La deuxième rencontre euro-méditerranéenne de l’ « économie des travailleur-se-s» a eu lieu à Thessalonique, dans les locaux de l’usine autogérée de VioMe du 28 au 30 octobre 2016. Les travailleurs et travailleuses de VioMe occupent les locaux de l’usine depuis 2011 et ont relancé la production de produits ménagers (savons, détergents). Si la production se poursuit, elle est aujourd’hui menacée par les tentatives de vente aux enchères des propriétaires « légaux » du terrain et des bâtiments. Jusqu’à présent, la mobilisation des VioMe a permis de l’empêcher. Les travailleuses et travailleurs de VioMe ont mis en place un véritable modèle autogestionnaire : décisions collectives prises en assemblées générales, mise en place de réseaux de soutien et de distribution solidaires, création au sein même de l’usine d’un dispensaire social autogéré. De plus, VioMe travaille en lien avec le dispensaire autogéré de Thessalonique et les réfugié-e-s du camp situé à proximité de la ville. Ils montrent qu’on peut tisser des liens à travers des pratiques autogérées et concrètement, l’esquisse d’une autre société qui fait le lien entre travailleurs et travailleuses, exploitées, migrant-e-s et plus généralement victimes de la crise que les capitalistes veulent nous faire payer à leur place.
Ces rencontres s’inscrivent dans un réseau international initié en 2007 lors de la première rencontre organisée en Argentine, à l’initiative du programme Facultas abierta de l’université de Buenos Aires. Lors de la 4e édition en juillet 2013 à Paraíba (Brésil), le principe de l’organisation de rencontres régionales entre deux rencontres mondiales a été acté. Les premières réunions régionales ont eu lieu en 2014 en France, en Argentine et au Mexique. Conçues avant tout comme des espaces de débat et de rencontres entre des travailleur-se-s, des chercheur-se-s et des militant-e-s sociaux et politiques autour des problématiques qui concernent les luttes des travailleurs et des travailleuses pour l’autogestion. Les mouvements de reprise des entreprises sont non seulement pratiques mais porteurs de théorie. Il est donc essentiel d’articuler les pratiques des entreprises récupérées et les apports des chercheurs. Elles s’intitulent « Économie des travailleurs » pour élargir le mouvement aux multiples formes de luttes du monde du travail qui pourraient s’y agréger. Elles visent également à contribuer à la construction d’alternatives face à la crise provoquée par le capitalisme mondialisé.
Cette rencontre faisait donc suite à la première rencontre européenne qui a eu lieu début 2014 à Gémenos chez les Fralib (désormais Scop TI), alors en lutte, qui avait réuni 200 participant-es. Avec 500 participant-es aux rencontres de Thessalonique, la progression est évidente. Étaient présent-es des représentant-e-s d’entreprises autogérées, d’organisations syndicales, d’associations et des universitaires, venu-es de l’État espagnol, du Pays basque, de Catalogne, d’Italie, de France, d’Allemagne, de Croatie, de Serbie, de Bosnie, de Grande-Bretagne, de Pologne, de Turquie et bien sûr de la Grèce. En outre, y assistaient aussi des délégations d’Argentine et du Mexique, faisant le lien avec la rencontre sud-américaine qui s’était tenue la semaine précédente (du 20 au 22 octobre) en Uruguay et celle d’Amérique du Nord et centrale fixée la semaine suivante (du 3 au 5 novembre). Ces trois rencontres s’inscrivent dans la préparation de la réunion mondiale biennale qui se tiendra en août ou septembre 2017 à Buenos-Aires. Les délégué-es d’usines récupérées (terme utilisé en Amérique latine) venaient aussi d’Italie, de Serbie, de Croatie, de Bosnie, de Turquie, de l’État espagnol et de Grèce. Des organisations syndicales défendant les valeurs de l’autogestion étaient présentes : Solidaridad Obrera (Etat espagnol), ELA (Pays basque), RIS (Croatie), IP (Pologne) et l’Union syndicale Solidaires.
La délégation française était étoffée et plurielle. La SCOP-TI (ex-Fralib) était bien sûr représentée mais aussi les Amis de la Fabrique du sud (ex-Pilpa) de Carcassonne, une importante délégation de l’Union syndicale Solidaires, des syndicalistes CGT, des associations telles qu’Attac ou le RIPESS, deux journalistes dont un de Politis, sans parler de la présence de différent-es adhérent-es de l’Association Autogestion.
Ces journées ont été très riches en débats et en réflexions, non seulement sur les principes de l’autogestion, mais aussi sur leur application concrète et les liens entre entreprises autogérées, syndicats et associations. Après une première journée portant sur la présentation de dix entreprises récupérées, les débats de la seconde journée se sont focalisés sur les occupations d’usines, les valeurs et relations dans l’autogestion, les caractéristiques d’une économie des travailleurs militante et alternative, l’autogestion en dehors de la sphère productive, la place de l’autogestion dans la transformation sociale, la place des syndicats et des structures de soutien, les réseaux locaux et internationaux d’entreprises récupérées ainsi que la réappropriation du bien public.
Les travailleurs de VioMe ont pris l’initiative de réunir séparément les travailleurs des entreprises récupérées présentes pour travailler sur quatre thèmes (voir leur appel en encadré) :
– Qu’est-ce qu’une économie des travailleurs ? Quels en sont les critères ?
– Mise en place d’un fonds de solidarité entre entreprises récupérées.
– Pratiques et fonctionnement des coopératives.
– Échanges de produits entre entreprises récupérées.
Cette initiative nous paraît essentielle et d’une nature profondément autogestionnaire pour la suite du processus de ces rencontres : les premiers concernés sont en effet les plus à même de définir le périmètre de ces rencontres ainsi que ses objectifs. Malheureusement, cet appel a été mal relayé en amont dans les différentes entreprises participantes. Si un accord de principe se fait jour sur le contenu d’une « économie des travailleurs » et l’exigence qu’ils ont à l’égard de la forme coopérative, celui-ci devra être validé dans les différentes entreprises participantes. Il a par ailleurs été convenu de renforcer les relations bilatérales de distribution de produits entre entreprises afin d’aller progressivement vers un réseau mutualisé.
Il convient de saluer la remarquable organisation et le travail préparatoire réalisé par nos camarades grecs depuis des mois qui ont largement contribué à la réussite de cette rencontre, tant du point de vue programmatique que logistique.
Pour l’Association Autogestion, cette seconde rencontre régionale a indéniablement été un succès. L’enjeu de ces rencontres est de constituer un réseau permanent – qui ne se limite pas à l’organisation de celles-ci tous les deux ans – susceptible d’engager un processus politique autour du concept d’économie des travailleurs et de solidarité active entre les expériences. L’Association Autogestion y contribuera au regard de ses capacités et de ses spécificités en continuant de mobiliser différents acteurs en France.
Après les deux premières éditions en France et en Grèce, la prochaine rencontre euroméditerranéenne se déroulera en Italie dans les locaux de Rimaflow à Milan en 2018.
Une vidéo d’ambiance relative à la rencontre de Thessalonique :