Le 4 septembre 1870 au matin, la République est proclamée à Lyon. C’est le début des événements communalistes brefs et protéiformes qui agiteront Lyon jusqu’au 1er mai 1871. Et même si l’idée communaliste fut partagée par beaucoup, y compris au-delà des frontières françaises, la Commune à Lyon obéit à des logiques locales. La chronologie, tout comme le déroulement des événements, nous montrent que l’on ne parle pas seulement d’un épisode satellite ou d’une copie des événements qui prirent place à Paris entre mars et mai 1871.

La « 1ère Commune » de Lyon, septembre 1870

Les républicains étaient prêts à Lyon. Les élections de mai -juin 1863 marquent le début du réveil. À Lyon, comme dans beaucoup de grandes villes de France, les élections sont majoritairement favorables aux tendances républicaines, celles-ci étant encore confondues, unifiées dans l’opposition à l’Empire. Une lente scission entre « modérés » et « radicaux » s’engage. Le socialisme commence à poindre dans certains cercles, comme par exemple dans celui des « Ouvriers métallurgiques » à la Guillotière ou dans le « Cercle progressif » situé à la Croix-Rousse. Les grèves, rendues possibles par la loi sur les coalitions de 1864, sont aussi le témoin d’un réveil social. C’est le moyen par lequel l’Association internationale des travailleurs (A.I.T.), va se renforcer et des corporations adhérer à l’organisation 1. Pour exemple, les grèves des ouvriers tullistes. Après une première série de grèves épuisantes et peu efficaces pour le maintien du prix de façon, entre 1864 et 1866, les tullistes reprendront la lutte dans les dernières années de l’Empire avec pour meneurs, des représentant de l’A.I.T., futurs communards, Jean-Pierre Moreau et Etienne Ginet 2. Parmi les grèves marquantes, celle des ovalistes. En juin et juillet 1869, ces ouvrières travaillant au moulinage cessent le travail, afin d’obtenir une augmentation de salaire qui était bien inférieur à celui des hommes. La grève devient quasi générale, et obtiendra aussi le soutien de l’A.I.T., cette fois-ci avec un prix pour les grévistes : celui d’être dépossédés de leur lutte de femmes 3. Le mouvement des réunions publiques, aussi, va permettre à la parole politique de se libérer. Ces réunions sont d’abord autorisées, en 1868 par le Second Empire, dans le but de permettre aux ouvriers de s’informer sur des sujets divers. Initialement sans visées politiques, celles-ci sont rapidement détournées et deviennent le moyen privilégié d’expression des tendances les plus républicaines et socialistes, en particulier au moment du plébiscite de 1870 où elles pouvaient rassembler à Lyon plusieurs milliers de personnes 4. A cette période, Lyon compte environ 320 000 habitant·es 5 ; c’est la deuxième ville de France après Paris.

