Au cours des deux dernières décennies, l’économie populaire solidaire a connu un essor important au Brésil et, tout particulièrement dans l’Etat du Rio Grande do Sul, plus connu par sa capitale Porto Alegre, pour avoir innové avec le budget participatif à partir de 1990 et pour avoir été le lieu d’accueil de premiers forums sociaux mondiaux (FSM).
A partir du milieu des années 1990, en réponse à la politique menée sous la présidence de Fernando Henrique Cardoso -qui entreprend une grande vague de privatisation d’entreprises publiques et l’ouverture au capital étranger qui se traduit par la fermeture de milliers d’entreprises et une augmentation importante du chômage- les travailleurs brésiliens engagent des processus de récupérations d’entreprises et organisent de grandes mobilisations. Ils sont accompagnés par l’ANTEAG (Association nationale des travailleurs des entreprises autogérées), créée en 1994 à São Paulo et par les syndicats. Ils sont également soutenus par des politiques publiques impulsées par certains états, à travers l’accès au crédit et le soutien à certains secteurs d’activité, c’est le cas notamment du gouvernement du Rio Grande do Sul, présidé par Olivio Dutra (1998-2002) qui apporte une aide spécifique aux coopératives et préserve la filière de la chaussure. Parallèlement, sous l’influence notamment de Paul Singer, l’économie populaire solidaire s’y développe.
A partir de ces expériences de la fin du siècle passé, la gauche du Parti des travailleurs (PT) et notamment sa tendance publique, Démocratie socialiste, alors affiliée à la IVe Internationale, entreprend de mener des débats stratégiques sur la manière d’intégrer l’économie populaire solidaire et l’autogestion dans un projet socialiste. Elle considère comme fondamental que les marxistes révolutionnaires -dans un contexte de crise de l’hégémonie néolibérale- réfléchissent à la définition d’un « nouvel internationalisme anticapitaliste et l’affirmation d’un projet alternatif ».
C’est dans ce contexte que s’inscrit l’article de Sérgio Kapron : » Economia popular solidária: Uma perspectiva anticapitalista « , militant de l’économie solidaire et membre de cette tendance, il l’a rédigé en 2001. Dans sa contribution, il tente de définir ce que pourrait être une « perspective de développement national alternatif au capitalisme » reposant sur une « économie composée par des producteurs-travailleurs associés et autogestionnaires ». Il considère comme nécessaire la nécessité d’ « affronter le débat sur l’organisation de l’économie sous le socialisme » et de réfléchir « sur l’organisation de la production, y compris dans le mode de production capitaliste » sans le repousser à la « période post-révolutionnaire ». Il confronte sa réflexion à la pensée d’Ernest Mandel qui considérait comme « réformiste, la recherche de la démocratie économique sans le renversement de l’Etat bourgeois » ou celles des marxistes révolutionnaires défendant la « centralité de la rupture politique dans la prise de pouvoir ». Ou bien encore à celle de Rosa Luxemburg dans « Réforme ou Révolution » concernant le rôle des coopératives dans une économie capitaliste qui ne feraient qu’ « accroître l’exploitation des travailleurs ».
Sans renier ces « contributions essentielles à la lutte des travailleurs », l’auteur juge indispensable d’intégrer la « sphère économique, déterminante pour les formes de domination dans n’importe quel mode de production et les organisations sociales que cela a engendré » car elles peuvent « constituer un espace important d’accumulation de forces des travailleurs ». Il estime que planter « le graines de l’économie socialiste » peut servir à approfondir les contradictions du mode de production actuel. En effet, il ne faut pas se bercer d’illusions sur la « simple augmentation du nombre d’entreprises autogérées » dans un système capitaliste hégémonique mais les entreprises autogérées « peuvent jouer un rôle de cohésion pour les travailleurs » et « jeter les bases de la démocratie économique des travailleurs ».
Sérgio Kapron n’élude pas les limites économiques des gouvernements de gauche, confrontés au risque « réformiste simple » et susceptibles d’être prisonniers des « contradictions et des limites économiques du capitalisme », dont on sait qu’elles allaient se confirmer ultérieurement avec l’accès au pouvoir de Lula en 2003 mais avec des axes stratégiques bien différents.
L’auteur poursuit en insistant sur la nécessité de « radicaliser la démocratie » et de faire émerger un « nouveau sujet révolutionnaire » reposant sur les « travailleurs-producteurs de l’économie solidaire » et s’appuyant sur la « lutte altermondialiste » pour façonner une « unité anticapitaliste ». Il conclut en déclinant des éléments pour un programme politique autour de l’autogestion et de l’économie populaire solidaire permettant de « construire, à partir de la base économique, des espaces de pouvoir pour renforcer la lutte politique des travailleurs dans la construction d’une alternative au capitalisme ».
En conclusion, si ce texte est un peu daté et que l’accès au pouvoir du PT -sur d’autres bases idéologiques- au niveau fédéral a amplement démontré toutes ses limites, la gauche de ce parti continue néanmoins d’expérimenter localement en développant un tiers secteur. Il nous a semblé utile de traduire ce texte en français : L’économie populaire solidaire : une perspective anticapitaliste pour éventuellement en tirer des enseignements et surtout susciter le débat sur la définition d’un projet anticapitaliste, intégrant l’organisation et le contrôle de la production par les travailleurs.
Richard Neuville