François Longérinas, Prenons le pouvoir Coopératives, autogestion et initiatives citoyennes, – Ed. Bruno Leprince – 2012- 5 €
Un autre monde est possible et s’expérimente, hier dans les sociétés de secours mutuel et les associations ouvrières, aujourd’hui au sein de l’économie sociale et solidaire, tout au moins parmi les associations, les mutuelles, les coopératives, les régies de quartier qui développent un certain type d’activité prenant en compte les besoins sociaux, l’accès aux biens communs et les contraintes écologiques et qui fonctionnent sur la base d’une véritable démocratie active, participative et égalitaire.
Tel est le propos liminaire de François Longérinas, militant de la coopération, co-président d’une régie de quartier, secrétaire national du Parti de gauche et co-animateur au Front de gauche de l’économie sociale.
L’ouvrage est articulé autour d’une présentation critique de l’Economie sociale et solidaire (ESS) qui représente près de 10% de l’emploi national et qui, depuis quelques années, doit se défendre contre les tentatives de marchandisation initiées par les gouvernants à l’échelle nationale et européenne, d’une sélection d’expériences significatives choisies pour leur singularité, leur pérennité et leur fort potentiel de transférabilité et d’une conclusion mettant en avant une possible « république autogérée ».
Il concentre un grand nombre d’informations utiles à toutes et tous, notamment à ceux et celles qui s’intéressent aux pratiques alternatives et/ou souhaitent s’y engager ; il propose des aménagements législatifs susceptibles de consolider ce qu’on appelle le « tiers secteur non-marchand » (associations, mutuelles, sociétés coopératives) en insistant sur la récupération d’entreprises par les salarié-e-s et, enfin, situe les différentes initiatives et pratiques alternatives dans la perspective d’une transformation sociale et écologique de la société [1].
Au coeur de la contestation en actes du capitalisme
C’est sous le titre « dix aventures pour changer le monde », que François Longérinas sélectionne donc des expériences alternatives aux formes variées, françaises dans neuf cas sur dix, argentine pour la dixième (la reprise de l’hôtel Bauen par ses salarié-e-s, à Buenos Aires, en 2003 à la suite d’un dépôt de bilan ). L’auteur a le mérite de ne pas se laisser enfermer dans un cadre juridique trop précis, limité aux associations, aux mutuelles et aux sociétés coopératives. Ainsi, quatre des expériences mentionnées prennent d’autres formes, du simple collectif militant impliqué dans le domaine artistique au lycée autogéré de Paris, reconnu par l’Education Nationale, même si cette dernière ne l’aide guère, en passant par la coopération avec les institutions politiques locales dans le cas des monnaies alternatives.
Autre caractéristique intéressante : la variété des situations qui ont déclenché la dynamique conduisant à la création des structures alternatives mentionnées dans le bouquin. Parfois, c’est clairement la mobilisation sociale qui est aux commandes et qui, s’appuyant sur la résistance des salarié-e-s d’une entreprise ou de celle de tout un groupe social – en l’occurrence les motards – conduit à la construction d’une alternative. (cas des fermetures d’entreprises ou de mesures gouvernementales injustes pour une catégorie). Dans d’autres cas, c’est l’adhésion idéologique aux principes d’autogestion et à l’esprit de mai 68 qui est à l’origine du projet[2]. Dans d’autres cas encore, les structures créées sont la traduction de l’importance politique et sociétale prise par la question écologique (énergies alternatives) ou celle des rapports Nord-Sud (commerce équitable s’inscrivant dans le mouvement altermondialiste).
On peut peut-être exprimer un regret sur cette recension qui a toutefois le mérite de restituer avec précision et concision la substance de chacune des expériences. Celui de ne pas mentionner, y compris dans une annexe plus politique reproduisant une intervention faite en 2009 lors d’une convention du parti de Gauche, la – ou plutôt les expériences de budget participatif, au Brésil certes mais aussi, plus modestement, en France car, au moins dans le premier cas, elles ont impliqué des dizaines de milliers de citoyen-ne-s dans une démarche active et participative et elles ont donné lieu à une mobilisation conjointe et une forte coopération, même si elle a été parfois conflictuelle, entre associations, comités de base et structures politiques institutionnelles.
Des propositions stimulantes
Au fil des expériences examinées et dans le but de soustraire les associations à la « concurrence libre et non faussée », d’élargir et de renforcer le champ de l’ESS et de favoriser les reprises d’entreprise par les salarié-e-s, François Longérinas propose plusieurs modifications législatives qu’il souhaiterait voir adopter par un gouvernement soucieux de s’engager dans la voie d’une transformation démocratique, sociale et écologique des modes de production et de consommation.
Citons ici celles qui sont plus particulièrement en rapport avec l’objet de notre association : promouvoir la démocratie active et l’autogestion.
L’auteur, comme le Front de gauche dont il fait partie, comme l’association AP2E (Association pour une économie équitable) qui en a été l’inspiratrice, souhaite que les salarié-e-s disposent d’un droit de préemption de leur entreprise pour la transformer en coopérative quand les actionnaires décident la fermeture ou la vente. Il souhaite également que les commandes publiques soient prioritairement orientées vers les SCOP et donnent ainsi la préférence à la démocratie économique sur l’intérêt privé.
