Jean-Philippe Legois, archiviste et historien des mouvements étudiants, notamment des années 68, coprésident de la Cité des mémoires étudiantes et un des responsables du Germe est décédé lundi 25 mars à Paris. Jeudi 4 avril se déroulent ses obsèques. Nous republions en guise d’hommage cet article(*).
L’étude de cette expérience syndicale étudiante que fit PSA est encore à mener. Cet article ne se veut qu’une contribution partielle, voire partiale, visant à débroussailler les axes d’attaque possibles de recherches à venir sur cette organisation étudiante, que l’on pourrait qualifier d’emblée comme un des avatars de l’hypothétique Syndicalisme révolutionnaire étudiant. Ce ne sont donc que quelques pistes proposées par un chercheur, travaillant sur une autre période de l’enseignement supérieur et du mouvement étudiant[1], mais Qui a connu ce syndicat en tant que militant. Aussi est-ce également un petit exercice de mise à distance critique d’une expérience militante vécue.
C’est en 1982 que se crée, en étroite liaison avec la CFDT, le syndicat étudiant « Pour un Syndicalisme Autogestionnaire » (PSA). Depuis mai 1980, le paysage syndical étudiant se résumait, hormis le cas spécial de l’Uni[2] au face-à-face Unef (dite renouveau)/Unef-Indépendante et Démocratique[3], née de la fusion du Mas et de l’Unef-US (lire par ailleurs). La CFDT, qui était restée sans partenaire étudiant avec la dissolution du Mas, est alors , prête à retenter l’expérience de soutien à la création d’une organisation étudiante, mais en se donnant certaines garanties. Une rencontre a lieu entre la confédération et l’équipe fondatrice de PSA le 2 novembre 1982 ; cette équipe est d’ailleurs menée par une personne bien connue de la Confédération, puisque ce n’est pas moins que Jacques Maire, fils d’Edmond Maire, le secrétaire général de la CFDT d’alors.
Est alors établi un « contrat » entre les deux organisations syndicales, où apparaissent clairement les demandes de la CFDT à PSA en échange de son soutien logistique (impression, tirage,.,.), notamment la « volonté d’un fonctionnement qui assure à PSA une démarche démocratique et qui, pour cela, exclut l’organisation de tendances ou fractions »[4].
Côté étudiant, cette volonté de reconstruire une troisième forcé syndicale correspond à la convergence de plusieurs forces militantes : une partie des rocardiens, jusqu’alors militants de I’Unef-ID, et les jeunes du PSU, sont le pivot politiqüe et idéologique de ce nouveau syndicat, ce qui explique une définition idéologique du projet syndical ambivalente et/ou polysémique : « PSA est une association indépendante, carrefour de différents courants (humanisme, socialisme démocratique, libertarisme…) fermement attachés au pluralisme »[5]. Cette ambivalence se retrouve dans la définition même, de l’autogestion, comme nous le verrons un peu plus loin. Sur le plan des forces militantes étudiantes qui vont se retrouver dans cette nouvelle organisation, là encore une extrême variété : en plus des rocardiens et ESU (Etudiants socialistes unifiés), déja signalés, ajoutons, pêle-mêle, étudiants libertaires, des alternatifs, à la gauche de la gauche, des étudiants politisés, mais non encartés, mais encore des écologistes, d’autres militants socialistes, voire trotskistes, peu représentatifs des orientations de leurs courants respectif
C’est dans ce contexte organisationnel que PSA tient son premier congrès ordinaire en 1984 et commence, parallèlement, à intervenir au sein du milieu étudiant et de l’institution universitaire.
UNE POSITION MARGINALE AU CŒUR DES ANNÉES 80
Les archives de PSA laissées à la CFDT reflètent bien l’activité de ce syndicat dans la période des années 80[6]. Une activité marquée par la position marginale de PSA dans le champ syndical étudiant
Une des spécificités de ce courant syndical alternatif, et ce depuis les années 60, est bien de tenter de développer des axés de transformation pédagogique de l’université. Pour PSA, cela s’est traduit par un travail relativement constant, tout au long de sa petite décennie d’existence, pour une évaluation des enseignements, et donc des enseignants par les étudiants[7]. Une campagne avait également été menée sur l’échec en premier cycle.
On retrouve cette volonté de transformation de l’université dans son attitude vis-à-vis de la loi Savary, que PSA critique globalement et tente d’infléchir en lançant de petites mobilisations, avec la tendance LEAS de TUnef-ID « pour une réforme de gauche »8[8]. La mobilisation contre Je projet Devaquet, en novembre-décembre 1986, suscitera des pro longements critiques, notamment des états généraux, en mars 1987, où l’on retrouve, dans la mesure du poids d’un syndicat marginal tel que celui-ci, des militants de PSA[9].
