Le 1er janvier 1994 marque l’entrée en vigueur de l’ALENA (Accord de Libre-Echange Nord-Américain), traité qui vise à libéraliser les échanges entre le Canada, les Etats-Unis et le Mexique. C’est cette date symbolique que les zapatistes choisissent pour se soulever. C’est le début d’une guerre qui ne va pas durer plus de douze jours. En effet, le président Carlos Salinas de Gortari décrète un cessez-le-feu de façon unilatérale afin d’entamer des négociations avec l’EZLN (Armée Zapatiste de Libération Nationale) en choisissant comme médiateur l’évêque Samuel Ruiz fondateur du centre des droits de l’homme Fray Bartolome de Las Casas. Mais les négociations mettent du temps à aboutir. Ce n’est qu’en mars 1995 qu’elles semblent pouvoir prendre un nouvel essor avec la création de la Commission de Concorde et de Pacification (COCOPA) réunissant des politiciens de tous les bords. Entre temps, le parti de Gortari s’est maintenu au pouvoir en voyant son candidat, Ernesto Zedillo, remporter les élections présidentielles. Les négociations vont ainsi se poursuivre dans un petit village du Chiapas, San Andres, qui donnera son nom aux accords signés le 16 février 1996. Ces accords devaient accorder un nombre croissant de droits pour les populations indigènes, notamment ceux accordés par l’article 169 de l’Organisation Internationale du Travail (OIT), que le Mexique a ratifié le 5 septembre 1990, ainsi qu’une plus grande autonomie qui devait leur permettre d’améliorer leurs conditions de vie.
Mais force sera de constater pour les zapatistes que le gouvernement d’Ernesto Zedillo n’appliquera pas les termes du traité. Au contraire celui-ci va s’attacher à réprimer plus fermement encore les populations indigènes, et plus particulièrement les sympathisants zapatistes en augmentant fortement la présence militaire. Cette répression atteint des sommets le 22 décembre1997, lorsque quarante-cinq indigènes sont massacrés par un groupe de paramilitaires. Dans le même temps, plusieurs autres sont obligés de fuir leur village en raison de menaces de la part de ces mêmes organisations. Aujourd’hui il existe de nombreuses preuves démontrant que ces groupes paramilitaires recevaient, et reçoivent encore aujourd’hui, un appui de l’armée et de la police mexicaines. Le conflit et les négociations s’enlisent donc sous la présidence de Zedillo.
L’espoir semble quelque peu renaître lorsque le PAN accède au pouvoir en l’an 2000 en la personne de Vicente Fox. Celui-ci affirme notamment dès le début de son mandat qu’il règlera « le problème du Chiapas en un quart d’heure ». Pourtant le nouveau président ne va pas satisfaire les revendications des zapatistes. Certes, il lèvera quelques bases militaires situées au milieu des populations indigènes. De même, il libère de nombreux prisonniers politiques. Pour autant ce n’est pas suffisant. Les zapatistes décident alors d’organiser une grande marche des indigènes pour la dignité de près de trois mille kilomètres pour rejoindre Mexico depuis le Chiapas afin de réclamer. La marche arrive dans la capitale le 11 mars 2001. Mais malgré cet impressionnant rassemblement, le gouvernement fait passer peu de temps après une Loi sur les droits et cultures indigènes qui n’est qu’une version édulcorée de la proposition de la COCOPA dont les zapatistes demandent l’application. L’autonomie que ces derniers souhaitent n’apparaît pas dans ce projet. Ils décident donc de rompre à nouveau le dialogue avec le pouvoir. On s’interroge alors sur la façon d’obtenir cette autonomie.
C’est alors qu’en août 2003 les zapatistes décident de donner une nouvelle envergure à leur autonomie : c’est l’acte de naissance des caracoles. Que sont les caracoles ? En 1994, alors que le gouvernement tente d’endormir les zapatistes en ne souhaitant pas aller plus en avant dans les négociations, l’EZLN reprend trente-huit chefs-lieux de municipes qui vont rester aux mains des zapatistes. En 1995, ils deviennent officiellement des « aguascalientes » du nom d’une ville au nord de Mexico où se rencontrèrent entre autres Pancho Villa et Emiliano Zapata pour discuter de la suite de la révolution. Ces « aguascalientes » se voulaient être une sorte de forum, de centre de réflexion sur la politique, la culture. Mais ce n’est qu’au début d’août 2003 que ces « aguascalientes » deviennent des caracoles (littéralement : escargot). En fait, il existe cinq caracoles (Oventik, Morelia, Roberto Barrios, La Garrucha et La Realidad) dans lesquels sont regroupés les trente-huit municipes.
Le Chiapas, un des états où la population indigène est la plus importante, est paradoxalement pauvre. En effet, il bénéficie d’importantes réserves de pétroles, de la plus grande puissance hydroélectrique du pays, d’un climat plutôt favorable pour l’agriculture. Mais jamais les habitants n’ont pu profiter de ses richesses naturelles. Les populations rurales n’entrent pas dans les plans des différents gouvernements. Il suffit de constater que sur les cinq caracoles, un seul est accessible par une route goudronnée alors qu’il faut passer par des routes en terre, qui plus est en mauvais état, pour arriver aux quatre autres. Pour se rendre à Roberto Barrios il faut même traverser un fleuve à pied. Ce n’est qu’un exemple du délaissement dont sont victimes les populations indigènes et que les zapatistes ont voulu affronter. Les caracoles tentent donc de mettre concrètement en place une autonomie que leur accorde pourtant l’article 169 de l’OIT comme la constitution mexicaine. Comment parvenir à cette autonomie ? Comment fonctionne-t-elle ? Quels sont les changements qui s’opèrent par rapport à la politique traditionnelle du Mexique ? C’est à ces questions que nous allons tenter de répondre dans une suite de reportages organisés autour de différents axes.
L’autonomie zapatiste, II – La politique
L’autonomie zapatiste, III – L’éducation
L’autonomie zapatiste, IV – La santé
L’autonomie zapatiste, V – L’écologie
L’autonomie zapatiste, VI – L’économie
Cet article a été diffusé sur le Dial. Vous pourrez retrouver l’article original sur: http://www.alterinfos.org/spip.php?article1790