C’est dans le dossier « L’autogestion pour demain » publié par la revue Projet en avril 1977 (n° 114), que paraît cet article de Lucien Chavrot, alors secrétaire du secteur « action revendicative et de la politique contractuelle » de la CGT.

La question de la gestion ouvrière n’est pas neuve dans la CGT. C’est autour de 1920 que la CGT invente la « nationalisation industrialisée » associée à une gestion conjointe tripartite. Au moment de la Libération,  une démarche locale autogestionnaire (même si le terme n’est pas utilisé) existe dans les usines réquisitionnées, avec des comités mixtes à la production, des comités d’entreprise. Mais elle est en en contradiction avec la stratégie nationale officielle.

Quand le thème de l’autogestion devient populaire en mai-juin 1968 et que la CFDT le légitime en l’adoptant comme principe, le secrétaire général de la CGT, Georges Séguy, y voit une « formule creuse ». Ce thème de l’autogestion et de la hiérarchie en entreprise demeure polémique avec la CFDT, le PSU, le PS.

De la « gestion démocratique »…

Toutefois, dès le congrès confédéral de 1969, la CGT affine sa conception de la gestion démocratique , mettant deux conditions pour que la démocratie en entreprise prenne du sens : la prise du pouvoir d’Etat et la planification nationale appuyée sur un secteur public. « Sur ces bases la CGT peut reprendre le terme d’autogestion à son compte ».

En juin 1972 est signé le programme commun de gouvernement entre le PS, le PCF et les Radicaux de gauche, soutenu par la CGT. Il préconise pour le secteur nationalisé la « participation des travailleurs et de leurs organisations », avec des Conseils d’administration élus par les salariés, (mais sur listes syndicales). Une dimension autogestionnaire transparaît dans la formule de nationalisations d’entreprises « lorsque les travailleurs de l’entreprise en expriment la volonté ». En octobre 1973 la Commission exécutive adopte un document sur la gestion démocratique des entreprises.

… à la lente reprise en compte de l’autogestion

Dans la revue du PCF, La nouvelle critique d’octobre 1973,  Jean-Louis Moynot, secrétaire confédéral chargé du secteur économique avance prudemment: « l’utopie autogestionnaire aussi bien que la « participation » capitaliste sont des expressions fausses et dévoyées de ces revendications (anti hiérarchiques)  Il n’en demeure pas moins que la socialisation des forces productives implique également une restructuration en profondeur des entreprises (…) des relations d’un type réellement nouveau entre les individus au travail, une réelle participation de chacun d’eux, une capacité collective et individuelle de décision, d’initiative et de responsabilité ». C’est en note qu’il estime le contenu positif de l’autogestion.

Par la suite, dans les années 1970 Jean-Louis Moynot dans la CGT, comme  P. Zarifian se distinguent  de la direction confédérale, en prônant ouvertement un « syndicalisme de proposition » décentralisé et des conseils d’atelier qu’ils vont tenter de mettre en place dans la sidérurgie  autour de contre plans industriels.

En avril 1977 la CGT organise un colloque sur la démocratisation de l’économie et le rôle des travailleurs. La transformation des structures de l’entreprise est désormais mise au même niveau que les nationalisations, et la transformation du contenu du travail et du rôle de l’encadrement sont plus profondément abordés.

C’est aussi en 1977, que la CFDT se prononce pour des conseils élus d’atelier et de services dans les entreprises nationalisées, et par contrats négociés avec conseils élus et d’entreprise. La CGT accepte le principe d’une participation à la base, reprend finalement à son compte la formule de conseils d’atelier lors de son 40ème congrès.

contre-plans industriels, SCOP, économie sociale

Au même moment elle renforce son intérêt pour l’économie sociale, la CGT et les SCOP s’entendent sur des principes généraux concernant la mise en SCOP des entreprises menacées : il faut  l’accord des syndicats, une aide suffisante des pouvoirs publics, et une certaine assurance de viabilité.

L’entreprise Ducellier illustre, après le 40e Congrès de 1978, les conceptions cégétistes de l’autogestion, avec la constitution, lors d’une grève de sept semaines en 1979, de cinquante-sept conseils d’ateliers.

Manufrance constitue l’un des principaux exemples de constitution d’une  SCOP dont la CGT défend le modèle jusque dans la fin des années 1980. Une première lutte est menée en 1977 contre un plan de suppressions de plus d’un millier d’emplois. Malgré l’organisation de deux manifestations de soutien les 20 février 1979 et 18 octobre 1980, cette dernière réunissant près de 100 000 personnes, l’entreprise est placée en liquidation judiciaire. Elle est occupée pendant près de 8 mois. Afin d’empêcher la fermeture pure et simple, la décision est prise de lancer une SCOP qui est formée en septembre 1981. Faute de trésorerie suffisante et affaiblie par son dépeçage, la coopérative Manufrance dépose le bilan en avril 1985. Une nouvelle occupation débute et dure plus de 20 mois, jusqu’en décembre 1986.

Dans la même période, la La CGT va formuler des « propositions industrielles » en élaborant des « contre plans » pour sauver les « industries essentielles ». En fait la CGT oscille entre une polarisation sur le particulier (atelier, bureau, service) et le général (branches, gouvernement) sans que le niveau de l’entreprise n’apparaisse comme un enjeu majeur, le rapport de forces dans l’entreprise étant plus défavorable aux salariés qu’au niveau des branches..

L’opposition entre des partisans prônant des  « luttes purement revendicatives » et d’autres  adeptes de la « force de propositions » traverse en fait toute l’histoire de la CGT, bien évidemment de façon plus nuancée.. Les périodes de montée de l’unité de la gauche sont des années d’essor d’un certain type d’intervention des salariés dans la gestion, avec le programme commun de 19 72 à 1977/78, en 1982/84 sous le gouvernement PS-PCF avec les conseils d’atelier et la mise en avant de « nouveaux critères de gestion ») ; les périodes de division (guerre froide, rupture de l’union de la gauche en 1978) les remettent en cause.  On peut noter en tout état de cause un parallèle entre l’évolution de la CGT acceptant de parler d’autogestion, alors la CFDT change de vocabulaire en sens inverse, de même en se rapprochant de l’exercice du pouvoir, puis en l’exerçant, le PS abandonne également la référence autogestionnaire, tandis que le PCF l’adopte au début des années 1980.

Pour aller plus loin :

 

Jean-Charles Asselain « La dimension sociale des nationalisations de 1982 », Revue économique Vol 34, n° 3, 1983.

Jean Lojkine, « l’intervention syndicale dans le gestion : le choc de deux cultures », Revue française de sociologie, 1999, n° 40-2.

Guy Groux René Mouriaux,  La CGT : crises et alternatives, Paris, Économica (La vie politique), 1992.

René Mouriaux, La CGT, Paris, Le Seuil (col. points), 1982

Emeric Tellier « Le droit comme outil de mobilisation et de syndicalisation (1968-1993) » sur le site

http://halshs.archives-ouvertes.fr/docs/00/44/04/42/PDF/Com_Colloque.pdf

Christian Thuderoz, « l’entreprise et sa representation à la CGT et à la CFDT (1970-1989), Mots, septembre 1989.