Le 3 juillet 2014, l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution 1 place la LMDE (La mutuelle des étudiants qui a succédé à la MNEF en 2000) sous administration provisoire, les mandats des étudiants du Conseil d’administration sont suspendus. Le 9 Février 2015, l’administratrice provisoire obtient le placement la mutuelle sous procédure de sauvegarde judiciaire. Pendant une période de six mois, la majorité des salariés ainsi que la gestion administrative devraient être transférés à la Sécurité Sociale. Avec cette expropriation par l’extérieur, c’est la fin d’une histoire qui commence en 1948 par la création d’une mutuelle autogérée, la Mutuelle nationale des étudiants de France, gestion étudiante qui sera expropriée d’abord de l’intérieur.
Création et conquêtes
La création d’une sécurité sociale généralisée prévue par le Conseil national de la Résistance se heurte après la Libération à l’opposition des professions libérales et indépendantes soucieuses de ne pas être soumises aux salariés au sein d’un même régime. Dans la même période, la question d’une couverture sociale se pose pour les étudiants.
Car si les 120 000 étudiants sont issus des couches plutôt favorisées, cela n’implique pas de bonnes conditions sanitaires. La tuberculose les touche particulièrement et, depuis les années 1920, c’est une des principales préoccupations des associations étudiantes et de leur union nationale, l’UNEF. Décidé en 1923 par son congrès de Clermont-Ferrand, c’est en 1933 que s’ouvre à Saint-Hilaire du Touvet le premier sanatorium des étudiants sous l’égide d’une Fondation santé des étudiants de France 2. Dès l’époque, les problèmes d’équilibre entre les pouvoirs, « étudiant », étatique et médical, se posent au sein de la Fondation et de ses établissements.
Se reconstruisant sur une base syndicale lors du congrès de Grenoble en avril 1946 3 l’UNEF considère dans sa charte l’étudiant comme un « jeune travailleur intellectuel » ayant « droit à une prévoyance sociale particulière dans les domaines physique, intellectuel et moral. » Pour arriver à un système géré par les intéressés eux-mêmes, il a fallu surmonter deux types de résistances. Une résistance interne, notamment dans les filières menant aux professions indépendantes et libérales (droit, médecine), désireuses de s’intégrer ce qu’ils pensent être leurs professions futures, et donc dans leurs régimes, avec la volonté politique d’échapper au mélange dans un même régime avec les « ouvriers » (et leurs syndicats). Des réticences externes, puisqu’il n’allait pas de soi pour les administrations, plus globalement pour le monde des adultes, de confier une telle gestion aux jeunes et à leurs associations. De 1946 à 1948, en deux années d’intense travail de conviction sur les deux fronts, l’équipe dirigeante de l’UNEF arrive à un double résultat : l’intégration des étudiants dans le régime général (avec une sorte de régime particulier : « cotisation symbolique » non assise sur un salaire inexistant, la non couverture des accidents de travail, vieillesse, invalidité, décès, etc…) avec la loi du 23 septembre 1948, et sa gestion par une mutuelle étudiante. Le 25 octobre 1948 la MNEF est fondée au Palais de la mutualité par les représentants des AGE de l’UNEF. Le principal maître d’œuvre, Charles Lebert, pouvait se réjouir : «Le législateur allait confier la gestion de la sécurité sociale étudiante qui n’existait pas encore à une mutuelle qui existait encore moins. »
Cette époque des années 1950 et 1960 est celle de conquêtes rendues possibles par un fort investissement militant compensant des moyens matériels faibles : prévention étendue contre la tuberculose, deux dispensaires (Paris, Lyon), un centre de vaccination (Lille), le Comité national universitaire pour la santé mentale et le BAPU (bureaux d’aide psychologique universitaire), une maison de repos dans le Var, un centre de vacances en Corse, une coopérative, l’Uni-club. La MNEF – bravant les interdits – crée un centre d’orthogénie en 1972, en lien avec les mouvements sociaux.
Les contraintes
La gestion étudiante va se trouver confrontée à plusieurs types de contraintes, dans un contexte de massification des effectifs de l’enseignement supérieur. Il ne faut pas oublier que conçue quand le nombre des étudiants atteignait à peine plus de 120 000 au plan national, avec une sociabilité effective dans des facultés – notamment en province – aux effectifs ne dépassant guère les quelques centaines d’étudiants – les vagues montantes des années 1950 et 1960 modifient le paysage tant national que local. De 123 000 en 1946 et 214 000 en 1960, ils sont 661 000 en 1970, cinq fois plus qu’aux origines de la mutuelle qui n’avait pas changé de structure.
Aux difficultés matérielles de l’augmentation de la consommation de soins, des dossiers à traiter, s’ajoute la distance entre la masse étudiante et ses représentants, et surtout les contraintes financières que les pouvoirs publics dressent. Ces contraintes sont en partie « gestionnaires », et en grande partie politiques, le gouvernement gaulliste ayant, depuis la guerre d’Algérie et les années 68, une profonde hostilité au mouvement étudiant, son syndicat et sa mutuelle.
D’ailleurs, les pouvoirs publics des années 1970 vont soutenir les « mutuelles régionales », ce qui va introduire une logique de concurrence avec tous les effets pervers d’une telle situation.
