Solange n’existe pas, elle n’a jamais existé, c’est un personnage de fiction comme on en trouve souvent dans les BD. Est-ce un archétype ? Je ne le pense pas. C’est une ouvrière, comme il y en avait tant, des centaines qui, comme elle, travaillaient au montage des montres dans la manufacture LIP. Elle est mariée à Patrick, ouvrier lui aussi, mais plutôt réac ; elle a un fils, Yvon. Non syndiquée, elle participe peu à peu à la lutte, se rend aux réunions du comité d’action. Patrick mène sa petite vie, refusant de voir que celle de Solange change… comme si elle s’accélérait. Et petit à petit, ce sont toutes les phases bien connues de l’histoire des LIP que nous nous remémorons par le regard de Solange : l’organisation de la lutte dès avril 1973, la réduction des cadences, la diffusion de l’information, les premières manifestations, la séquestration des administrateurs du 12 juin, la découverte du plan de démantèlement de la multinationale suisse Ébauches-SA et la première intervention des CRS, la planque des montres qui constituent le « trésor de guerre » des LIP, la solidarité et la première grande manifestation du 15 juin, l’occupation de l’usine, la reprise de la production en autogestion et son fameux slogan , « on fabrique, on vend, on se paie », la première paie, les vacances militantes, l’invasion de l’usine par les CRS, le déménagement des ateliers pour continuer le montage des montres, « l’usine est là où sont les travailleurs ! », la jonction avec les paysans du Larzac, les ventes sauvages de montres, la manifestation massive du 29 septembre sous la pluie (peut-être 100 000 participant-e-s), le plan Giraud, refusé à plus de 78% et le contre-plan syndical, les négociations de Dole et, enfin, la solution et le retour progressif à l’usine des travailleurs de LIP à partir de mars 1974 après 329 jours de lutte.
Cette BD en noir et blanc est de la belle ouvrage, aussi bien sur la forme que sur le fond : c’est l’histoire d’une lutte exemplaire, certes, mais aussi l’histoire d’une émancipation que symbolise le trajet personnel de Solange : pour elle, il y a eu un avant et un après, comme pour beaucoup de femmes et d’hommes qui ont mené des luttes : culture et action politique et syndicale et émancipation personnelle sont en relation.
Il me faut aussi parler des deux textes, préface et postface, qui encadrent la BD. Ces deux textes ont peu de points communs, même si tous les deux, de manière différente, font le lien entre un vécu passé et une réalité actuelle.
J’ai été surpris par le choix des auteurs de confier la préface de leur ouvrage à Jean-Luc Mélenchon qui, pas une fois, n’utilise le mot « autogestion ». Ne faut-il pas y voir là une réminiscence de son passé lambertiste ? L’autogestion n’était pas la tasse de thé des organisations où militait J.-L. Mélenchon, l’UGEB-UNEF et l’AJS-OCI, qui étaient très critiques sur la lutte des LIP : un camarade me rappelait récemment un texte de l’AJS-OCI où il était question des ouvriers de LIP manipulés par les curés et l’église ! Certes, J.-L. Mélenchon était étudiant à Besançon au moment de l’affaire LIP, mais cela ne le rend pas pour autant légitime pour parler de leur lutte. En outre, son texte est souvent grandiloquent, risible parfois quand il rejette le culte de la personnalité, prétendant avoir enseigné, pendant la campagne électorale de 2012, « le goût de crier des slogans plutôt que le nom du candidat ». J.-L. Mélenchon n’était décidément pas le bon choix pour préfacer cet ouvrage, mais c’est la seule fausse note.
Inversement, la postface de C. Neuschwander (P.D.G. de LIP de janvier 1974 à février 1976) est tout à fait remarquable et complète utilement l’ouvrage : il rappelle que, en 1976, « LIP a été assassiné » (selon la formule de Jean Charbonnel, gaulliste de gauche, ancien ministre du développement industriel et scientifique de 1972 à 1974) « parce qu’il convenait de démolir LIP, devenue le symbole d’une lutte ouvrière victorieuse ». Il fait aussi un parallèle pertinent avec Florange où, la aussi, la rapacité des actionnaires et leur volonté de maximiser leurs profits à court terme ont cassé un outil industriel de qualité et provoqué le licenciement d’un millier de travailleurs qualifiés. Je terminerai par les derniers mots de la postface de Claude Neuschwander, écrits en majuscules et en gras : « EH BIEN, J’AIMERAIS QUE VOUS QUI AVEZ LU CETTE BANDE DESSINEE, VOUS REFLECHISSIEZ COMMENT, DE VOTRE PLACE, AVEC VOS MOYENS, VOS COMPETENCES, VOUS POUVEZ ENTRER DANS CETTE LUTTE, DEVENIR DES MILITANTS POUR CHANGER LA SOCIETE QUI, SINON, VA FINIR PAR NOUS EXPLOSER A LA FIGURE ET A LA FIGURE DE NOS ENFANTS. N’AYEZ PAS PEUR, ALLEZ-Y ! »
Laurent Galandon, scénariste et Damien Vidal, dessinateur, Éditions Dargaud, 2014, 176 p
Jacques Fontaine, militant des Alternatifs-Ensemble ! Étudiant à Besançon au moment de la lutte des LIP.
Bonjour,
Je n’ai pas retrouvé l’énergie et l’enthousiasme du film sur les Lips dans cette BD (que j’ai juste feuilletée, alors que j’envisageais évidemment de l’acheter). D’autant plus déçue que cette histoire me semble TRES importante à transmettre, en cette période d’individualisme forcené !
Dessin pas mauvais à mon goût, mais pages un peu sages, peu bouillonnantes, trop à l’image d’un devoir accompli, mais pas d’un ouvrage passionné, et donc pas passionnant.
Bien dommage, pour un sujet si fort ! Marie Pierre