Le 11 septembre 1973 un coup d’Etat ayant à sa tête le général Pinochet, instaurait au Chili une dictature militaire. Le putch met fin tant au gouvernement de l’Unité populaire, qu’au mouvement populaire en général, ainsi qu’à toute liberté démocratique. En quelques jours, ce sont plusieurs dizaines de milliers de morts assassinés, disparus, d’arrestations qui frappent les syndicats, les partis, les comités populaires des quartiers, des entreprises, des campagnes. Parmi les premières opérations militaires, la reconquête et la reprise des entreprises, des terres, occupées par leurs travailleurs. Il est vrai que ce que l’on a appelé « l’expérience chilienne » était passé des urnes (élection du président Salvador Allende par et avec des « comités d’unité populaire » en 1970) à la remise en cause de la propriété privée de l’économie par un mouvement multiforme et foisonnant avançant de plus en plus dans l’autoorganisation et le contrôle, voire la prise en charge directe, de secteurs entiers de l’industrie, de la distribution, de l’agriculture, de la vie sociale. 40 ans après, les éditions Syllepse viennent de publier une série de documents dans, Venceremos, présentés par Franck Gaudichaud (qui dans Autogestion, hier, aujourd’hui, demain, Syllepse 2010, a écrit le chapitre « Poder ppopular au Chili »). Nous publions un extrait de son introduction, avec des pages consacrées à «l’octobre rouge chilien et la naissance des cordons industriels ». En effet à partir de la fin 1972, la résistance aux offensives de la droite et du patronat ont suscité des organismes qui ne se contentaient pas de rester sur la défensive, mais ont esquissé ce qui aurait pu être le visage d’un authentique « pouvoir populaire ».
La question de la « propriété sociale » et de son contrôle, co-gestion, voire autogestion par les travailleurs, s’est posée dès les premiers mois du gouvernement Allende et dès les premières mesures de nationalisations. C’est ce qu’a étudié à l’époque Michel Raptis (Michel Pablo) dans un livre paru en 1973, rédigé avant le putch militaire, Quel socialisme au Chili, autogestion ou étatisme. Les organismes qui ont ensuite pris leur essor après 1972 n’étaient pas issus du néant, ils ont puisé dans l’expérience réinvestie des Comités d’unité populaire comme le rappelle Maurice Najman dans son introduction au livre (édité en 1974, après le coup d’Etat), Le Chili est proche, dont nous publions un extrait décrivant et analysant cette transition.
Il n’est pas sans intérêt aujourd’hui, alors que la gauche est au pouvoir en France, que des luttes posent les questions des reprises d’entreprise, que vont se discuter plusieurs réformes touchant à l’économie sociale, de rappeler qu’il y a eu, et qu’il demeure, d’autres possibles : une relation dynamique, même conflictuelle, impliquant des programmes et projets gouvernementaux avec le « mouvement d’en bas » qui les dépasse et les transforme et peu effrayés par la remise en cause de la propriété privée et du pouvoir du capital.