La récupération d’entreprises par les travailleurs en Argentine (ERT) n’est pas qu’un lointain souvenir de la crise de 2001. Depuis, « les ERT, non seulement, n’ont pas disparu mais elles se sont converties en une option que les travailleurs reconnaissent comme valide, malgré toutes les difficultés, plutôt que de se résigner à la fermeture des entreprises » (Ruggeri-2010). De fait, le mouvement de récupération s’est poursuivi et les ERT ont même réussi dans une forte proportion à se consolider, voire à se renforcer, c’est ce que relevait le rapport sur la troisième enquête sur les entreprises récupérées réalisée dans le cadre du programme « Faculté ouverte » de la Faculté de philosophie et de lettres de Buenos Aires (UBA) 2, rendue publique en octobre 2010.

En Argentine, le mouvement de récupération des entreprises par les travailleurs, amorcé dès 1994, a atteint une réelle visibilité publique après la crise de décembre 2001 consécutive à l’accélération du processus. Mais il a surtout été popularisé au niveau international à travers des luttes emblématiques, telles que celles de Zanon et Bruckman, qui ont été fortement médiatisées par les formations politiques engagées aux cotés des travailleurs. Pour autant, de nombreux commentaires et articles ne reflètent pas totalement la réalité du processus compte tenu de la diversité des situations, des postures adoptées et des difficultés rencontrées. Si le mouvement a atteint son apogée entre 2002 et 2004, il s’est néanmoins poursuivi et à même retrouvé de la vigueur avec la crise amorcée en 2008.

Devant les fermetures et la montée du chômage, de nombreux travailleurs ont impulsé la réouverture des installations abandonnées par leurs propriétaires, donnant lieu à un mouvement qui se poursuit aujourd’hui. A l’origine du mouvement, les acteurs ont intégré un ensemble d’expériences antérieures, au-delà de leur diversité, et ont contribué à la construction de leur identité. Ces expériences ont enrichi le répertoire d’actions et de réponses sociales face au modèle néolibéral au cours de cette période.

Depuis mars 2002, l’université de Buenos-Aires (UBA) a entrepris un travail de recherche sur les entreprises récupérées par les travailleurs (ERT) dans le cadre du programme « Faculté ouverte ». Ce programme a permis de réaliser trois enquêtes : la première dans les années 2002/2003 Informe Primer relevamiento 2003, la seconde au cours de l’année 2004 Segundo informe ERT Argentine et la troisième entre septembre 2009 et mars 2010 Informe Relevamiento 2010.

L’objectif était de dresser un panorama général de l’état des ERT, en essayant de préciser la portée du phénomène en termes quantitatifs et qualitatifs sur la base du recueil d’informations d’une équipe interdisciplinaire, composée de membres du programme et des étudiants bénévoles des facultés de Lettres et de sciences sociales en visitant une importante quantité d’ERT dans  le pays. Les informations ont été recueillies auprès des travailleurs sur la base du volontariat, à partir de trois objectifs principaux : premièrement, donner aux travailleurs ainsi qu’à leurs organisations -en tant que collectif social, économique et politique-  des informations détaillées sur leur propre problématique ; fournir des données permettant d’orienter le débat public en vue de l’élaboration de politiques pour consolider et améliorer les processus d’autogestion ; enfin, établir un cadre d’analyse actualisé pour les chercheurs, les intellectuels et les militants sociaux et responsables politiques intéressés par le phénomène de l’ERT, aussi bien au niveau national qu’à l’échelle internationale.

La dernière enquête a permis de requalifier la problématique des ERT au niveau de leur taille et de leurs caractéristiques actuelles. La majorité des données diffusées remontaient à plusieurs années et étaient partielles, elles ne résultaient pas seulement d’études mais aussi de l’action politique, des projets de loi, des jugements, des interprétations théoriques et même des revendications des travailleurs. En outre, un certain nombre de préjugés et de déclarations sans fondement circulaient, entre autres, à cause de l’absence de mise à jour des informations de base sur le phénomène et concomitante avec celui-ci, ce qui a réduit la visibilité publique et l’attention des médias, après l’étape de grandes manifestations autour de la crise de 2001. Bon nombre de ces versions présentaient les ERT comme une manifestation de cette crise, qui avaient disparues avec le reflux de la mobilisation sociale et la reprise économique argentine ou qui ne survivent que comme témoins de ces moments dramatiques. Pourtant, rien n’est plus éloigné de la réalité, les travailleurs et ceux qui accompagnent leurs luttes le savent et pour les auteurs de ces enquêtes : « l’ignorance vient de l’absence d’intérêt de certains secteurs sociaux et politiques pour la classe ouvrière » (Ruggeri-2010).

Pour une plus grande diffusion des résultats et de la réalité des ERT en Argentine, nous publions des synthèses en français des rapports des enquêtes de 2004Synthèse rapport ERT 2004 et de 2010 Synthèse rapport ERT Argentine réalisées par Richard Neuville.

Liens :

Andrès Ruggeri (Dir.), Le troisième rapport sur les entreprises récupérées de l’Université de Buenos Aires : « Las empresas recuperadas en la Argentina 2010 », Buenos Aires, Octubre de 2010, 90 p. est téléchargeable avec les liens ci-dessous:

http://www.recuperadasdoc.com.ar/Informes%20relevamientos/informe_ultima_correccion.pdf

Andrés Ruggeri, Carlos Martinez et Hector Hugo Trinchero (Dir.) « Las empresas recuperadas en Argentina » Rapport de la deuxième enquête du programme « Faculté ouverte », Université de Buenos Aires, juillet 2005, 120 p.

OSERA (Observatoire social des entreprises récupérées autogérées) www.iigg.fsoc.uba.ar/empresasrecuperadas/

Programme Faculté ouverte (Univ. de Buenos-Aires)

http://www.recuperadasdoc.com.ar/