L’affaiblissement puis l’éclatement du syndicalisme étudiant vont, dans ce contexte, approfondir les difficultés. La MNEF avait été créée par l’UNEF et, tout en ayant son autonomie, le « contrôle étudiant » s’exerçait aussi par un contrôle syndical. Les congrès des deux organismes, se suivant l’un l’autre, se tenaient dans les mêmes villes, avec souvent les mêmes délégués . Les penchants « gestionnaires » pouvaient être ainsi contrebalancés par des discussions plus politiques, la mutuelle n’apparaissant pas comme un simple « service » de type administratif étant pleinement partie prenante du « mouvement étudiant ». Les scissions qui ont affecté l’UNEF (1961, 1970), son affaiblissement numérique (d’un étudiant syndiqué sur deux, on passe à moins de 10% en 1968), le départ de courants d’extrême-gauche dans l’après 1968 « libèrent » la MNEF de ce contrôle syndical. En réalité, c’était laisser la place libre à un autre type de contrôle.
La gestion étudiante expropriée
C’est dans ce contexte que dans les années 1970 va s’opérer une autonomisation de ce qui va constituer un appareil mutualiste. L’on s’est beaucoup intéressé à la dimension « politique » de cette histoire. Il est vrai que l’alliance de fait, constituée entre les socialistes « mitterandistes » et les « lambertistes », dominant une des deux UNEF, avec la bénédiction de Force ouvrière, pour limiter les ambitions en milieu étudiant du Parti communiste, amène à penser la MNEF comme « pouponnière » du PS (ou – dans d’autres formulations plus scientifiques – en tant qu’un des lieu de formation d’élites politiques). Les trajectoires de dirigeant socialistes tels que Jean-Marie Leguen, Jean-Christophe Cambadélis ou d’autres illustrent cet aspect. Mais ce n’est qu’une dimension, la plus visible, mais pas la plus importante, d’un processus qui dépasse les quelques personnages les plus connus.
La mutuelle, c’était des administrateurs étudiants d’un côté, dirigeant un personnel salarié. Les tensions classiques entre bénévoles élus et personnel salariés dans ce type de configuration – par exemple dans le milieu associatif – sont exacerbés chez les étudiants avec la succession rapide des générations étudiantes et les conflits fréquents (et incompréhensibles pour les salariés) entre tendances. Ceci engendre une instabilité là où le personnel tient pour son travail à de la continuité. Il y a donc contradiction entre cette « démocratie étudiante » quelque peu fougueuse et l’aspiration à la stabilité, avec des objectifs clairs, du côté du personnel.
Les pouvoirs publics, et la CNAM, notamment dans la période Mitterand, en réhabilitant « l’entreprise » (ère Tapie), en acceptant le libéralisme européen en matière d’assurance, ont entraîné la MNEF à diversifier ses activités et à constituer des filiales. Pour « une bonne gestion » ils ont imposé à la mutuelle étudiante la création d’une Direction générale distincte du conseil élu. Bien évidemment, pour conduire au quotidien cette multitude de filiales il a fallu des modes de gestion adoptant de plus en plus les méthodes commerciales, surtout dans une concurrence avec les autres mutuelles et avec les sociétés d’assurance. De telles méthodes ont échappé au contrôle étudiant. Derrière les administrateurs, dépossédés de tout pouvoir réel, les « gestionnaires » professionnalisés ont pris le pouvoir. Puisqu’il n’y avait plus de syndicalisme étudiant digne de ce nom pour mobiliser face à l’Etat et aux institutions, le « réalisme » des gestionnaires a privilégié les négociations de couloir, le lobbying et la multiplication de liens en coulisse avec une diversité de soutiens possibles. La véritable équipe dirigeante de la MNEF en cette fin des années 1980 s’était professionnalisée, mêlant en une parfaite osmose des éléments issus de l’action syndicale et politique (notamment des socialistes, qu’ils soient « de souche » ou de nouveaux venus après 1986), et des personnels formés dans les grandes écoles et écoles de commerce. Là où la mutuelle recrutait lors des « campagnes d’inscription » des militants, elle embaucha des « commerciaux » pour vendre les « produits ». Le secrétaire général Spithakis a été l’incarnation personnifiée de ces deux caractéristiques. Les phénomènes de corruption étant inhérents à l’adoption d’un système plus proche de l’entreprise, du groupe de sociétés (même d’économie sociale), sans transparence, l’esprit mutualiste, démocratique, de transformation était mort depuis longtemps quand dans un dernier sursaut en 1999 les syndicats étudiants en ont tenté la reconquête. La MNEF fut dissoute en 2000, prix d’une « professionnalisation » d’un pouvoir gestionnaire aux antipodes de l’autogestion.
Pour aller plus loin :
Un « dossier MNEF » avec articles, notes de lecture, bibliographies et biographies sur le site du Germe. http://www.germe-inform.fr/?p=934
Notes:
- Autorité administrative indépendante chargée de surveiller les banques et les assurances en France. ↩
- Didier Fischer & Robi Morder, La Fondation santé des étudiants de France au service des jeunes malades depuis 1923, Clermont-Ferrand,, Un, deux… quatre éditions, 2010. ↩
- Robi Morder (coord), Naissance d’un syndicalisme étudiant, 1946 la charte de Grenoble, Paris, Syllepse, 2006. ↩