Dans le domaine du logement, François Longérinas propose une loi créant un statut pour les coopératives de façon à permettre le développement de l’habitat participatif et autogéré.
Dans le secteur de l’énergie, prenant Enerccoop comme exemple – une SCIC (société coopérative d’intérêt collectif) de 7 000 sociétaires et une implantation dans plusieurs régions, il se prononce pour la création de pôles publics de type nouveau associant pouvoirs publics territoriaux et entreprises coopératives ou mutuelles
Enfin, François Longérinas insiste, à juste titre, sur la nécessité d’une véritable démarche d’éducation populaire favorisant à la fois les pratiques de coopération et la transmission d’un patrimoine immatériel, celui des expériences émancipatrices portées par le mouvement ouvrier et citoyen. Dans le domaine de l’école, les pouvoirs publics doivent favoriser les structures éducatives autogérées pratiquant une pédagogie active et les innovations pédagogiques allant dans le sens d’une plus grande participation des acteurs de l’école à la vie des établissements. Sur le plan des contenus, l’auteur propose que les associations d’éducation populaire, les acteurs de l’ESS puisent intervenir aussi bien dans le cadre de l’Education Nationale que dans la formation des salarié-e-s pour valoriser la culture de la solidarité, de la coopération et de la démocratie active
Pour poursuivre le débat
Si nous ne pouvons que partager les préocupations de F. Longérinas, la plupart de ses appréciations et son souci d’inscrire l’initiative citoyenne et les pratiques alternatives à caractère autogestionnaire dans une perspective de transformation sociale et écologique, on peut aussi discuter certaines affirmations ou options prises parfois par l’auteur.
Ainsi, si François Longérinas met l’accent sur la nécessité de revitaliser la démocratie interne de certaines structures de l’ESS, notamment celle des mutuelles et des banques coopératives, il se contente le plus souvent de regretter le faible niveau d’implication citoyenne. Mais ne faut-il pas mettre en cause, plus qu’il ne le fait, les mécanismes de bureaucratisation qui, progressivement, ont entraîné une exclusion de fait des sociétaires des principaux choix effectués en leur nom ? Peut-on espérer une participation active quand les principales décisions sont prises en dehors des Assemblées Générales et que la fréquence de ces AG est limitée à une par an ? François Longérinas l’indique lui-même, les expériences coopératives nécessitent non seulement des salarié-e-s motivées mais aussi des salarié-e-s compétent-e-s et, donc, une formation professionnelle suffisante. C’est une condition de la réussite mais aussi de la vitalité de la démocratie dans l’entreprise. Pourquoi n’en serait-il pas de même pour les sociétaires bénévoles des mutuelles et banques coopératives ? Leur formation, à la fois aux enjeux généraux et aux caractéristiques de leur secteur d’activité est nécessaire. Pour les salarié-e-s souhaitant s’impliquer, cela suppose la création d’une sorte de crédit-temps, soit un nouvel espace de négociation entre les syndicats, le patronat, les structures de l’ESS et les pouvoirs publics.
D’autres espaces de discussion sont possibles. Par exemple, celui de l’organisation des services publics et pas seulement celui de l’articulation entre ces mêmes services dont le fonctionnement serait inchangé et les structures de l’ESS. N’est-il pas souhaitable d’envisager une décentralisation autogestionnaire du service public un peu sur le modèle des SCIC dans lesquelles consommateurs, associations, collectivités locales et salariés sont associés et prennent ensemble les principales décisions[3] ?
Au fond, ce débat, recoupe celui de la place de l’Etat dans le processus de transformation sociale et politique de l’ordre actuellement existant. Car, même s’il peut-être comme l’indique François Longérinas, « un instrument privilégié de l’appropriation citoyenne et du pouvoir de décision » pour le plus grand nombre, l’Etat est aussi une institution oppressive qui organise la domination d’une minorité sociale. Aussi, tout en utilisant les leviers disponibles, les partisans de l’autogestion ne doivent-ils pas avoir constamment à l’esprit une petite musique de rappel sur les dangers d’appropriation du pouvoir par le haut des structures étatiques ? Ne doivent-ils pas avoir en point de mire, même lointain, le dépassement-dépérissement de l’Etat au profit de communautés tendant vers l’autogestion et établissant entre elles des liens non hiérarchisés ?
[1]– L’auteur prend soin de mentionner que cette perspective de transformation n’est pas nécessairement partagée par tous les praticien-ne-s de l’ESS.
[2] – Cette adhésion ne suffit pas en elle-même à pérenniser un projet. Comme François Longérinas l’indique, il faut aussi une solide formation profesionnelle.
[3] – Dans le passage consacré au Lycée autogéré de Paris, F. Longérinas cite une initiative prise par différentes associations dont la Ligue de l’enseignement et l’ICEM (Freinet) en faveur d’un « Pacte éducatif pour une société éducatrice décentralisée », montrant qu’il est sensible à ce dernier aspect comme à la participation des usager-e-s à la vie de l’école et à l’insertion de cette dernière dans son environnement social. Ce mode de fonctionnement ne vaut-il pas pour l’ensemble des services publics ?
Guy Giani