En dehors de ces spécificités, il semble opportun de devoir classer ce syndicat dans une certaine tradition « mouvementiste », pour reprendre une caractérisation de Robi Morder[10], à savoir une certaine priorité donnée à la mobilisation, la lutte, plutôt qu’à la négociation. C’est évidemment à nuancer, notamment quand on regarde le projet syndical originel, tel que formulé dans le préambule aux statuts de PSA : « PSA est animé de la conviction que le conflit et la négociation sont le moteur de la dynamique sociale »[11]. Mais, malgré ces déclarations originelles et ses relations fortes avec la CFDT, privilégiant, elle, de plus en plus, la négociation, PSA du fait de sa position, ne peut se permettre une ligne basée principalement sur la négociation : la revendication, voire L’agitation, alimentent sa construction syndicale. Pour ne prendre que cet exemple, une des réussites d’implantation de PSA fut l’université de Paris fl-Assas[12], où les réseaux militants d’extrême droite sont très puissants et où PSA fut, pendant très longtemps, le premier syndicat étudiant de gauche présent (au prix de rapports de force, y compris physiques).
Une dernière donnée pourrait expliquer ce positionnement mouvementiste : Unef-ID, syndicat majoritaire aux élections universitaires, prône elle-même, à cette époque, une orientation basée sur la négociation, ce qui rend encore plus difficilement gérable le positionnement de PSA Marginal dû fait de ses forces militantes et de sa représentativité, le syndicat ne peut se permettre un discours de type majoritaire.
Cette marginalité est renforcée par l’échec électoral relatif de PSA qui ne parvient pas à obtenir assez d’élus pour avoir un siège au Cneser, ce qui lui aurait permis d’acquérir le statut de représentativité et des financements le rendant moins dépendant de la CFDT[13].
Toutes ces activités syndicales seraient à analyser plus en profondeur afin d’en saisir la nouveauté, les potentialités de développement ou les limites et impasses.
DES MULTIPLES VISAGES DE L’AUTOGESTION
L’étude de PSA serait enrichissante sur un autre plan encore : quel a été le devenir de l’idée autogestionnaire, dans les années 80, au sein du mouvement étudiant ?
Dans l’ensemble des mouvements sociaux et, plus particulièrement, au sein du mouvement ouvrier, l’autogestion, après avoir été « digérée » par le PS, puis le PC, connaît une perte d’audience. La CFDT, elle-même, pourtant im de ses foyers de développement au milieu des années 60, se recentre et met en sourdine cette thématique[14]. Il est donc intéressant de voir comment cette thématique est portée au sein du milieu étudiant au fil des années 80.
On retrouve à PSA toute l’ambiguïté de la notion d’autogestion… Toute la complexité et la richesse également. L’autogestion peut en effet correspondre à un projet de société, à un mode d’intervention et à un mode de fonctionnement Toutes ces dimensions, tous ces visages se retrouvent dans le projet et la pratique du syndicat autogestionnaire. PSA affirme clairement dans son préambule sa volonté de « transformation en profondeur de la société française contemporaine ». Une définition hautement politique du type de société recherchée est donnée, au-delà de la sirtiplé volonté de changer celle-ci : « PSA affirme son rejet de l’organisation sociale qui découle du capitalisme. Le projet de société dont elle est porteuse est celui du socialisme autogestionnaire ». La définition plus précise d’une société autogestionnaire n’est que peu développée et dépend des différentes sensibilités militantes, mais cette pluralité de l’autogestion est non seulement intégrée, mais affirmée dès le départ[15].
Cependant, parallèlement à cette définition politique du projet syndical, nous avons vu plus haut un refus, appuyé par la CFDT, de la mainmise d’un groupe politique sur le syndicat Cela correspond pleinement à l’orientation syndicaliste révolutionnaire, héritée de la charte d’Amiens de 1906 : le refus d’une dépendance politique, mais pas de refus de la politique. Ainsi, le projet syndical autogestionnaire tente la voie d’une autonomie politique, ce qui, depuis 1968, correspond à certains enjeux du mouvement étudiant pris en tenaille entre un désir de’ politisation et une dynamique de « groupuscularisation » engendrée par cette politisation.
