Maguy Guillien, est décédée dans la nuit du 17 au 18 avril à l’âge de 90 ans. Ses obsèques ont lieu au Père-Lachaise mercredi 23 avril.
Habitant, et militant à Montreuil depuis un quart de siècle, Maguy était jeune entrée dans la résistance dans son Sud-Est où elle allait militer de longues années, en s’engageant résolument dans le soutien à l’indépendance algérienne et dans le même élan au tout nouveau PSU. Agricultrice (mais elle a aussi été un moment libraire), elle était également à la fondation des « Paysans travailleurs », ancêtre de la Confédération paysanne. Responsable du secteur agricole du PSU, elle est fortement impliquée dans la lutte du Larzac. Sa ferme de Mouans-Sartoux, entre Cannes et Grasse, est une exploitation agricole mais aussi un lieu de réunion, d’accueil, de refuge. Internationaliste, autogestionnaire, syndicaliste paysanne, et bien évidemment féministe, ce qui n’allait pas forcément de soi dans les milieux agricoles de l’époque.
Positionnée dans les courants et tendances se revendiquant du marxisme révolutionnaire dans le PSU, c’est tout « naturellement » pourrait-on dire qu’au moment où l’AMR (Alliance marxiste révolutionnaire) rentre dans ce parti en 1974, elle se retrouve en symbiose avec ces partisans révolutionnaires de l’autogestion. C’est avec eux qu’elle participe à la fondation de la « tendance B » pour le congrès de Strasbourg (décembre 1976), tendance qui, quittant le PSU et fusionnant avec des groupes issus de la LCR, fonde les Comités communistes pour l’autogestion en mai 1977. Membre dès le début de son bureau exécutif, c’est en 1982 qu’elle rejoint, avec une trentaine d’autres militants des CCA, la LCR. Elle en dit beaucoup dans Quelle vie, écrit avec le soutien d’Arlette Auduc et Bernard Ravenel (Syllepse, 2004), ce que le site Place de Montreuil, rappelle en republiant l’interview réalisé pour l’occasion en 2004.
Qu’on me permette ici d’évoquer quelques souvenirs personnels ayant partagé avec Marguerite Guillien (pour l’état civil, mais pour nous tout simplement Maguy, qui signait ses articles et contributions sous le joli pseudonyme de Lafleur) et quelques autres le militantisme quotidien dans ce qu’on ne pourrait appeler qu’avec humour et distance « l’appareil » des CCA durant ses deux premières années. Quand a lieu les 7 et 8 mai la rencontre entre la tendance B du PSU d’une part, des « groupes de travail » (notamment le groupe dit « Carrefour ») de la LCR d’autre part, avec quelques militants issus de l’OCT (Révolution), la confusion la plus grande règne. A Tolbiac, puis le lendemain à l’université de Vincennes, parmi les 600 participants – et plus largement parmi ceux qu’ils représentent – si en commun l’autogestion est une valeur centrale largement partagée, il n’en va pas de même sur les perspectives. Les uns veulent en finir avec la « forme parti » et proclamer un vaste mouvement autogestionnaire, d’autres estiment nécessaire la constitution d’une nouvelle organisation, et d’autres nuances encore existent. A La fin de la rencontre, quelques décisions font l’objet d’un relevé dans la « Résolution de l’assemblée générale des communistes pour l’autogestion » : le nom de « comités communistes pour l’autogestion » provisoirement, l’élection d’un « collectif national des communistes pour l’autogestion », collectif devant éditer des textes et préparer un « congrès constituant » à l’automne.
