Suite à la liquidation de la compagnie SeaFrance, le syndicat maritime Nord CFDT conviait les salariés de la société à une réunion pour faire le point sur les licenciements en cours et le projet de Scop. L’occasion pour ce syndicat de contrecarrer les accusations de nombreux médias et de François Chérèque et de confirmer que le projet de Scop n’est pas mort.
Mercredi 25 janvier, 10 heures, la salle du Bowling de Calais est comble. Nombreux sont ceux qui restent debout. C’est dans cette salle que le syndicat CFDT Maritime Nord avait présenté en octobre 2011 le projet de SCOP. C’est ici qu’il invite les salariés de SeaFrance à débattre de la liquidation en cours et de la refonte du projet. Plus de 500 salariés étaient présents à cette occasion.
Suite à la liquidation prononcée par le Tribunal de commerce le 9 janvier 2012, les licenciements sont en cours. Bruno Landy, co-fondateur de la SCOP, détaille le montant des indemnités que les salariés vont toucher en fonction de leur salaire, de leur ancienneté et de leur statut (marin ou sédentaire), certaines indemnités étant conditionnées par d’autres. « On peut appeler ça une usine à gaz » résume Eric Vercoutre, autre élu au Comité d’entreprise. Il rappelle que lors du Comité d’entreprise du jeudi 19 janvier, le débat avait porté sur le montant de la prime supra-légale que verse la SNCF. Alors que les syndicalistes demandaient une prime uniforme pour tous les salariés, la proposition de la SNCF soumet le montant de celle-ci aux montants des primes légale et contractuelle de licenciement : si ces dernières sont importantes, la prime supra-légale devient faible et peut descendre jusqu’à 3 000 €. Lundi 23 janvier, le Comité d’entreprise reprend sans la SNCF « alors qu’elle nous avait promis qu’elle venait pour détailler les reclassements ». Sans nouvelle proposition de la part de la SNCF, les huit délégués votent contre. « La SNCF a annoncé des sommes jusqu’à 73 000 euros bruts. C’est un mensonge, un véritable scandale » conclut Eric Vercoutre. Question reclassements à la SNCF, « Les gens ont été prévenus, vendredi, samedi, pour des reclassements en ayant rien. C’est une honte. Les gens, on leur disait, voilà, tu vas à Arras, tu vas prendre une place de maîtrise, tu vas avoir tant de salaire annuel. Il fallait répondre lundi à 13 heures. S’il répondait positivement, il n’y avait plus de PSE. Je ne sais même pas s’il y a dix personnes qui vont être reclassés à la SNCF ».
Maître Philippe Brun, avocat des salariés, rappelle : « Il l’a dit, mais il l’a pas fait. Et qui l’a dit ? Le Président de la République, le 2 janvier. Et qu’est-ce qu’il a dit ? Le chômage, c’est pas une fatalité, je sauverai SeaFrance », puis énumère ensuite les différents mensonges du gouvernement, notamment concernant les indemnités supra-légales qui ne sont pas à la hauteur de ce qui avait été annoncé. D’emblée, le ton est donné. Paraphrasant Nicolas Sarkozy, il poursuit : « Je vais vous aider, je vais sauver SeaFrance, mais pas dans le cas d’un plan de cession. Parce que si des fois vous réussissiez là où la SNCF a échoué, ça la foutrait mal. Donc, ça sera une cessation d’activité parce que je ne peux pas vous apporter cinquante millions d’aides car ce sont des aides d’État interdites par le traité de Lisbonne. Mais qui c’est qui a fait le Traité de Lisbonne dans le dos des Français qui ont refusé en 2005 le Traité constitutionnel européen si ce n’est Nicolas Sarkozy ? C’est d’autant plus un mensonge qu’il nous dit que pour pouvoir nous aider, il faut qu’on vous licencie tous. Mensonge d’abord parce qu’il n’y a pas eu de demande d’aides d’État. Il y avait dans notre montage un prix de cession. La Scop, dans le cadre du plan de cession procédait à l’acquisition des navires de SeaFrance pour l’euro symbolique et revendait à une société d’économie mixte détenue par l’Etat et la région Nord-Pas-de-Calais les trois navires qui ont une valeur de plus de 150 millions d’euros pour simplement obtenir 50 millions de trésorerie dont on avait besoin. On sanctuarisait comme un bien national ces navires et on avait l’argent pour l’exploitation et cet argent-là n’est pas une aide d’Etat. Monsieur le président de la République, soit vous êtes un coquin, soit vous avez de mauvais conseillers ».