C’est dans ce contexte que la guerre franco-prussienne est déclarée en juillet 1870. La nouvelle est d’abord mal reçue à Lyon, on assiste même à une tentative éphémère d’établissement de la République à la Croix-Rousse, le 13 août 1870, à l’initiative du notaire Joseph Lentillon. Des cris séditieux contre la guerre sont entendus dans les rues, même l’Internationale essaie de s’opposer à la montée vers le front des mobiles lyonnais 6. La guerre est une série de revers militaires pour l’Empire et la nouvelle de la défaite de Sedan, le 2 septembre 1870, où l’Empereur Napoléon III lui-même est fait prisonnier, arrive à Lyon le 3 septembre. Lyon est alors la première ville de France à proclamer la République, au matin du 4 septembre, tandis que Paris le fera quelques heures plus tard. Dans un contexte de vacance du pouvoir, un Comité de Salut Public est immédiatement constitué, sans même attendre de voir comment la capitale réagit. Et si à Paris, les éléments les plus radicaux et socialistes des républicains ne seront pas inclus dans la formation des nouvelles entités politiques, on a une attitude différente à Lyon. On retrouve dans le Comité de Salut Public des personnalités républicaines influentes tels Désiré Barodet, l’homme de lettres Louis Garel et le docteur Crestin, qui sont des républicains radicaux, ou encore des républicains plus modérés comme Jacques-Louis Hénon et Louis Andrieux, mais aussi des éléments ouvriers révolutionnaires et des membres de A.I.T., comme le publiciste Albert Richard, alors personnage fort de l’Internationale, ou le tailleur Louis Palix, le graveur Placet, le serrurier Tacussel, le tisseur François Charvet, Guillaume Chol… 7. Ce Comité de Salut Public hisse le drapeau rouge sur l’Hôtel-de-Ville et adopte immédiatement l’attitude d’une Commune révolutionnaire, « prologue original à la Commune que Paris se donnera six mois plus tard 8. » L’A.I.T. n’aura finalement que peu d’influence au sein de ce comité ; malgré cela, les mesures prises sont radicales. L’ancienne police impériale est rapidement épurée. La volonté farouche d’indépendance des révolutionnaires lyonnais, qui ne se laisseront pas dicter leur conduite par un gouvernement de la capitale, fait que le préfet Challemel-Lacour, envoyé par Paris, tout républicain qu’il soit, sera « reçu avec les égards dus au représentant d’un pouvoir qu’il importe de ménager, mais aussi avec une méfiance voisine de l’hostilité 9. » L’enseignement est également laïcisé et beaucoup d’établissements religieux (ce dont Lyon regorge) sont occupés par des révolutionnaires ou des bataillons de gardes nationaux 10. Des comités annexes ou indépendants naissent. Parmi ceux-ci, trois sont l’émanation du Comité de Salut Public (sous-comités à la guerre, aux finances et aux intérêts publics). D’autres, comme le Comité de Sûreté générale (censé remplacer la police impériale purgée le 4 septembre, et tenu en bonne partie par des hommes de l’A.I.T.) et le Comité révolutionnaire de la Guillotière, ont un fonctionnement parallèle.

La tentative de Bakounine et ses alliés, 28 septembre 1870

Des élections sont organisées les 15 et 16 septembre. Le Comité de Salut public s’efface au profit d’une municipalité plus modérée et dirigée par Jacques-Louis Hénon, républicain déjà élu aux élections législatives de 1863. Michel Bakounine, accompagné de ses associés de l’A.I.T. Vladimir Ozerof et Valence Lankiewicz, arrivent de Suisse au même moment. Pour le révolutionnaire russe, il s’agit alors d’essayer de sauver la France et sa révolution face à cette « dictature bismarckienne menaçante » en poussant à l’établissement des Communes et en les fédérant, en abolissant la machine administrative et gouvernementale de l’Etat. Lyon a un passé riche en révoltes et insurrections, et pour Bakounine, la ville présente des dispositions spéciales pour être la première à lancer le mouvement. Après tout, elle a prouvé sa réactivité politique le 4 septembre. Ainsi, le 17 septembre, avec les membres de l’A.I.T. lyonnaise, il crée le Comité du salut de la France. Le même jour se créé le Comité central fédératif, lui aussi opposé au gouvernement central, mais qui comportait d’autres tendances politiques, elles aussi très républicaines. Le Comité de Sûreté générale, lui, avait survécu à la disparition du Comité de Salut Public et restait lui aussi actif.

