L’avant-projet de loi El Khomri prévoit de nouveaux cas et de domaines dévolus à la pratique référendaire dans le code du travail. Nous ne nous attarderons pas sur les détails d’un texte en cours de reformulation sous la pression des rapports de forces, attachons-nous au fond. Le « bon sens » commun voudrait que les partisans de l’autogestion applaudissent à cette extension du domaine de l’expression des salariés. Le vote direct des salariés n’est-il pas une façon d’exercer une citoyenneté dans l’entreprise? N’est-ce pas ce que nous faisons quand l’on donne la parole à tous les salariés unis dans l’action dans des assemblées générales qui se prononcent sur la conduite de la lutte ? N’est-ce pas le principe de coordinations de délégués élus dans les assemblées de grévistes en articulation avec l’action syndicale ? En réalité, il faut se méfier des apparences et voir dans quelle mesure il s’agit « d’une arme patronale contre la négociation collective » 1.
En premier lieu, il convient de rappeler l’histoire très récente qui a amené le gouvernement à proposer ce dispositif.
Quand les syndicats majoritaires de la FNAC – ceux ayant obtenu plus de 50% des voix aux dernières élections – ont usé de leur droit (tout à fait légal en application des réformes de 2004 et 2008) d’opposition face à un accord minoritaire qui prévoyait l’extension du travail la nuit, Alexandre Bompard, président de la FNAC a obtenu un rendez-vous dans les bureaux de Madame El Khomri. Comme le rappelle la tribune publiée dans l’Humanité le 2 mars dernier par les syndicalistes du commerce, 2 « c’est à la suite que la ministre du Travail a annoncé l’inscription du référendum dans son projet de loi. ». Quand un dirigeant, et pas de n’importe quelle entreprise, plaide sa cause au nom de la démocratie sociale en promouvant le vote des salariés, l’on peut douter de ses « bonnes intentions » ; la présomption d’innocence n’est guère de mise !
D’abord, la consultation directe des salariés n’est pas une nouveauté. Dès les années 1980, la loi a prévu un certain nombre de cas limités dans lesquels les salariés peuvent être appelés à se prononcer directement, et l’on a connu des extensions ensuite. C’est une voie d’approbation en matière d’intéressement, de participation ou d’épargne salariale comme en matière de régimes de prévoyance ou de retraite complémentaire et des mesures en faveur des travailleurs handicapés. On voit bien que dans ces cas, il ne s’agit pas de déroger aux seuils plancher des rémunérations ou aux plafonds d’horaires légaux ou conventionnels, mais de choisir comment des avantages supplémentaires vont être concrètement mis en place. Sur le temps de travail, le référendum a d’abord concerné la mise en place d’horaires individualisés, jusqu’aux plus récentes concernant les dérogations temporaires au repos dominical. Encore s’agissait-il non de contourner les organisations syndicales, mais de pallier l’absence d’institutions représentatives. Ainsi, absence de tout représentant du personnel, ou absence simplement de délégué syndical dans les entreprises de plus de 200 salariés.
Le projet actuel, lui, prévoit que, face à une opposition des syndicats majoritaires (c’est-à-dire ayant obtenu aux dernières élections la majorité des suffrages), l’employeur peut faire ratifier un accord minoritaire par référendum. Et la forme ne doit pas cacher le fond, c’est bien évidemment l’accord dérogatoire qui est en jeu, c’est-à-dire celui qui réduit les droits existants des salariés quelle que soit la norme supérieure (loi, accord de branche). Par exemple, il serait possible de baisser la rémunération des heures supplémentaires, d’augmenter la durée du travail et ce, entreprise par entreprise, au moyen du chantage à l’emploi comme nous l’avons déjà vu dans le cadre de certains accords « abdicatifs ». Là est le danger déjà expérimenté. C’est l’employeur qui a la maîtrise du scrutin et de ses modalités, qui est le seul à pouvoir toucher tous les salariés dans chaque établissement, les organisations opposées aux accords n’intervenant efficacement que là où elles sont physiquement présentes.
