Le passage d’une entreprise en Scop est à chaque fois un cas d’espèce qui dépend de nombreux facteurs comme le pays où a lieu ce passage, le moment du passage, la mobilisation dans l’entreprise et hors de l’entreprise, la force de l’organisation syndicale, les lois sociales et les législations commerciales et même aussi le fait que le statut de Scop n’existe pas dans la législation de certains pays. Par ailleurs, les salariés sont parfois peu formés pour construire un dossier de création d’entreprise avec un « business plan » et d’autres pièces légales. Par ailleurs, l’idée de se retrouver « sans patron » peut provoquer, si ce n’est une panique, au moins une inquiétude. Vendre sa force de travail est une pratique classique alors que prendre le risque financier sans garantie en est une autre.
Il faut aussi, la plupart du temps, pouvoir mobiliser un capital non négligeable, ce qui est rarement à la disposition des salariés d’une entreprise. Il n’existe pas toujours des fonds institutionnels et les banques sont peu disponibles pour amener leurs ressources dans la corbeille de mariés. Certains pays sont dotés de législation du travail avec des services publics de l’emploi et surtout des indemnités de chômage qui permettent de constituer le capital de démarrage mais d’autres pays n’ont rien dans ce domaine. On dit souvent qu’il n’y a pas de modèle mais il y a quand même des obstacles à franchir.
Chaque cas est particulier mais il y a des « invariants » qui sont autant d’obstacles à franchir
Quand une entreprise ferme il y a des causes qui sont variées : le marché qui a changé, l’incompétence du patron, une crise économique, parfois la recherche de plus grand profit en « réalisant un potentiel immobilier » qui devrait permettre de « faire un bon coup ». Le passage d’un savoir-faire à un autre que constitue une coopérative n’est pas une chose simple et nécessite une formation qui est aussi une cause d’angoisse pour des salariés qui n’ont pas toujours vécu leur période scolaire avec bonheur.
Un exemple : le monde de l’imprimerie et du livre qui a connu plusieurs grandes mutations depuis 40 ans. Le passage des presses typos aux presses offset a été un changement radical de technologie et donc de savoir-faire, certes faisable, mais qui a souvent été perçu comme un échec probable et humiliant. De même, le passage de la composition au plomb et le montage des pages à la main à la photocomposition avec l’usage de techniques numérisées, c’est-à-dire l’informatique avec visualisation sur écran, était aussi une grande source de difficultés dans les années 1970 et, aujourd’hui, les techniques sont encore loin d’être stables. Cette mutation a été en grande partie réalisée mais elle a été l’occasion de nombreuses luttes en France, en Europe et d’une façon générale partout dans le monde. Ce n’est pas un hasard si c’est un secteur où de nombreuses coopératives se sont créées.
On pourrait aussi citer ce qui s’est passé dans bien d’autres secteurs comme l’horlogerie, la chimie, la métallurgie, la construction automobile, l’agriculture voire l’informatique qui est particulièrement mouvante. J’en passe et des meilleures.
Une autre cause est la spéculation financière et les manipulations économiques qui ont frappé de nombreuses fois. L’exemple le plus connu est l’Argentine où la catastrophe a été considérable mais où les travailleurs ont trouvé les ressources pour maintenir leur emploi par la création des coopératives. Le film « The Take » de Naomi Klein relate nombre de ces exemples.
Les problèmes tels qu’ils se posent
Le premier des invariants est donc la faillite avec ses causes variables et la nécessité de maintenir son emploi. Vient ensuite la nécessité d’une formation, ce qui suppose de régler la double question : qui paye le prof et qui paye l’élève ? Il faut une réelle force syndicale ou une forte mobilisation pour assurer cette étape.
Créer une coopérative revient à créer une entreprise, ce qui amène à se coltiner les problèmes législatifs, trouver un local et des machines, des matières premières qui permettront de réaliser une marchandise. Pour faire tout cela il faut des financements qui ne tombent pas facilement.
Il faut aussi prendre en compte la réalité du marché et développer un service commercial et un service logistique. Dans certains cas, il faudra aussi organiser et soutenir un service après-vente. Toute erreur dans ce domaine se paye comptant pour une SCOP.
Créer un SCOP place chaque salarié au même rang de pouvoir selon le principe « un salarié une voix » ce qui est plus facile à dire qu’à faire car souvent il existe de « vielles dettes » qui traînent et qui doivent être surmontées. La règle démocratique s’impose donc rapidement et comme l’entreprise existe dans un monde où les salaires sont variés, il faut donc trouver sur cette question des réponses viables, notamment sur le long terme. Mais entre les assemblées générales où le principe égalitaire existe, il y a le quotidien qui impose des décisions et une direction élue. Enfin il y a la nécessité de faire circuler l’information ce qui est relativement facile à dix ou vingt mais devient rapidement plus complexe quand le nombre des salariés est plus important.
Ça vaut la peine de prendre le risque
Sans diffusion de l’information il n’y a aucune possibilité de faire évoluer le statut des uns ou des autres dans l’entreprise. C’est souvent par ce biais que se développe une bureaucratie qui amène à croire que les rôles des uns ou des autres est immuable.
Je n’ai fait que rappeler les réalités sans entrer dans les détails et souvent « le diable se cache dans les détails ». En plus, quand une SCOP est crée il faut qu’elle vive, c’est-à-dire qu’elle puisse résoudre les problèmes qui se posent. En bref une coopérative c’est beaucoup de travail mais se passer d’un patron est un vrai plaisir qui vaut la peine de prendre le risque.