Le 28 septembre, en s’appuyant sur le mécontentement des ouvriers des chantiers nationaux, Bakounine et ses alliés du Comité de salut de la France, accompagnés du Comité central fédératif et du Comité de Sûreté générale, sans armes et drapeau rouge en tête, prennent possession de l’Hôtel-de-Ville. Une affiche rouge détaillant les premières mesures d’une « Fédération révolutionnaire des communes » avait été apposée la veille sur les murs de la ville. Le plâtrier Eugène Saignes, membre de l’A.I.T. lyonnaise, accompagné de Bakounine, du général Cluseret venu de Paris, de Bastelica, membre de l’Internationale à Marseille, des Lyonnais de l’A.I.T. Albert Richard et Gaspard Blanc, déclarent, depuis le balcon du bâtiment, le gouvernement et le conseil municipal déchus. Le général Mazure, qui commandait la division militaire, est arrêté et Cluseret proclamé général de la place de Lyon. Le préfet est, lui aussi, enfermé dans ses appartements de l’Hôtel-de-Ville. Cependant, la tentative de Bakounine et de ses alliés est mal comprise. Elle se terminera, la même journée, dans la confusion. Ce sont les bataillons bourgeois du centre, de la Garde nationale, qui vinrent appuyer le mouvement, tandis que les bataillons de la Croix-Rousse et de la Guillotière, plus populaires, vinrent soutenir le conseil municipal. De vives discussions s’engagent entre les révolutionnaires et les soutiens à la municipalité qu’ils voulaient remplacer, il y aura même rixe entre Hénon et Bakounine qui en tomberont dans la fontaine de l’Hôtel-de-Ville 11. Finalement, les révolutionnaires abandonnent l’Hôtel-de-Ville et Bakounine est expulsé. À la suite de cette affaire, certains partisans de la Commune sont arrêtés ou en fuite. Pourtant, cette tentative défaite de Bakounine est très suivie en Suisse 12. Ce pays devient alors une base arrière pour les communeux lyonnais, puis, après l’extinction des mouvements, restera leur principal refuge.

« L’affaire Arnaud », 20 décembre 1870

Une autre tentative révolutionnaire, plus tragique, aura lieu le 20 décembre. Certains communards ont été appréhendés à la suite de la tentative du 28 septembre, mais le pouvoir central est toujours sous le feu de vives critiques de la part d’une frange révolutionnaire de Lyon. De plus, il existait un mécontentement certain depuis que la municipalité avait fait fermer les chantiers nationaux, destinés à résorber le chômage. Et c’est encore l’agenda de la guerre qui dicte les soubresauts révolutionnaires de la ville. La terrible défaite de Nuits le 18 décembre, où deux légions de marche lyonnaises étaient engagées, produit une grande émotion dans la ville. Cette nouvelle s’invite alors au sein de discussions publiques qui avaient lieu depuis le 13 décembre pour la création d’un journal républicain. Le 20 décembre, dans une de ces réunions, à la salle Valentino, à la Croix-Rousse, sous la présidence de Jean-Pierre-Bruyat, ouvrier balancier, membre de l’A.I.T. et ancien membre du sous-comité des finances du Comité de Salut public 13. On entend alors plusieurs discours révolutionnaires incendiaires contre le conseil municipal et le gouvernement central. Une foule nombreuse, échauffée, décide de faire battre la générale pour lancer un mouvement révolutionnaire en direction de l’Hôtel-de-Ville. Le commandant Chavant du 10e bataillon de la Croix-Rousse s’y refuse, il est mis en difficulté par la foule. Le commandant Arnaud du 12e bataillon, venu soutenir son collègue est malmené également, tire des coups de feu en l’air, est maîtrisé, puis jugé sur l’heure dans la salle Valentino par un tribunal révolutionnaire provisoire, il est condamné et fusillé séance tenante, quelques centaines de mètres plus loin, au Clos-Jouve. Le mouvement révolutionnaire avortera de lui-même, mais cette « affaire Arnaud » incitera le gouvernement central et les autorités locales à réagir avec fermeté contre les révolutionnaires lyonnais.