Évoquant la campagne de presse en cours contre le Syndicat Maritime Nord CFDT et les salariés, Philippe Brun commente : « Depuis le 4 janvier, un torrent de boue s’est déversé, qui s’est déversé sur Calais, qui s’est déversé sur cette association de malfaiteurs que vous êtes. Je l’ai lu dans la presse locale… Vous êtes des malfrats, des pirates de haut vol, vous n’avez cessé de voler, de racketter, et vous avez un chef de bande, c’est Cappelle, c’est Vercoutre ». Réfutant une à une les accusations proférées et rappelant que le comité d’entreprise de SeaFrance est en avance sur la loi en ayant des comptes certifiés depuis plus de trois ans, il poursuit « la calomnie, je comprends pourquoi elle est sortie à ce moment-là. Elle a été relayée par Monsieur Chérèque, qui tel Judas, le jour de l’audience, le 9 janvier, est venu dire, c’est des voyous, on va les exclure… Calomnier, calomnier, il en restera quelque chose. Alors, il va rester quelque chose, parce que celui qui va calomnier maintenant, c’est direction tribunal correctionnel ». Sous les applaudissements de l’assistance, il annonce que des poursuites seront engagées contre Chérèque, Le Figaro, Libération, Nord Littoral. Il conclut : « On a perdu une bataille à cause du mensonge, à cause de la calomnie, on n’en perdra pas deux… Et il y aura une deuxième bataille, parce que la Scop, qu’ils le veulent ou non, elle n’est pas morte. »
Didier Cappelle donne ensuite des nouvelles du projet. Compte tenu de la liquidation de la compagnie, un nouveau business plan a dû être reformulé et devrait être prêt ce soir-même. Il confirme l’engagement de Jean-Michel Giguet, ancien président du directoire de Brittany Ferries, qui s’installe à Calais dès lundi. Tout en rappelant que le but à long terme est de revenir à trois car-ferries, Didier Cappelle indique que « dans un premier temps, la Scop pourra reprendre 550 salariés. Maintenant, il faudra un peu de patience parce que le premier jour, la SCOP ne pourra pas réembaucher 550 salariés… Dès la semaine prochaine, on va s’attaquer à reconstruire un équipage parce qu’il faut aller très vite ». Eurotunnel se serait engagé à racheter trois navires de SeaFrance dans l’objectif de les relouer à la Scop. Eurotunnel, premier employeur du Calaisis, pourrait en effet être inquiet de voir s’installer dans le détroit de Calais un opérateur low-cost bradant les prix. Comme l’indique Didier Cappelle, cette coopération entre Eurotunnel et la Scop serait un « accord gagnant-gagnant ».
Après ces présentations liminaires, l’essentiel de la réunion a pris la forme d’échanges avec la salle. Une bonne partie des questions ont porté sur la position à avoir concernant les « offres » de la SNCF. De nombreuses interventions mentionnent la situation de travailleurs anciennement licenciés qui auraient été réembauchés sans contrat de travail, sur des salariés qui auraient été « requalifiés », euphémisme pour parler de baisse de salaires. Un jeune marin, licencié en 2010, fait part de sa motivation à rejoindre la SCOP et demande si cela serait possible. Pourquoi la SNCF, qui n’est pas officiellement l’employeur, propose-t-elle des indemnités transactionnelles aux salariés de SeaFrance ? De nombreux prudhommes sont actuellement en cours concernant les licenciements des années 2010 et 2011 et seront plaidés prochainement.
Après la liquidation de la Compagnie SeaFrance et cette avalanche de calomnies contre la section syndicale CFDT et les salariés, cette salle archi-comble confirmait la vivacité du projet SCOP. La présence de partenaires tels que Jean-Michel Giguet et Eurotunnel montre que ce projet est plus que probable. « La meilleure réponse c’est votre présence ici. Ensemble, on va rebâtir une entreprise normale. Ensemble, vous allez être maître de votre vie », concluait Eric Vercoutre sous les applaudissements de la salle.