D’une question aussi générale, la réponse attendue porte sur le métier que l’on exerce, un peu comme si notre présence dans la société se limitait à notre occupation professionnelle et non à ce qui nous fait vibrer et qui peut se transcrire dans nos engagements associatifs, nos structurations familiales ou encore notre cercle d’ami.e.s. En effet, l’activité professionnelle est souvent l’expression d’un travail contraint réalisé par la nécessité de disposer d’espèces monétaires pour acheter de quoi se nourrir, se loger, se vêtir et si nous en avons en excès, pour se distraire grâce à des loisirs et des vacances.
Pourtant, on reste généralement fier du métier que l’on exerce. L’inutilité sociale est quelque chose d’exaspérant et on n’accepte mal d’avoir à se résigner à faire un travail que l’on juge inutile pour simplement « gagner sa vie » : c’est une souffrance difficilement soutenable. Mais dans le même temps, l’intérêt que l’on éprouve pour son travail, le sentiment d’utilité sociale, le savoir-faire des travailleur.se.s est quelque chose qui est invisible, un peu comme si le simple fait d’être payé pour son travail valait solde de tout compte.
C’est dans ce contexte que Patrice Bride et Pierre Madiot, fondateurs de la Scic Dire Le Travail ont décidé de donner la parole à 27 personnes qui vont s’exprimer chacun.e en quelques pages de comment ils vivent leur travail, de ce qu’ils en retirent, de la fierté de leur savoir-faire ainsi que de leur utilité. Certain.e.s sont indépendants, d’autres salarié.e.s du secteur privé comme du public.
On remarquera au travers de ces récits le lien qui est entretenu avec les choses – machines, terrains, outils – qui est assez semblable à tous les travailleur.se.s, qu’ils ou elles en soient ou non propriétaires. Il s’agit souvent d’une relation duale dans laquelle on se définit comme les deux pôles d’une même entité : « Lorsqu’on devient paludier, on sait que le marais ne nous appartient pas : c’est nous qui appartenons au marais » (Aude Bellon, paludière) ou « Respecter l’équilibre des bêtes, l’équilibre de la terre, c’est respecter notre équilibre à tous aussi. » (Guillaume Elléouët, éleveur). Les salarié.e.s qui ne possèdent pas le bien qu’ils exploitent ont néanmoins besoin d’affirmer un sentiment de propriété, une propriété d’usage : « Au boulot, je fais comme si la plantation était à moi en fin de compte » (Véronica Charier, jardinière) ou « Dans un Boeing 777, je suis chez moi. » (Jean-Baptiste Denizot, pilote).
Le travail d’écriture de récits oraux a ainsi permis de donner une visibilité à des personnes qui en général ne s’expriment pas sur leur travail. Quel en est l’intérêt ? Les auteurs nous en donnent la clé : « Ils manifestent […] l’implication de chacun au service d’autrui. […] Ils ne font jamais ce exactement ce qui est demandé ou prévu. […] Ils font même toujours plus que ce qui est prévu ou demandé, et nos auteurs tiennent à faire savoir leur besoin de trouver du sens à ce qu’ils font, de le faire au mieux. » Ces récits sont un formidable appel d’air qui nous montre que loin d’un travail abstrait et prescrit, il existe de facto l’aspiration de nouvelles relations au travail, des relations entre pairs qui se reconnaissent et agissent ensemble pour le bien commun. Une autogestion du travail ?
Patrice Bride et Pierre Madiot
Vous faites quoi dans la vie ? Récits
Les Editions de l’Atelier, 2017
ISBN 978-2-7082-4538-9
173 pages – 16 euros