Cette série d’échecs met un temps les velléités de révoltes sous cloches : beaucoup de révolutionnaires sont arrêtés ou en fuite car recherchés par la police préfectorale qui, pourtant encore faible depuis le chamboulement du 4 septembre, retrouve un pouvoir grandissant. Cela semble alors poser cette question, très justement formulée par l’historienne Jeanne Gaillard : « la conquête du pouvoir municipal, revendication essentielle des républicains, doit-elle viser à une dissolution de l’Etat comme le prônent les socialistes révolutionnaires, Lefrançais à Paris, Richard et Bakounine à Lyon, ou doit-elle viser à un élargissement des attributions municipales ? C’est sous cette forme que se pose à l’automne 70, le dilemme réforme-révolution 14. » Pourtant, la ville de Lyon semblait bien présenter des dispositions spéciales, favorables à l’établissement d’une Commune révolutionnaire. Hormis le terrain républicain et social déjà présenté, il existe bel et bien une forte défiance face à l’Etat central, comme l’a prouvé le 4 septembre. Depuis le XVIIIème siècle, il existe d’ailleurs une « spécificité lyonnaise » selon les mots de Maurice Moissonnier, « l’histoire de Lyon est rythmée par une longue série de luttes vigoureuses et multiformes qui se développent en parallèle avec son essor économique 15. » Il est d’ailleurs indéniable que Lyon possède, au XIXème siècle, un passé riche en insurrections : en 1831 et 1834 avec les soulèvements des Canuts, en 1848 au moment de l’établissement de la République, en 1849 avec l’insurrection des Voraces. Quelques années plus tard, des barricades se sont même élevées pour s’opposer à l’établissement de l’Empire… Certains communards ont vécu ces insurrections précédentes et il aurait alors été aisé d’imaginer Lyon se soulever dans les premiers mois de ce qui sera la IIIème République. De plus, les communeux lyonnais auraient eu un allié culturel sérieux en la personne de Guignol « dont le langage différait très peu du leur 16 » Guignol, « prend le parti du plus faible, défend l’opprimé, n’aime pas l’injustice. Ce caractère ne va pas sans poser de problèmes avec les personnes qui le contrarient et, au-delà, avec le pouvoir en place » 17. Par exemple, le Bailli, qui est le représentant de l’ordre, se heurte régulièrement à Guignol. Son homme de main, le gendarme, est copieusement battu par Guignol. Celui-ci s’oppose aussi régulièrement à Canezou, le propriétaire, qui vient demander le loyer que Guignol ne peut pas payer…. Pourtant, ces premiers mouvements n’auront que peu d’impact dans la ville, même si une agitation révolutionnaire subsiste encore début 1871.

La Commune du 23 mars et la soulèvement de la Guillotière, le 30 avril 1871

Mais l’établissement de la Commune de Paris à partir du 18 mars 1871 va changer la perspective. Lyon n’en a pas fini avec les tentatives d’établissement de Commune, cependant, cette fois, ce qui se passe dans la capitale va influencer les Lyonnais. La situation a changé dans la ville, le préfet fidèle à Gambetta et à l’ex-Gouvernement de la défense nationale, Challemel-Lacour, a démissionné. Il a été remplacé par un préfet plus favorable au nouveau gouvernement de Versailles, Edmond Valentin. Celui-ci fait d’ailleurs part le 19 mars, dès l’annonce du soulèvement de Paris, de sa ferme opposition à tout mouvement révolutionnaire et réaffirme l’autorité du pouvoir central et de l’Assemblée de Versailles. Malgré cela, 350 officiers de la Garde nationale, accompagnés de révolutionnaires, dont le délégué le la Commune de Paris en cours d’établissement, Albert Leblanc, ou encore du mécanicien Schettel, de Gaspard Blanc, des tisseurs Pierre Bénier et François Dizin… 18, décident de se réunir. Le 23 mars, une affiche proclamant le lien entre le 4 septembre lyonnais, les mouvements parisiens et la défiance face à l’Etat central est apposée sur les murs, l’Hôtel-de-Ville est à nouveau occupé, le préfet arrêté une fois encore. Cependant, les révolutionnaires se sentent peu à peu en minorité, de moins en moins soutenus par la Garde nationale et par la population. De plus ils n’étaient pas réellement préparés matériellement à un affrontement avec la troupe qui se réunissait à Perrache pour contrer le mouvement. Les révolutionnaires se retirèrent donc, et le 25 mars, le conseil municipal reprit la place à nouveau vacante.

