. Ce cabinet relèvera l’illégalité de celui-ci dans la mesure où le périmètre utilisé pour justifier la fermeture est la seule usine de Dreux (qualifiée de « Business Unit » par la direction) et non de la division « Consumer Life Style » de Philips qui est largement profitable (pour le troisième trimestre 2009, cette division a un profit opérationnel de 126 Millions d’euros pour un capital net de 1 041 millions d’euros, soit une rentabilité opérationnelle de 12,1%), illégalité confirmée depuis par la Direction départementale du travail. Le 14 novembre 2008, les travailleurs de Philips organisent une « journée de solidarité avec les travailleurs en lutte » à Champhol (commune d’Eure-et-Loir proche de Chartres) qui réunira plus de 1000 personnes et permettra la jonction avec les autres luttes de défense de l’emploi (Continental, Molex, Freescale…). Depuis, les travailleurs n’ont de cesse de réclamer l’abandon pur et simple de ce plan de fermeture, alors que la direction souhaite le faire entériner le 28 janvier.
Depuis, et afin de justifier que l’usine perd de l’argent, la direction fait baisser la production, celle-ci n’étant plus que de 10 téléviseurs par jour en décembre. Le mardi 5 janvier, les travailleurs décident en assemblée générale, par 147 voix pour et 5 contre, de réapprovisionner l’usine en intrants de production et de relancer la fabrication des téléviseurs. Il est, à cet égard, utile de mentionner qu’afin de prévenir tout conflit social, la direction pratique une politique de flux tendu. Les intrants de production comme les téléviseurs fabriqués ne sont pas stockés sur le site mais sur des plateformes logistiques (DHL par exemple) qui, en cas de conflit social, ne peuvent nullement être bloquées par les travailleurs. Dans une telle hypothèse, les stocks d’intrants sont acheminés vers un autre lieu de production pour que l’activité de la division du groupe ne soit pas interrompue. Dans le cas présent, les travailleurs décident donc d’approvisionner l’usine en composants à partir de plateformes situées à Dreux : l’assemblée générale a lieu à 9 heures ; à 17h30, grâce aux salariés chargés de gérer ces approvisionnements, l’usine disposait de composants pour un mois de production ! La production est immédiatement relancée et stockée dans l’usine loin des plateformes de ré-expédition.
Dans les jours qui suivront, la direction reprendra le dessus en exigeant des caristes qu’ils déplacent les téléviseurs produits vers les lieux d’enlèvement, exigence appuyée par des injonctions d’huissiers et la présence d’une milice composée d’européens de l’est ne parlant évidemment pas le français et ne pouvant donc communiquer avec les travailleurs : tout un programme ! Devant les risques de licenciement des caristes, les travailleurs, réunis en assemblée générale le 15 janvier, décident d’abandonner cette forme d’action tout en poursuivant le combat contre la fermeture du site.
Leur droit et le nôtre
Comme l’indiquait un travailleur de Dreux : « au nom de quoi, m’imposerait-on de travailler à cinquante kilomètres de chez moi dans un métier qui ne garantirait pas le même niveau de vie qu’antérieurement ? ». D’une façon plus générale, nous vivons tous à un endroit donné, un endroit que nous avons choisi pour de multiples raisons, certaines étant la proximité avec nos proches, notre conjoint-e, nos enfants. Pourquoi n’aurions-nous pas le droit et donc les moyens financiers de promouvoir sur place une nouvelle production et donc, de maintenir celles qui existent ? Quel est le principe démocratique qui justifie que ce sont toujours les détenteurs de capitaux qui décident où vont les emplois et donc, quelle région sera transformée en désert économique ?
Depuis maintenant quelques années, la direction du groupe Philips a décidé, à partir de son siège d’Amsterdam, que divers équipements dont les téléviseurs ne seraient plus produit en France mais ailleurs (Hongrie, par exemple…). La motivation d’une telle décision est simple : produire là où c’est le plus rentable. Pour se mettre en œuvre, cette orientation générale s’est incarnée dans une succession de plans sociaux d’entreprise débouchant immanquablement sur des fermetures pures et simples de sites.
Par son assemblée générale du mardi 5 janvier, les travailleurs de Philips-EGP-Dreux ont inversé la logique. Alors que la direction, pour pouvoir justifier cette fermeture par la non rentabilité du site, diminuait volontairement la production, les travailleurs ont décidé, de façon très responsable, de relancer la production de téléviseurs, production qui correspond à un marché réel et existant. En procédant ainsi, ils ont, dans la pratique, démontré qui sont les véritables casseurs : ceux qui nient le droit au travail et à la dignité à une population toute entière. Face à cette détermination, la direction de Philips a décidé de reprendre les choses en main et de récupérer les téléviseurs produits. Pour ce faire, elle a dépêché ses huissiers pour constater divers manquements à la subordination juridique, c’est-à-dire ce droit du capital de donner des ordres, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner disciplinairement les manquements, et ce, même si ces ordres, comme celui de ne pas produire, sont contraires à toute logique économique élémentaire.
Par leur action, les Philips de Dreux posent une question politique de première importance : en cette période de crise, va-t-on laisser poursuivre cette longue litanie de plan sociaux où la seule perspective est la négociation d’indemnités de départ permettant, au mieux, de vivre décemment quelques mois avant de pointer à Pôle emploi ou va-t-on au contraire stopper cette volonté du capital de transformer notre pays en désert industriel, recréer de l’emploi dans les zones qui en ont cruellement besoin… mais cela suppose l’auto-organisation des travailleurs et de la population accompagnée de moyens de financement adéquats. Les Philips de Dreux ont ouvert la voie.