Durant plusieurs mois, trois personnes vont devoir (re)constituer les réseaux, mettre en contact les militants qui ont laissé leurs coordonnées les uns avec les autres. Ce sont Maguy Guillien, Maurice Najman, Gilles Casanova qui assurent de fait le rôle de « permanents » au cours de l’été. Quand en octobre 1977 je quitte les éditions Savelli pour m’occuper de la diffusion de la presse des CCA j’hérite à la suite d’une défection (à titre soi-disant provisoire, provisoire qui s’est éternisé), de l’organisation de la trésorerie nationale, nous sommes cinq permanents – rémunérés (si on veut) ou non par l’organisation. Il y a Maurice Najman et Jean Nicolas (pour la rédaction du journal), et bien sûr Maguy Guillien à « vivre » dans ce local loué en bail précaire de 23 mois au 4 rue Gandon dans le 13ème arrondissement. C’est Maguy Guillien qui est la gérante de la SARL de presse SO.MI.JI. (société Mise à jour), société éditrice du journal Commune, de la revue Mise à jour, dont Maguy était directrice de publication. C’est au fond du local, dans le petit « pavillon », dans la pièce qui sert à stocker les brochures, documents et journaux, qu’un coin frais permet de conserver… des jambons, des bouteilles. En effet, Maguy veille à l’entretien de notre petite équipe, nous ravitaille régulièrement. De ses tournées et déplacements, des coopératives agricoles, elle nous ramène des jambons, de la charcuterie, du cognac que nous vendons ensuite aux militants, aux sympathisants, le bénéfice – il y en aura finalement peu – allant à l’organisation, et une partie du jambon à nos repas sur place. Elle continuera a amener des victuailles et à confectionner des pique-nique sui generis dans les locaux ultérieurs au 101 rue Marcadet. C’est elle qui invite encore Monique Piton, de Lip, à discuter et déjeuner avec nous, Monique écrivant la brochure CCA sur le « salaire ménager ». Maguy était souvent bavarde, pleine d’anecdotes à raconter. Derrière ces « petites histoires » à partager il y a aussi de la grande histoire. La « crise du militantisme » de la fin de ces années 1970? Ce n’est pas nouveau, elle-même l’a connue personnellement, quand il est devenu évident que la Libération ne tiendrait pas ses promesses sociales, politiques, révolutionnaires. Elle évoquait alors des virées à Saint-Germain de Près, son mariage avec un homme de la « haute bourgeoisie belge » (prononcer avec un h très aspiré) puis le renouveau de son engagement dès les débuts de la guerre d’Algérie, son combat pour avoir ses enfants avec elle.. (paraît –il, elle « élevait ses enfants comme des moujiks » selon ses adversaires, et derrière « moujik » il fallait entendre « bolchévik ») … Cette générosité, elle l’avait pour toutes et tous, militants, non militants, personnes à la rue. Ainsi, un matin nous apprenons que Maguy a été arrêtée près du local, en prenant le métro ; dans cette période tendue (affaire Klaus Croissant, manifestations antifascistes dans lesquelles les CCA avaient joué un certain rôle) cela annonçait-il une perquisition au local ? Principe de prudence, il fallait avertir les camarades brésiliens exilés du groupe Campanha qui occupaient une pièce du local, de ne pas venir, ainsi que les autres étrangers. Finalement, vers midi Maguy arrive comme une fleur (une marguerite), ignorant le petit moment de panique et d’incertitude, et nous raconte… qu’elle avait été raflée avec (et comme) les clochards de la station de métro Maison Blanche avec qui elle discutait en attendant la rame, passé la nuit au poste avec eux et libérée dans la matinée avec les excuses du commissaire qui n’avait évidemment pas cru avant vérification à ses titres de résistance. Quand le lendemain soir nous prenons le métro ensemble, la horde de clochards était de retour sur le quai d’en face, saluant comme il se doit et dans les clameurs « la petite dame ». Générosité, et courage. Porteuse de valises, apportant aide aux réfugiés, aux exilés de tous pays, sans s’en vanter et donc chacun n’en connaît que le peu qu’il devait savoir mais on se doute de l’étendue des risques pris. Quand les CCA organisèrent une réunion privée, sur invitations, avec Mohammed Harbi, dans une salle discrète vu les menaces qui pesaient sur lui, Maguy s’est immédiatement proposée pour se placer entre la fenêtre et Mohammed Harbi pour assurer sa protection, et prendre le cas échéant un projectile… « C’est à moi de le faire, vous êtes jeunes, moi j’ai déjà vécu » disait-elle malgré son âge (55 ans) et sa toujours jeunesse d’esprit. Candidate aux législatives de 1978 dans la région de Saintes, puis en 1981, elle intervient à la télévision pour représenter nos listes (voir photo) et défendre l’autogestion.
Salut Maguy, quand on repassera à « Larzac université » – où se tint un stage des CCA en 1978 – envahis par les mouches et entourés par les militaires – on repensera toujours à toi.
Document : Texte issu de la Commission agricole des 7 et 8 mai 1977. Publié dans Mise à jour, n° 1, 1977.
C’était ma grand-tante. =(