Souvent cité, mais rarement proposé en son entier, nous publions le projet de règlement soumis à l’approbation de la Commune de Paris par les ouvriers des ateliers du Louvre qui proposait la mise sous gestion ouvrière de la fabrique d’armes. Le projet est signé par les ouvriers de la fabrique auxquels s’ajoute la signature d’Augustin Avrial, en sa qualité de directeur du matériel d’artillerie qui est par ailleurs membre de l’Association internationale des travailleurs.
Règlement soumis à l’approbation de la Commune de Paris par les ouvriers des ateliers du Louvre.
Art. 1er. L’atelier est placé sous la direction d’un délégué près de la Commune.
Le délégué à la disposition sera nommé par les ouvriers réunis, et révocable chaque fois qu’il sera convaincu d’avoir failli à son devoir. Son mandat consiste à recevoir les rapports du chef d’atelier, des chefs de banc et des ouvriers, pour en déférer au directeur du matériel d’artillerie. Il devra rendre un compte exact de ses opérations intérieures et extérieures au conseil dont il sera parlé ci-après.
Art. 2. Le chef et les chefs de banc seront également de leurs actes, et seront, de même que le délégué près de la Commune, révocable, s’il est démontré qu’ils ont failli à leur devoir.
Art. 3. Les attributions du chef d’atelier sont la surveillance de l’atelier, la distribution et le relevé des travaux, les vérifications, d’armes, le pointage des heures de travail des ouvriers, d’après le pointage fait par les chefs de banc. — Le pointage devra toujours être terminé un quart d’heure après l’ouverture des ateliers.
Art. 4. Les attributions des chefs de banc sont la distribution et la surveillance de l’exécution des travaux de leur banc respectif. Ils doivent fournir aux ouvriers tous les renseignements dont ceux-ci pourraient avoir besoin relativement à l’exécution du travail ; ils doivent fournir chaque jour au rapport le détail des travaux exécutés sous leurs soins.
Art. 5. L’entrée et la sortie des armes sont effectuées par un ouvrier délégué à chacune de ces fonctions ; ils devront être capables de reconnaître l’état des armes ; ils seront nommés par les ouvriers et seront révocables également par les ouvriers, sur la proposition du conseil. Il sera adjoint à chacun un aide pour les écritures. Ces aides seront nommés par le conseil.
Conseil
Art. 6. Un conseil sera réuni obligatoirement, chaque jour, à cinq heures et demie de relevée, pour délibérer sur les opérations du lendemain ainsi que sur les rapports et les propositions faites, soit par le délégué à la direction, soit par le chef d’atelier, le chef de banc ou les ouvriers délégués dont il sera parlé ci-après.
Art. 7. Le conseil se compose du délégué à la direction, du chef d’atelier, des chefs de banc et d’un ouvrier par chaque banc nommé à l’élection à titre de délégué.
Tous les membres du conseil seront d’y assister. Le directeur seul, vu les nécessités de ses fonctions, pourra s’en absenter lorsqu’il y aura urgence ; dans ce cas, il sera tenu de donner au conseil les raisons pour lesquelles il s’est abstenu.
Art. 8. Les délégués sont renouvelés tous les quinze jours ; le renouvellement sera fait par moitié, tous les huit jours, et à tour de rôle.
Art. 9. Les délégués devront rendre compte aux ouvriers de ce qu’ils auront appris au rapport ; ils seront leurs interprètes auprès du conseil de la direction, et devront y apporter les observations et réclamations de leurs commettants.
Art. 10. La majorité des délégués pourra toujours, sur la proposition de l’un d’eux, provoquer la réunion du conseil et en cas de refus de la part du chef de banc, du chef d’atelier ou du directeur, ils auront droit d’en référer aux ouvriers de l’atelier.
Art. 11. Dans le but de sauvegarder les intérêts de la Commune, les délégués formant conseil de surveillance, auront droit de prendre connaissance de toutes les opérations intérieures et extérieures, et, sur leur demande, les livres devront leur être présentés chaque fois qu’ils le jugeront nécessaire.
Art. 12. Les délégués devront, au commencement de chaque semaine, nommer entre eux un rapporteur qui sera chargé de dresser un rapport de tout ce qui aura été dit et fait d’important dans le courant de la semaine. Ces rapports resteront affichés dans un endroit très apparent et facilement abordable hors de l’atelier, pendant toute la semaine suivante, et seront ensuite collectionnés pour être consultés au besoin.
Art. 13. L’embauchage des ouvriers se fera ainsi qu’il suit : sur la proposition du chef d’atelier, le conseil décidera s’il y a lieu d’embaucher des ouvriers et d’en déterminer le nombre. Les candidats à l’embauchage pourront être présentés par tous les ouvriers ou employés des ateliers ; ils seront inscrits sur un livre tenu à cet effet, et seront appelés à tour de rôle. Le conseil sera juge de ce dont ils sont capables.
