Approsociale3La septième audition tenue dans le cadre du séminaire « Appropriation sociale, autogestion et coopératives »  a eu lieu le jeudi 11 mars 2014. Le thème de la table ronde était: « L’économie sociale et solidaire. Quels apports des sciences ? Quels rapports à la technique? Qu’attendrait l’ESS comme «production» de nouvelles connaissances ? Que pourrait faire l’ESS pour contribuer à promouvoir «une autre science» que celle formatée par l’économie de la connaissance de Bruxelles ? »

Rapports entre techniques et appropriation sociale

Yves-Claude Lequin, Professeur d’histoire des techniques à l’Université de Technologies de Belfort-Montbéliard, rappelle que l’étude des techniques est une science à part entière, la Technologie. Il analyse deux cas concrets d’appropriation sociale de techniques qui peuvent servir d’exemple pour une participation élargie des citoyens à l’élaboration des choix techniques effectués par la société.

Le premier exemple est celui de l’invention de la collection « Que sais-je ? » par les Presses Universitaires de France (PUF) en 1941. Dans un contexte historique où les PUF étaient menacées de disparition, une réflexion portant à la fois sur les usages des nouveaux publics ainsi que sur les contraintes techniques dues aux pénuries de papier pendant la guerre a été menée par Paul Engoulvent. En rupture avec les collections encyclopédiques qui nécessitaient parfois des dizaines d’années d’écriture et de travail éditorial, il propose des ouvrages courts écrits par un seul auteur, en petit format, peu chers et pratique. Ce format est massivement adopté par le nouveau lectorat, il permet la survie des PUF, et une diffusion large des savoirs les plus pointus.

Un second exemple est celui d’un seau filtrant conçu au Cameroun, dans une région ou l’eau consommée par les habitants est souvent polluée. Un travail scientifique interdisciplinaire (géologues, infirmiers, médecins, sociologues,…), avec une collaboration active de la population et des élus a permis d’expliquer les multiples causes aboutissant à la pollution de l’eau (pollution du lac, proximité entre les latrines et les puits, usage domestique de l’eau tirée des puits, …). Grâce à ce travail collectif, un seau filtrant a été conçu, sous licence ouverte et peut être reproduit dans les zones où la population rencontre des problèmes similaires.

L’intervenant insiste sur le fait que l’originalité repose dans l’ensemble de la démarche collective, depuis l’analyse jusqu’à la production d’un objet technique. Il rappelle qu’au Brésil, il existe une discipline nommée « technologie sociale », un Institut de Technologie Sociale, dédiés à ce type de processus. Par analogie, il préconise que les citoyens soient associés aux choix techniques élaborés par les grandes entreprises, qui sont aujourd’hui particulièrement opaques, alors qu’elles bénéficient de subventions publiques colossales.

Agro-écologie et appropriation sociale

Eric Schoonejans propose une triple définition de l’agro-écologie, comme courant de recherche, comme mouvement social visant à produire des aliments autrement, et comme un ensemble de pratiques agricoles.

Il explique que suite à la seconde guerre mondiale, la révolution verte a mis en place une agriculture nouvelle, industrielle, productive, et reposant massivement sur les énergies fossiles. Ses effets secondaires néfastes sont aujourd’hui connus: dépendance au pétrole, appauvrissement des sols (sterilisation microbiologique) et problèmes sanitaires pour les agriculteurs (exposition à produits phytosanitaires).

D’autres types d’agricultures existent, et sont présents aujourd’hui dans des zones où la mise en place d’une exploitation intensive n’est pas possible (montagnes, zones humides). Il existe une volonté politique de sortir du modèle productiviste pour passer à un modèle respectant les écosystèmes, afin de tirer parti des services qu’ils rendent (cf. loi d’orientation pour l’avenir agricole) et des recherches soutenues par les institutions.

Mais cette transition n’est pas conçue pour bénéficier aux citoyens, mais pour servir la compétitivité économique du pays. Le problème de l’appropriation sociale de l’agro-écologie peut se séparer en trois axes:  accès aux terres; accès à la production alimentaire; accès aux savoirs et savoir-faire. Ces problèmes d’accès trouvent d’ailleurs des réponses très différentes selon qu’on se trouve à la ville ou à la campagne, où des formes d’appropriation sociale ont déjà cours, mais dans le cadre familial ou de petites communautés.

Concernant la propriété de la terre, l’intervenant rappelle que le contexte est celui d’une concentration de la propriété, suite à la révolution verte. L’agriculture productiviste nécessite en effet une grande concentration de capital et d’investissement, pour payer la mécanisation et les intrants.

Eric Schoonejans cite plusieurs exemples de réappropriation des terres: les jardins ouvriers depuis la fin du XIX siècle, associé au paternalisme de la révolution industrielle. De nombreusses associations oeuvrent aujourd’hui à une socialisation des terres (e.g. Terre de Liens). De plus, des expériences ont lieu pour permettre le développement d’une agriculture urbaine (par exemple toîts végétalisés).

Il explore ensuite les problèmes liés à la propriété des récoltes et à la propriété des savoirs agricoles qui ont beaucoup évolué depuis la révolution verte. Des techniques pointues sont maintenant employées (par exemple géolocalisation des tracteurs) et ne sont pas accessibles à tous, ce qui pose un problème.

Enfin, concernant le rapport entre l’ESS et l’appropriation sociale, il attire l’attention de l’auditoire sur une contradiction: de très nombreuses coopératives agricoles, bien que formellement rattachées au modèle coopératif, ont joué dans les faits un rôle opposé à l’approriation sociale de l’agriculture (par exemple Limagrain, 4eme semencier mondial grâce à sa holding Vilmorin).

Enfin Jacques Michelet se demande si l’économie capitalistique peut être concurrencée par un autre type d’économie ? Il évoque notamment le contexte de la révolution informationnelle qui résulte de la coordination des automates et des ordinateurs, et énumère les conditions que devrait remplir l’économie sociale pour remplacer l’économie capitaliste actuelle.

WEBOGRAPHIE

  • Janine Guespin-Michel, Annick Jacq (dir.), « La science pour qui » ?, Editions du Croquant, coll. « Enjeux et débats Espaces Marx », 2013, 125 p., ISBN : 978-2-36512-035-7.
  • la page de cette séance sur le site espace marx http://www.espaces-marx.net/spip.php?article962
  • le séminaire appropriation sociale http://www.espaces-marx.net/spip.php?rubrique180
  • la vidéo https://www.dailymotion.com/video/x1ju535_video-appr-soc-11-03-14-interventions_webcam