Ce texte de l’Observatoire des Mouvements de la Société est porteur d’un fort contenu autogestionnaire et peut constituer un acte fondateur dans la période politique actuelle. Il prend acte du fait que la majeure partie des luttes contemporaines portent sur la question de l’accès aux ressources quelles qu’elles soient et que ce droit à l’accès est antinomique avec la notion même de propriété, qu’elle soit privée ou publique. Deux idées centrales y sont conjointement développées : l’impossibilité du capitalisme de se maintenir face à ces luttes essentielles pour l’avenir même de l’humanité et la perspective politique que celles-ci dessinent à savoir le Commun et le dépérissement de l’État. Benoît Borrits
Les luttes récentes sont toutes marquées par la revendication du droit à l’usage et à l’accès. Il s’agit du droit à des ressources essentielles à la vie (eau, énergies, nature…), du droit au travail et à l’accès à l’outil productif, du droit à des ressources immatérielles, à la santé et à l’éducation. Ces revendications se heurtent de plein fouet à la propriété – privée comme étatique – qui transforme les ressources à la base de ces droits fondamentaux en capital lucratif et aliénable.
Ces dernières années nous ont montré combien le compromis n’est plus guère possible entre ces droits humains et l’existence même d’un capital qui décide l’orientation des investissements et des emplois. Non seulement le capitalisme n’est plus capable de porter le développement de la société, mais il est entré dans une phase où il détruit plus qu’il ne crée. Il n’y a plus aujourd’hui de possibilité d’aménagement du capitalisme ou de phase transitoire. Chaque lutte sociale ou écologique entre en contradiction avec le maintien du capitalisme tout en dessinant son dépassement.
Pour que l’humanité garantisse sa survie, l’usage et l’utilité sociale doivent supplanter le profit et la rétribution du capital. L’entreprise et l’échange ne peuvent être exclus plus longtemps du champ démocratique. L’évolution exponentielle des connaissances et des moyens de circulation des informations objectivent la nécessité de la mise en commun de la décision.
Dans ces luttes, de nouvelles formes d’organisation émergent : Coopératives, Amap, Monnaies locales, conseils d’habitants, Nuits debout… Dans ces initiatives, les comportements individuels se modifient et des prises de consciences s’opèrent. Les personnes concernées cherchent à s’organiser de façon démocratique et autogestionnaire pour gérer des ressources, ouvrant ainsi une nouvelle perspective politique, celle du Commun.
Cependant, l’addition et l’exemplarité de chacune de ces luttes ne suffit pas. Ces initiatives restent isolées et fragiles. Elles n’empêchent pas la société de se dégrader. Elles devront chercher à produire leur propre pensée et à devenir des alternatives au système capitaliste pour toute la société. Elles fixeront comme objectif de toute action immédiate, l’appropriation collective des pouvoirs sur le devenir commun ; ce qui implique aussi de s’émanciper de toute tutelle étatique. A partir de cette démarche peut se poser de manière nouvelle la construction de divers outils de financement et de ressources nouvelles à l’usage des intéressés, travailleurs ou usagers.
Dans le contexte de la mondialisation, si le cadre national reste un cadre pertinent de luttes et de conquêtes sociales, il doit désormais être appréhendé dans une logique de dépassement de l’État-nation et de construction d’un nouvel internationalisme basé sur la perspective du Commun. N’est-il pas urgent que les luttes et actions produisent elles-mêmes cet horizon ?
Comment gérer ces communs, quelles structures pour éviter « la tyrannie de l’absence de structure » (texte de Jo Freeman de 1970 toujours très pertinent aujourd’hui, à lire et relire par tous les amis de l’autogestion, dont je suis). Le prix Nobel d’économie Elinor Ostrom a passé une bonne partie de sa vie à recenser et comprendre comment on gérait les communs empiriquement, ses travaux sont aussi hautement recommandables. Et aujourd’hui, c’est peut-être dans les entreprises que le savoir-faire en gestion de l’intelligence collective avance le plus (Olivier Zara par exemple). Mais le plus souvent, cette gestion de l’intelligence collective ne concerne pas le capital qui reste propriété de l’actionnaire majoritaire. Il y a au moins deux fronts de travail pour les autogestionnaires, un front dans les entreprises classiques, afin d’obtenir que le capital entre dans le périmètre de décision collective et un autre front, peut-être le plus important, au sein même des entreprises et organisations autogestionnaires, je veux parler de la structuration et de la domestication de la gestion de l’intelligence collective, la connaissance approfondie de ce qu’est la tyrannie de l’absence de structure et comment y échapper. Le mouvement autogestionnaire pourrait aussi avantageusement s’organiser collectivement pour financer, aider financièrement les projets autogestionnaires et les aider à se structurer, ce qui pourrait donner beaucoup de puissance à ce mouvement.