Cela fonde également un refus de la tutelle politique pouvant déboucher sur le refus de positions politiques elles- mêmes afin de ne pas faire le jeu de tel ou tel groupe, ce qui, dans la période d’existence de PSA, a pu se reproduire à plusieurs reprises. C’est un des paradoxes de la période d’avoir vu des recentrages politiques et syndicaux s’opérer sous la bannière de l’autogestion.
L’autogestion incarne également un certain mode d’intervention privilégiant la base, plus proche de la démocratie directe que de la démocratie représentative. Pour PSA, deux types d’épreuves permettent de tester la pratique syndicale autogestionnaire r les mobilisations étudiantes et les élections universitaires.
L’auto-organisation des luttes étudiantes est une des traductions concrètes de l’orientation syndicaliste autogestionnaire. Depuis mai 68, c’est d’ailleurs un des modes de gestion des mobilisations partagé par la plupart des forces militantes étudiantes, même les plus autoritaires : les coordinations permettent en effet de gérer une mobilisation ponctuelle sans remettre en cause les chapelles organisationnelles, au cours des années 70 comme en 1986. Pour des mobilisations de moins grande ampleur, l’auto-organisation se traduit par des assemblées générales, où la gestion du mouvement doit revenir à l’ensemble des étudiants mobilisés. Pour un syndicat comme PSA, l’enjeu n’aura pas été uniquement d’imposer un tel mode de mobilisation, mais de l’articuler aux autres aspects nécessaires de l’autogestion, le projet d’université et le projet de société ainsi que le mode de fonctionnement d’une structure syndicale prolongeant le mouvement
L’autre épreuve est constituée par les élections. Ce n’est pas ici des résultats qu’il s’agit pour analyser le mode d’intervention d’un syndicat étudiant comme PSA, mais plutôt de la manière dont les militants PSA se présentent aux suffrages de leurs camarades. Car, depuis que la participation étudiante a été instaurée par la loi Faure[16], nombreux sont ceux, notamment dans les différents courants syndicalistes révolutionnaires étudiants, qui critiquent radicalement cette « fausse » démocratie visant simplement à intégrer les structures étudiantes aux pouvoirs universitaires. Aussi les militants de PSA pouvaient se poser légitimement la question de présenter ou non dés listes aux élections universitaires. La question a-t-elle même perturbé les discussions syndicales ? Pour beaucoup, la participation aux élections semblait être un moyen parmi d’autres de porter une orientation syndicale, y compris dans une logique de tribune, et de recueillir de l’information sur les projets et décisions prises pour l’avenir des étudiants et de l’université. La préoccupation autogestionnaire restait présente uniquement, au mieux, dans l’articulation entre les élus et les militants de la section syndicale et dans la volonté (partiellement réalisée) de rendre compte régulièrement de son mandat auprès des étudiants.
Pour ce qui est de la troisième forme de l’autogestion, à savoir le mode de fonctionnement de la structure syndicale, on retrouve à PSA un certain nombre de caractéristiques d’un fonctionnement autogéré.
La logique fédéraliste est palpable dans la définition de la section d’établissement comme instance de base du syndicat, mandatant ses représentants, non seulement pour les congrès, mais pour les collectifs de coordination nationale (CCN), « assemblée permanente des sections » se réunissant toutes les six semaines, mandatant elle-même et contrôlant l’activité du collectif d’animation (CA), exécutif du syndicat[17]. Un état d’esprit « priorisant » la démocratie à la base est présent dans les documents de présentation du syndicat : « si la section est autonome, ce n’est pas seulement par un souci d’adaptation aux réalités locales. C’est un des principes de PSA. Les sections ne sont pas contraintes par les directives nationales ; c’est au national de leur démontrer l’intérêt de ce qu’il propose »[18].
Le fait de mandater ses délégués, en réunion de section, en ayant discuté de l’ordre du jour, relève d’un même souci de réelle démocratie syndicale. Toutefois, il est bien évident que ces principes ne peuvent être validés que par une pratique réelle et régulière. L’analyse du fonctionnement d’un syndicat ne peut se faire que par le recoupement des sources écrites et de témoignages oraux.
Nous venons de voir que chaque visage de l’autogestion étudiante comporte ombres et lumières. La question de savoir si chacun de ces visages rien forme qu’un reste également ouverte;
n est en tout cas certain que l’expérience PSA est originale, non seulement du fait des différentes caractéristiques que nous avons tenté de dégager, mais aussi du fait du contexte politique, syndical, universitaire et idéologique dans lequel cette expérience a été menée. Avis donc aux amateurs !