Un mois plus tard, la journée du 30 avril 1871 et la nuit du 1er mai verront s’éteindre les derniers feux des espoirs communalistes. Des élections municipales avaient été demandées par Adolphe Thiers pour remplacer les conseils municipaux élus à la hâte à la mi-septembre 1870. Les révolutionnaires lyonnais qui restaient, malgré les échecs des tentatives précédentes, avec le soutien de sections suisses de l’Internationale, s’opposent à ce vote (interprété par beaucoup comme une tentative de faire reculer les municipalités républicaines). Ils en profitent pour lancer un nouveau mouvement communaliste dans le quartier de la Guillotière, ce quartier ayant une population fortement favorable à l’établissement d’une République sociale, comme l’a démontré l’établissement du Comité révolutionnaire de la Guillotière dès le 4 septembre 1870. En avril, les affrontements entre Paris et Versailles avaient commencé à devenir plus violents, et cela pousse les révolutionnaires lyonnais à adopter des tactiques d’emblée plus combatives ; des barricades s’élèvent rapidement à la Guillotière, de même qu’à la Croix-Rousse. Mais les représentants de l’Etat sont, eux aussi, prêts à réagir en force. Les forces armées étaient en effet menées par tout ce que l’on pouvait trouver de représentants du pouvoir central. Le Général Crouzat, commandant la division, le général Février, commandant la place, le Préfet Valentin, le procureur de la République Andrieux, le commissaire directeur de la sûreté De Gourlet, tous sont présents à la tête des troupes de reconquête de la Guillotière 19. Deux tentatives de l’armée pour reprendre la mairie occupée du IIIème arrondissement, située en plein cœur de la Guillotière, se soldent par un retrait en hâte des troupes, qui semblaient prêtes, enjointes par la foule, à lever la crosse en l’air. Deux colonnes armées se forment ensuite en direction de la mairie de la Guillotière. Jusqu’au matin du 1er mai, d’âpres combats de rues ont lieu, on tire au canon et le préfet lui-même est blessé. Ces affrontements se terminent par la défaite des insurgés, et par plusieurs dizaines de morts, surtout du côté des révolutionnaires. La Croix-Rousse, elle, ne se soulèvera finalement pas pour soutenir la Guillotière, et les barricades seront démontées. Le préfet Valentin, dès le 1er mai, prend alors des mesures radicales et dissout la Garde nationale lyonnaise, anticipant ainsi la décision que Thiers prendra à la suite de la Semaine Sanglante un mois plus tard.

En guise de conclusion, on peut alors dire quelques mots de ce que furent les partisans de la Commune à Lyon et de leur répression 20. Les révolutionnaires représentaient une réalité sociologique variée et propre à la ville. Et beaucoup des Communards dont on a encore la trace sont nés à Lyon ou dans les territoires alentours. Une très grande partie de ceux-ci en-effet vivaient de « la grande fabrique des soies ». Il n’est donc pas étonnant de retrouver de nombreux Canuts parmi les partisans des idées communalistes à Lyon, mais pas seulement. Les « nouveaux » métiers de la métallurgie et du chemin de fer, ainsi que l’artisanat sont aussi représentés, tout comme les employés et les petits commerçants. La plupart des révolutionnaires sont en général des hommes d’une trentaine d’années. Les femmes sont également présentes dans les mouvements communalistes. Mais leur rôle est vraisemblablement minimisé par les archives de police 21, de même que leur place est peut-être aussi minorée au sein des mouvements communalistes eux-mêmes (comme l’a été celle des ouvrières ovalistes en 1869 avec l’A.I.T.) ; femmes révolutionnaires invisibilisées derrière leurs maris. Il est en revanche difficile de donner une couleur politique précise aux mouvements communalistes lyonnais tant ils furent variés. De plus, les mouvements lyonnais n’ayant chacun duré au maximum que quelques jours, et la mise en place de leurs mesures concrètes étant limités, les indications nous manquent. L’Internationale, alors localement assez influencée par l’anarchisme de Proudhon puis de Bakounine, a indéniablement une influence et beaucoup des communards sont signalés par les archives de police comme faisant partie de cette organisation, mais ce n’est pas la majorité. On trouve des traces de blanquisme, et il semble certains radicaux, et même certains jacobins, alors convertis aux vues de la Commune, se retrouvent parmi les révolutionnaires. On devine la trace de certains francs-maçons également, mais leur présence reste discrète et individuelle. Ce qui regroupait vraisemblablement tous les révolutionnaires semble finalement être leur anticléricalisme acharné et leur méfiance, tournée en hostilité, vis-à-vis des autorités centrales. Finalement, à Lyon, l’autorité de l’Etat central fut la cible principale de tous ces mouvements communalistes. Mais les représentants de l’Etat, incarné par le Gouvernement de la défense nationale ou plus tard par le Gouvernement de Versailles, ne réagirent d’abord pas ou peu. Et l’opposition aux communards a obéi d’abord à des logiques très locales. Cependant ce sont bien les principaux représentants de l’Etat central, ayant alors retrouvé de la force, qui furent acteurs de la répression violente du dernier sursaut communaliste de Lyon, l’insurrection du 30 avril 1871. Par la suite, comme à Paris, la justice militaire remplacera la justice civile, l’influence de la volonté de Thiers d’ « expier » légalement le « crime » que représentait pour lui la Commune primant. Pourtant, il n’y eut pas d’exécutions sommaires à Lyon 22 comme ce fut le cas à Paris. Il n’y a pas eu de conseils de guerre créés spécialement pour juger les communards lyonnais contrairement à ce qu’il se passa dans la capitale. Mais à Lyon, la justice militaire accomplira son œuvre dans la même logique, à cheval entre ses mesures d’exceptions et sa vision des communards qu’on ne souhaitait considérer que comme de simples criminels en leur dénuant tout caractère politique. La peine symbole pour les inculpés lyonnais, dont beaucoup, en fuite, en Suisse majoritairement, seront condamnés par contumace, reste « la déportation dans une enceinte fortifiée ». La police lyonnaise, fortement touchée et désorganisée à l’établissement de la République, s’est, elle aussi, reconstruite plus tard en perfectionnant ses techniques de surveillance sur les communards qui resteront, au moins jusqu’à l’amnistie totale de 1880, parmi les catégorisations politiques les plus surveillées par la Sûreté.