Il en est du contrat collectif comme du contrat individuel, si les parties sont « égales en droit » – elle ne le sont pas dans les faits – et c’est le rôle de la loi que de garantir de manière ferme des planchers et plafonds auxquels nul ne saurait déroger.
Et pourquoi ne pas profiter de l’occasion pour réfléchir à des propositions alternatives. En effet, dans le cadre actuel et futur tel qu’il est envisagé par l’avant- projet, les consultations sont à l’initiative des chefs d’entreprise, puisque pour que les syndicats minoritaires puissent demander un scrutin, ils sont dépendants de… la signature de l’employeur, condition nécessaire à un accord. Et un silence révélateur, celui relatif au « droit d’expression » 3 dont on ne sait s’il est abandonné, ou considéré comme tellement secondaire qu’il n’est pas à l’ordre du jour de la « démocratie sociale ».
Alors, si nous voulons non pas rester au statu-quo mais « changer la vie », pourquoi ne pas donner aux salariés, à leurs syndicats, aux institutions représentatives du personnel le droit d’initiative de consultations pour améliorer les conditions de travail et la condition salariale ? Les CE et les CHSCT aujourd’hui peuvent faire appel à des experts. Pourquoi ne pas donner le droit d’organiser des réunions du personnel avec des experts ou toutes autres personnalités extérieures invitées, des clients, usagers, riverains, où l’on pourrait aborder la marche de l’entreprise, le contenu des services et de la production, les pollutions diverses ? Puisque les patrons veulent donner de temps en temps le droit de vote direct, une « citoyenneté » conjoncturelle, on pourrait aller plus loin dans cette « citoyenneté dans l’entreprise » pour reprendre le vocabulaire de l’ancien ministre socialiste du travail, Jean Auroux.
Allons plus loin : pourquoi ne pas demander aux salariés s’ils souhaitent reprendre leur entreprise, ne serait-ce que de manière consultative ? On ne sait jamais, ils pourraient reprendre une idée… du Parti socialiste 4 qui prévoyait le passage au secteur public des entreprises à la demande des salariés, pour le dire plus simplement aujourd’hui, une appropriation sociale…
Notes:
- http://www.cqfddutravail.org/index.php/2016/03/05/le-referendum-dentreprise-une-arme-patronale-contre-la-negociation-collective ↩
- Laurent Degousée (SUD commerce), Karl Ghazi (CGT commerce Paris), Éric Scherrer (Seci-Unsa) et Alexandre Torgomian (Scid), membres du Clic-P). ↩
- Voir sur notre site « droit d’expression des salariés, une histoire encore d’actualité ?» https://autogestion.asso.fr/?p=4816 ↩
- Programme « changer la vie », mars 1972. ↩
Bonjour
Un bémol. A la date d’aujourd’hui il n’est plus exacte d’écrire que le référendum est « à l’initiative » de l’employeur.
Voici le texte du dernier avant projet :
« Si cette condition n’est pas satisfaite et que l’accord a été signé à la fois par l’employeur et par des organisations syndicales représentatives ayant recueilli au moins 30% des suffrages exprimés en faveur d’organisations représentatives au premier tour des élections mentionnées au premier alinéa, quel que soit le nombre de votants, une ou plusieurs de ces organisations ayant recueilli au moins 30% des suffrages peuvent indiquer qu’elles souhaitent une consultation des salariés visant à valider l’accord
« Si à l’issue d’un délai de huit jours à compter de cette demande, les éventuelles signatures d’autres organisations syndicales représentatives n’ont pas permis d’atteindre le pourcentage de 50% mentionné au premier alinéa et que les conditions mentionnées à l’alinéa précédent sont toujours remplies, cette consultation est organisée.
« La consultation des salariés se déroule dans le respect des principes généraux du droit électoral. Si un accord l’a prévu ou que l’employeur le souhaite, elle peut être organisée par voie électronique.
« Participent à la consultation les salariés du ou des établissements couverts par l’accord et électeurs aux élections prévues aux articles L. 2314-2 et suivants du code du travail.
« L’accord est valide s’il est approuvé par les salariés à la majorité des suffrages exprimés.
« Faute d’approbation, l’accord est réputé non écrit.