(*) Jean-Philippe Legois, « l’historien, l’archiviste, l’ami » fut membre du syndicat étudiant PSA, et en fit l’histoire à partir des archives dans La Revue de l’Université n° 19 en 2000 dans un dossier consacré aux expériences syndicales autogestionnaires étudiantes. Dans le même numéro Robi Morder avait publié « Le Mouvement d’action syndicale, brève histoire d’un syndicalisme autogestionnaire ». Jean-Philippe avait publié aux éditions Syllepse 33 jours qui ébranlèrent la Sorbonne en 2018, et il avait participé à la journée que nous avions coorganisée, « L’autogestion en mai 1968 » en octobre 2018, lors de la séance « dans les collèges, les lycées et les universités ». (à partir de la minute 57).
[1] Jean-Philippe Legois travaille sur les mouvements de réforme et de contestation au sein de l’université autour des années 70 : La Sorbonne avant mai 68, maîtrise d’histoire, Paris 1, 1993, 318 p ; Critique de l’université et université critique, DEA d’histoire, Paris 1, 1996, 100 p. et contributions régulières aux Cahiers du Germe.
[2] L’Uni a, effectivement, la spécificité de ne pas une organisation uniquement étudiante, mais de grouper également personnels, notamment enseignants, de l’enseignement supérieur.
[3] Sur la scission de l’Unef, en 1971, voir notamment : Robi Morder, « La scission de l’Unef » dans La Revue de l’Université, n° 10,1997.
[4] Extraits du « contrat entre CFDT et PSA ». Consultable aüx archives confédérales de la CFDT (cote du carton : SSE1). Un peu plus loin, dans ce même contrat, la CFDT réaffirme « son refus d’apporter quelque caution que ce soit à tout syndicalisme étudiant qui serait sous l’emprise dé partis ou qroupuscules politiques utilisant le mouvement étudiant comme relais à des démarches et objectifs extérieurs à lui-méme ». L’article 15- des statuts fait de l’organisation de tendances, courants ou fractions, un motif de radiation d’adhérents ou de sections.
[5] Extrait du préambule, « annexe aux statuts de PSA », idem.
[6] Le fonds PSA versé aux archives confédérales de la CFDT comporte une cinquantaine de cartons sur 5 mètres linéaires. Pour en savoir plus, contacter la responsable dès archives confédérales, Annie Kuhnmunch au 4 boulevard de la Villette, 75019 Paris (tél. 01 42 03 80 35). Des archives concernant PSA sont très probablement conservées au sein des fonds des secrétaires confédéraux ainsi que dans les fonds des fédérations telles que le Sgen. Pour ces archives, voir Française de Dricburt, responsable.. des archives interfédéraies, 47, avenue Simon Bolivar, 75019 Paris.
[7] Un des cartons du fonds PSA est consacré à cet axe de travail.
[8] Cf. Robi Morder, Revendications-négociations : débats et pratiques dans le syndicalisme étudiant en France (1976-1989), p. 120. La tendance Luttes étudiantes action syndicale (LEAS), est une tendance animée par les militants trotskystes de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR).
[9] Fonds PSA,3SE38 et 39.
[10] Robi Mordet-, op. cit. .p. 25-31.
[11] Affirmation se terminant par « C’est dans ce cadre que PSA prend en comte ta lutte des classes », extrait du préambule.
[12] À tel point qu ‘aujourd’hui encore, plus 4e 8 ans après la dissolution du syndicat ssaiional, le syndicat local, devenu PSA-Unef-ID existe toujours sous cette appellation.
[13] C’est une des raisons qui a accéléré le processus de désintégration du syndicat étudiant aboutissant où congrès de dissolution en janvier 1991.
[14] Sur l’étude historique de la thématique autogestionnaire, voir les travaux de Frank Georgi. Par exemple, article « Autogestion » dans Emmanuel dé Waresquiel (sous la dir. de), Le siècle rebelle : dictionnaire de la contestation au 20e siècle, Paris, Larousse, 1999, 671 pages, p. 57-58.
[15] « PSA est une association indépendante, carrefour de différents courants (humanisme, socialisme démocratique, libertarisme) » (extrait du préambule). A noter, dans les archives nationales de PSA, un carton « Autogestion » (SSE13).
[16] Cf. Robi Morder, “L’Unef et la question de la participation”, La Revue de l’Université, n° 13, 1997-1998, 73-81.
[17] Cf. articles 6, 7, 10, 11,12 et 14 des statuts ainsi que le document “Le B.A.BA des structures”, 5 p.
[18] Le B.A.BA… », op. cit.,partie 4 “La section”, p. 3: