Cette entreprise fabrique des isolateurs électriques pour des courants à très haute tension (3500-4000 volts). Elle a été reprise en SCOP par ses salariés en avril 2004 et présente, outre des performances économiques enviables, de réelles avancées en termes d’autogestion et d’appropriation par les travailleurs de leur outil de travail.
La reprise de l’entreprise en SCOP
Créée en 1921, cette entreprise a appartenu à différents groupes industriels (Merlin-Gérin, Alsthom Atlantique, Keramik Holding AG Laufen) avant d’être détenue par le groupe autrichien CERAM (1993) qui sera lui même racheté par PPC Insulators en 2001, entreprise américaine détenue par des fonds d’investissement (de type « private equity »). Cette entreprise dispose alors d’un ensemble européen de sites de production (Autriche, Allemagne, Suède…et St Vallier en France). Dès cette époque, l’unité de production française fait figure au sein du groupe de « vilain petit canard », les syndicalistes CGT de l’entreprise ayant notamment réussi à imposer un Comité d’Entreprise européen. Lors de la reprise de l’entreprise par un fonds d’investissement, l’objectif de ce dernier était d’obtenir de chaque unité de production un rendement supérieur à 10%, objectif qu’il n’atteindra jamais à St Vallier du fait de la combativité des travailleurs locaux. Dès lors, les dirigeants décideront de fermer St Vallier et mettront artificiellement cette unité en perte par une sur-facturation de la part du groupe. Deux ans après la prise de contrôle du fonds d’investissement, les évènements se précipiteront : dépôt de bilan en septembre 2003, puis liquidation en janvier 2004.
Il est donc flagrant pour les travailleurs que la faillite de l’entreprise est purement politique. Dès lors germe naturellement l’idée qu’il est possible de reprendre l’entreprise : les travailleurs restent mobilisés et, en dépit de la liquidation prononcée, maintiennent la production pour livrer les clients restants. Un contact est rapidement pris avec l’Union régionale SCOP de Rhône-Alpes qui estime que l’entreprise peut être viable avec un fonds de roulement de 900 000 €. Le mouvement coopératif (SOCODEN, SPOT et Crédit Coopératif) apporte 800 000 € (sous forme de prêts et de titres participatifs) et demande aux travailleurs de réunir les 100 000 € restants. Ne pouvant apporter que 51 000 €, les travailleurs décident de mobiliser la population locale. 802 donateurs apporteront sous forme de dons à une association créée pour l’occasion, les 49 000 € restants, laquelle association souscrira des parts sociales et participera au Conseil d’administration de la coopérative.
Dans le même ordre d’idée, Ceralep étant la dernière unité de production d’isolateurs électriques en France, les clients (EDF, SNCF, Trench…) interviendront tant auprès du Conseil Général que du gouvernement pour le maintien de l’activité sur St Vallier. Un ami d’enfance du délégué CGT, Robert Nicaise, ayant fait carrière à des postes de direction dans le privé, s’intéressera à ce projet et épaulera les travailleurs de Ceralep dans la gestion de l’entreprise (cet individu préside aujourd’hui l’association de soutien et participe à ce titre au Conseil d’administration). Au final, suite à d’intenses mobilisations, le préfet donnera son feu vert à la reprise de l’entreprise sans obligation pour la société nouvelle de rembourser près d’un million d’euros auprès de l’AGS (Association pour la Gestion du régime de garantie des créances des Salariés). En avril 2004, c’est-à-dire trois mois après la liquidation de l’entreprise, CERALEP Société Nouvelle reprend officiellement l’activité de l’entreprise sous la forme d’une SCOP avec l’intégralité des 51 travailleurs encore présents dans l’entreprise. Dès juillet 2005, tous les anciens clients sont revenus à CERALEP.