Notes:

  1. Archives Départementales du Rhône (A.D.R.), 4M 288, liste des corporations adhérentes à l’Internationale, s.d., sur ce document, 28 corporations de métiers lyonnais sont désignées comme adhérentes à l’Internationale avant le 4 septembre 1870 ; parmi elles, les ouvriers sur métaux, les doreurs, les graveurs, les ouvriers apprêteurs, les verriers et cristalliers, les charpentiers, les tanneurs, etc.
  2. A.D.R., 4M 648, notices individuelles et correspondances sur divers, en particulier sur des personnes ayant participé à la Commune ou ayant appartenu à l’Internationale 1870-1875 (n°131-200), dossier Moreau (Jean-Pierre) et 4M 289, notices individuelles sur divers en particulier sur des personnes ayant participé à la Commune ou ayant appartenu à l’Internationale, dossier Ginet (Etienne Pierre).
  3. La grève des ovalistes, Claire Auzias et Annick Houel, Atelier de création libertaire, 1982 (rééd. 2016).
  4. À la salle de la Rotonde par exemple, dans le quartier des Brotteaux, fin avril 1870, une réunion publique était signalée par la police comme rassemblant « 5 à 6000 personnes, [et] la salle était composée pour la plupart de gens favorables aux idées républicaines. » A.D.R., 4M 290, notices individuelles sur divers en particulier sur des personnes ayant participé à la Commune ou ayant appartenu à l’Internationale 1870-1873, dossier Pirodon, rapport au Préfet du Commissaire de Police du quartier des Brotteaux, 28 avril 1870.
  5. Communes de provinces, Commune de Paris 1870-1871, Jeanne Gaillard, Editions Flammarion, 1971.
  6. La Révolution lyonnaise du 4 septembre 1870 au 8 février 1871, rapport pour la commission d’enquête parlementaire sur les actes du Gouvernement de la défense nationale, De Sugny, E. Lachaud, 1873.
  7. « Un épisode de la révolution de 1870 à Lyon par un témoin », Henri De Laire, in Etudes et Documents, n°51, p. 21-46, Ambierle, Centre de recherche ethnologique du musée Alice Taverne, 2010 (1897 ?).
  8. La Commune de 1871, Jacques Rougerie, PUF, 2009 (4e édition).
  9. La Commune à Lyon en 1870 et 1871, Louis Andrieux, Editions Perrin, 1906.
  10. Six mois de drapeau rouge à Lyon, Joannès Guetton, Editions Josserand, 1871.
  11. Ce qu’il se passe a été rapporté en ces termes par le docteur Crestin : « M. Hénon, prévenu vers onze heures du matin, arriva bientôt à l’Hôtel-de-Ville. Bakounine se promenait au milieu de la vaste cour qui sépare la salle des Lions des appartements destinés au préfet. […] M. Hénon lui mit la main au collet pour l’arrêter. Le nouvel Anthée [Bakounine, qui était effectivement de forte constitution] se débattit un instant puis parvint à prendre M. Hénon corps à corps. Alors survint un citoyen bien connu des républicains du temps ; le citoyen Moreau. Moreau était un homme de petite taille, presque chétif. Il s’attacha aux basques de Bakounine et, après avoir dégagé M. Hénon, bouscula le Moscovite. Celui-ci alla tomber dans le bassin. Pendant ce temps, M. Louis Baton, qui avait pris part, lui aussi, à ce pugilat, ayant entendu de loin les gardes nationaux qui s’avançaient, alla au-devant d’eux pour les diriger. C’étaient les bataillons de la Croix-Rousse qu’il avait fait prévenir. Les gardes nationaux de la Guillotière, les 21e et 22e bataillons, arrivèrent en même temps. Chose bizarre ! les bataillons du centre vinrent, au contraire, pour appuyer Saignes et Cluzeret [sic]. Dans la bagarre, – car il n’y eut que des poussées et des coups de crosses, – M. Hénon reçut un de ces coups en pleine poitrine. (Il en souffrit jusqu’à sa mort.) » Souvenirs d’un Lyonnais. Écrits par un de nos compatriotes, témoin et souvent acteur des faits historiques qui se sont passés à Lyon depuis 1857 jusqu’en 1871, Docteur Crestin, Editions Decléris, 1897.