Art. 14. Le renvoi d’un ouvrier ne pourra se faire qu’après décision du conseil, sur le rapport du chef d’atelier.
Dans le cas de diminution du travail, on débauchera d’abord les derniers ouvriers embauchés, à moins qu’en ou plusieurs ouvriers anciens ne soient signalés par le chef d’atelier pour incapacité notoire ou pour inconduite ; dans ce cas, le conseil seul statuera à leur égard.
Art. 15. La durée de la journée est fixée à dix heures ; les ateliers seront ouverts de sept heures du matin à six heures du soir ; l’heure du déjeuner est fixée de onze heures à midi.
Par exception, dans le cas d’une commande de réparation devant être livrée immédiatement, dans l’intérêt de la défense de la Commune, le conseil décidera s’il y a urgence de faire une heure ou deux de plus ; mais ces heures, qui ne devront être faites que pour un cas exceptionnel, seront payées sans aucune augmentation du prix déjà fixé pour chacun des ouvriers.
Art. 16. Comme il y a lieu que quelqu’un passe la nuit dans l’atelier, et considérant que le veilleur de nuit peut être appelé à donner des renseignements, et peut-être même à distribuer des armes ; que dans ce cas il doit savoir où sont placées les armes qu’il peut être appelé à donner, seront appelés à passer à tour de rôle, et par voie du sort, tous les ouvriers qui auront un mois de présence dans les ateliers. Le directeur devra, avant de partir, donner au veilleur tous les renseignements nécessaires.
Considérant, d’autre part, que, vu l’état actuel des choses, il est urgent d’épargner le plus possible les derniers de la Commune, les nuits ainsi passées ne seront nullement rétribuées.
Le veilleur de nuit devra, le lendemain, faire son rapport au directeur, qui en fera part au conseil toutes les fois qu’il y aura urgence. Le citoyen appelé à passer la nuit devra être prévenu deux jours à l’avance par le directeur. Le tirage au sort se fera tous les jours au conseil.
Art. 17. Les appointements du délégué à la direction sont fixés à 250 francs par mois, sans intérêt ni gratification dans les affaires.
Art. 18. Les appointements du chef d’atelier sont fixés à 210 francs par mois. Il sera tenu d’être présent lorsqu’il y aura lieu de faire des heures supplémentaires, sans pouvoir exiger aucune augmentation.
Art. 19. Le prix de la journée du chef de banc est de soixante-dix centimes par heure.
Art. 20. Le prix de la journée des ouvriers sera fixé par le conseil, sur la proposition du chef de banc ; toutefois, quant à présent, et vu l’état de guerre, il ne pourra dépasser soixante centimes de l’heure.
Art. 21. S’il arrive qu’un chef quelconque pour une raison ou pour une autre, reprenne les fonctions de simple ouvrier, le prix de sa nouvelle journée sera fixé par le conseil.
Art. 22. Le présent règlement pourra être modifié de concert avec le directeur du matériel d’artillerie sur la proposition du conseil et par la majorité absolue des ouvriers.
Fait double, au Louvre, le 3 mai 1871.
Ont signé :
Loyot, Soualle, Gueury, J.B. Binet, E. Borgna, Crousse, Bigot, Marcy, Montaroux, Magnin, thomas, Romain, Prieu, Pernet, Bellœil, Couadoux, A. Schall, Dufour, Vogt, Pichon, Livraye, Bourgogne, A. Fillon, Guerby, L. Nicolas, Maâder, Rissac, Carbonnier (Achille) fils, Dardare, Euvrard, Thion, C. Micaud, Wenger, Waroux, Touzé, Boi, E. Mongin, Vandepoul, Guiot, Crouzillat, Vidonne, Decoq, Gatelet, Beaulieu, Frenière, Verdin, Ralu, Carron, Coppin, Gonzet, Klein, Faquin, Langlais, Grelu, putz, Relaut, Taguel, Marcillat, Allain, Chiffarat, Sacré, Gary, Peronnet, Pastrie, Vinot, Titreville, Knab, Cabry, Pitre, Evrard, E. Gorsse, Ancelin, Carion, J. Baumann, B. Maronnet, Desailly, Picard, Mathey, Abouly, Kohler, Clauss, Wimann, Lothammer, Kohler, aîné, Dupont, Dupuis, Brussant, Boucouri, Dubourgneuf, Marinier, Binet, Buvelot, Pfund, Chaboche, Lor, Garnier, Leveau, Blessel, Sénécal, Pinault, Tainière, Rossignol, Bolvin, Maynial, David, Antoine.
Vu : Le directeur du matériel d’artillerie, Avrial