La première leçon à tirer de cette expérience porte sur l’appropriation intuitive et naturelle de l’autogestion aussi bien par les travailleurs que par l’environnement extérieur. Pour les travailleurs, la reprise en SCOP était la façon concrète et pratique de maintenir l’emploi. Comme l’indiquait Robert Nicaise, à l’époque syndicaliste CGT, cette reprise n’a été possible que parce que les travailleurs n’ont jamais baissé les bras face à la liquidation et sont restés mobilisés durant tout ce processus. Pour le voisinage, la perspective de la reprise de l’entreprise par ses travailleurs était vue comme une initiative sympathique auquel il fallait naturellement apporter son soutien aussi bien financier que pratique (manifestations, aide à la gestion apportée par de nombreux partenaires). Pour certains décideurs d’entreprises clientes, pourtant à mille lieux d’une pratique autogestionnaire, la perspective de devoir se fournir auprès de nouveaux partenaires alors que Ceralep donnait pleinement satisfaction, au seul bénéfice des critères de rentabilité financière des propriétaires, n’avait absolument aucun sens et justifiait la poursuite des relations commerciales avec la nouvelle SCOP.
De la SCOP vers l’autogestion
Depuis cette date, la société ne réalisera que des exercices bénéficiaires. Les niveaux de salaires à la date du dépôt de bilan seront intégralement maintenus immédiatement après la reprise de l’entreprise. Depuis Ceralep a créé dix nouveaux postes de travail et augmenté les salaires de 13,1% sur cette période. Il est à noter que, comme dans toute SCOP, en sus des salaires, les bénéfices restent dans les mains des travailleurs qui les maintiennent en réserves impartageables pour la moitié environ et se les distribuent pour l’autre moitié. Grâce à la constitution de ces réserves impartageables sur 5 ans, l’entreprise est aujourd’hui en mesure de rembourser les différents prêts obtenus exclusivement auprès du mouvement coopératif.
Au delà de cet aspect financier, les pratiques dans l’entreprise ont bien changé. Dès les débuts de la coopérative, on a pu noter une hausse de la productivité de 25%, cette hausse étant principalement obtenue par une baisse du niveau de déchets, donc de la qualité apportée à la production. Dans le même ordre d’idée, l’ambiance au travail a radicalement évolué, comme en témoigne la décision des travailleurs de s’autoriser de la musique pendant les heures de travail, ce qui était, bien évidemment, strictement interdit par l’ancienne direction. Le combat pour la parité est loin d’être négligé car si les femmes ne sont que quatre dans l’entreprise, deux d’entre elles siègent au Conseil d’administration. Les salariés qui travaillent à la production sont maintenant polyvalents grâce à une formation interne. Les savoirs en jeu dans l’entreprise sont ainsi partagés et un effort est fait en ce qui concerne les comptes pour que ceux-ci ne restent pas opaques.
L’entreprise refuse que, comme cela se passe dans certaines SCOP, il existe deux catégories de travailleurs : les associés et les non associés (qui resteraient donc des salariés au sens classique du terme). Dès leur entrée dans l’entreprise, les individus sont invités à souscrire des parts sociales, soit immédiatement si ils-elles le peuvent, soit par prélèvement de 4% de leur salaire brut jusqu’à atteindre un montant de parts sociales égal à un salaire trimestriel à la date d’entrée dans l’entreprise. Dans le même ordre d’idée, la fourchette des salaires est restée très raisonnable entre 2 000 € et 3 300 € (pour le dirigeant). Ces deux éléments (tous associés et fourchette de rémunération réduite) garantissent donc une égalité de droits très forte à même de favoriser l’épanouissement de l’autogestion.
Cette expérience dans la perspective de la transformation sociale
Que l’on soit clair : cette expérience ne peut être reproduite telle quelle dans n’importe quelle entreprise et n’importe quel contexte. Outre la mobilisation permanente des travailleurs et de la population, des éléments-clés objectifs expliquent le succès de cette reprise d’entreprise : un savoir-faire éprouvé et unique à l’échelon d’un pays et la présence d’une clientèle qui souhaitait le maintien de cette entreprise.
Cependant, rien n’interdit d’envisager un programme politique de transformation sociale qui favoriserait ce type de reprise sur les principaux secteurs clés de l’économie ce qui permettrait à toutes les entreprises, à l’image de CERALEP, de bénéficier d’entreprises clientes favorables à une telle évolution. En effet, cette expérience nous prouve, s’il en était encore besoin, que les travailleurs sont, non seulement capables de s’approprier la gestion de leur propre entreprise, mais surtout de faire mieux (augmentation de la qualité de la production) grâce à une autre atmosphère de travail.