  12. La fédération jurassienne, Marianne Enckell, Editions Entremonde, 2012.
  13. L’Internationale et le Jacobinisme au ban de l’Europe, tome II, Oscar Testut, Editions Lachaud, 1872.
  14. Communes de provinces, Commune de Paris 1870-1871, Jeanne Gaillard, Editions Flammarion, 1971.
  15. « 1869-1871 – Lyon des insurrections entre tradition et novation », Maurice Moissonnier, in, Larguier Gilbert, Quretti Jérôme, dir., La Commune de 1871, utopie ou modernité ?, Presses universitaires de Perpignan, 2000.
  16. Gaillard Jeanne, op.cit.
  17. Guignol. Marionnette lyonnaise, Jean-Paul Tabey, Editions Alain Sutton, 2005.
  18. A.D.R., R 1200, Mouvement insurrectionnel de Lyon. Journées des 22, 23 et 24 mars 1871.
  19. Oscar Testut, op. cit..
  20. Pour une étude détaillée sur les communards lyonnais et leur répression, voir : Les communards lyonnais. Les insurgés, la répression, la surveillance, Matthieu Rabbe, Atelier de création libertaire, 2015.
  21. Seize femmes seulement font l’objet d’un dossier ou d’une fiche de renseignements, sur plus d’un millier de noms retrouvés dans les archives de la police lyonnaise, un nombre qui ne reflète probablement pas la réalité de leur engagement. Parmi ces femmes fichées en tant que communardes, on retrouve : Catherine Renard (tordeuse), Virginie Rasier (ourdisseuse) Justine PetitJean (« Fille soumise »), Marie Langard (guimpière), Catherine Nittelon (ouvrière en soie), Veuve Combe (cabaretière), Marie Duclos (domestique), Marie Bonnevial, Amélie Bouvard, madame Julien, Paule Holtzel et Anne Cluzel (institutrices).
  22. Les seuls condamnés à mort furent ceux qui furent considérés comme les meneurs de l’ « Affaire Arnaud » du 20 décembre 1870.