De même, le refus du secteur bancaire traditionnel de financer CERALEP à ses débuts (seul le mouvement coopératif a soutenu) nous montre l’importance de disposer d’un secteur public bancaire conséquent (et probablement exclusif) capable d’apporter les financements nécessaires à la poursuite de l’activité économique. A cet égard, le haut niveau de financement externe (800 000 € sur les 900 000 €, soit près de 90%) nous laisse envisager la viabilité de fonctionnement d’une économie avec des entreprises à fonds propres réduits (et pourquoi pas inexistants) qui libérerait les individus à l’égard du pouvoir de l’argent.
De ce point de vue, ce combat des travailleurs de CERALEP, bien que géographiquement et numériquement limité, est potentiellement riche d’enseignements en vue d’une politique de transformation sociale.
HISTORIQUE
1921 : Naissance à St-Vallier (Drôme) d’un atelier artisanal de porcelaine spéciale
1925 : Après faillite, rachat des bâtiments par MERLIN GERIN pour y créer la société ELECTRO-PORCELAINE, fabriquant d’isolateurs électriques
1966 : à l’intérieur de MERLIN GERIN (9000 salariés),CERALEP représentait 500 salariés.
1972 : Constitution de la société CERALEP pour la mise en commun de l’activité de fabrication et de vente d’isolateurs haute tension des usines d’Andancette, de Bazet (Haute -Pyrénées) et de St- Vallier, respectivement filiales de CERAVER et de MERLIN GERIN.
1980 : Entrée de la société ALSTHOM ATLANTIQUE dans le capital de CERALEP (40 %) aux côtés de MERLIN GERIN (40 %) et CERAVER (20%).
1987 : ALSTHOM acquiert les 20% détenus par CERAVERT et devient donc actionnaire majoritaire. La société KERAMIK HOLDING AG LAUFEN, important groupe Suisse spécialisé dans la céramique, acquiert 60 % du capital .GEC- ALSTHOM et MERLIN GERIN ne représentent plus que 10% chacun.
1990 : La société malgré sa spécialisation en isolateurs de très haute tension passe de 500 à 150 salariés.
1993 : Rachat de CERALEP par CERAM (groupe autrichien), CERAM constitue un groupement Européen (Allemagne, Autriche, Suède, Slovaquie et France) afin de faire face au Japonais NGK, leader mondial.
2001 : Le groupe CERAM/ CERALEP est racheté par PPC INSULATORS, détenu par des fonds de pension américains. Les résultats de CERALEP à « un chiffre » ne satisfont pas, (malgré ou à cause…de la présence forte de la France dans les comités européens), l’intention est de fermer l’unité de France, l’étouffement est progressif, les commandes moins importantes… Dans le même temps, le Comité d’entreprise européen est mis en place.
Septembre 2003 : La société CERALEP dépose le bilan et elle est mise en redressement judiciaire, malgré 130 clients français, 30 mondiaux.
Octobre 2003 : 60 personnes sont licenciées.
Janvier 2004 : la liquidation judiciaire de CERALEP est prononcée.
Avril 2004 : La reprise de CERALEP par la SCOP CERALEP SN est autorisée par le Tribunal de Commerce de Romans.
CERALEP AUJOURD’HUI
Caractéristiques de la SCOP : 61 salariés, tous actionnaires (au moment de la reprise, les participations individuelles variaient de 300 à 3000 euros). Chaque SalariéE est embauchéE sur la base d’un engagement en parts sociales égale à 3 mois de salaire brut. Si le travailleur ne peut débourser, cet engagement se réalisera par prélèvement de 4% du salaire à concurrence de la somme dite. Cet engagement en capital lui sera restitué à son départ de l’entreprise. 50% des bénéfices restent en fonds propres (réserves impartageables) et 50% sont redistribués (30% en dividendes et 20% en participation). En 6 ans, entre 2500 à 4000 euros ont ainsi été distribués à chaque salarié, ce qui représente 13,1 % d’augmentation. C’est en AG annuelle que se décide la somme repartagée entre les salariés.
Un nouvel investissement de 900 000 euros est prévu pour les locaux avec entrée de la Caisse d’épargne dans le financement (jusqu’à présent, seul le mouvement SCOP et Crédit coopératif avaient participé, les autres banques ayant refusé tout financement).
Situation de l’entreprise : Spécialisée dans les isolateurs de haute et très haute tension, Superficie couverte de 22 000 m2 sur 35 000 m2 12 000 tonnes de production, pourrait monter à 17 000 tonnes sans investissement en matériel, mais en embauchant et en augmentant les horaires de travail. Lors de la liquidation, il y a avait eu une évaluation des outils de production à garder, ce qui avait évité la vente par les anciens patrons du matériel de production (coup classique lors des liquidations) indispensables a la reprise pendant l’arrêt de fonctionnement. Visiblement ces machines ont continué à tourner a minima pendant les 4 mois de fermeture. Un nouvel investissement de 900 000 euros est prévu pour les locaux avec entrée de la Caisse d’épargne dans le financement (jusqu’à présent, seul le mouvement SCOP et Crédit coopératif avaient participé, les autres banques ayant refusé tout financement).
Du côté des travailleurs : Les contrats de travail ont été conservés et relèvent de la Convention collective de la métallurgie. Les salaires vont de 2000 euros à 3300 euros bruts de l’ouvrier de base au PDG. Bien que le salaire du PDG soit décidé en CA, celui-ci n’a pas augmenté plus que celui des autres travailleurs. Pas de qualification nécessaire pour entrer à l’usine sauf sur les postes administratifs et commerciaux. La polyvalence est demandée et encouragée sur trois postes de production. En effet dans une SCOP une des idées est de permettre aux salariés de se remplacer mais aussi d’acquérir des compétences diversifiées et d’évoluer en mutualisant les formations. Cela permet également de mieux saisir la trajectoire d’une pièce et le sens d’un geste si technique soit-il. Plusieurs salariéEs ont une reconnaissance COTOREP (travailleurs handicapés). Projet de formation et d’évolution de ces personnes au sein de l’entreprise. Le temps de travail est de 35 heures sur 2 huit mais chacunE semble avoir une marge de manœuvre dans la répartition de ses heures à condition que cela ne gêne pas le fonctionnement, chacunE « travaille en conscience »(expression que l’on retrouve fréquemment dans les expériences de reprises et notamment dans le témoignage des ouvrières de l’hôtel Bauen en Argentine). Retraite à 60ans. Il y a des responsables d’ateliers avec formation interne. Des entretiens personnalisés annuels avec chaque salariéE, les rendez vous tripartite (responsable d’atelier, DG et salarié) se mettent en place et peuvent conduire à des augmentions de salaires personnalisées.
FONCTIONNEMENT ET PRISES DE DÉCISIONS
Une AG est convoquée tous les ans, elle est souveraine.
Les salariés de CERALEP sont tous actionnaires mais n’ont pas le même nombre de parts (la part est de 20 euros), cependant lors des votes le principe coopératif fonctionne selon le principe : Une personne, une voix quel que soit le nombre de parts. Le CA se réunit tous les deux mois, il est composé de 14 membres :
9 salarié-e-s (dont 2 femmes),
1 représentant de l’association des amis de CERALEP, 1 représentant
3 représentants du personnel CGT, CFDT et CGC,
1 représentant de l’URSCOP (sans droit de vote).
Lors de la reprise, Robert Nicaise, ancien délégué CGT, a été élu Président Directeur Général de la SCOP. Il a suivi une formation continue pendant un an auprès de l’URSCOP Rhône Alpes. Il prend sa retraite en janvier 2010 mais restera Président (il n’a pas très envie de quitter l’aventure et souhaite une transition progressive). Un nouveau Directeur Général a pris ses fonctions. Ancien de CERALEP, il avait été choisi, re-embauché et formé avec cette perspective de reprise du poste depuis deux ans.
A un rythme régulier, le Directeur rencontre les Délégués du Personnel afin de les consulter sur les décisions à prendre. La nouveauté semble être la transparence et la cohérence des informations fournies en CA par le directeur et dans toute l’entreprise.