Pour faire face à la désindustrialisation, des anciens travailleurs d’une usine de pièces détachées automobiles de la banlieue de Milan, rejoints par des artisans et des militants de différents horizons, tentent de redonner vie à ce lieu. Dans un contexte urbain où la Mafia n’est pas loin, une étonnante rencontre entre ville et campagne qui donne naissance à de multiples activités…
Banlieue de Trezzano au sud-ouest de Milan, zone mixte d’habitation et de locaux professionnels, symbole de la florissante industrie automobile italienne. Dans une rue parallèle à la Viale Leonardo da Vinci qui nous sort de la métropole, une usine joliment graphée de slogans appelant à la résistance et à la renaissance : nous voilà dans les anciens locaux de Maflow, un équipementier italien de premier plan, aujourd’hui en faillite après avoir été racheté par le groupe polonais Boryszew.
Depuis 2012, ses anciens travailleurs ont décidé de ne pas céder au désespoir vite rejoints par des militants associatifs milanais qui, ensemble, cherchent à réinventer le lieu. Dans un premier temps, les anciens travailleurs en cassa integrazione 1 ont joué le jeu de la reprise par Boryszew en cherchant à démarcher de nouveaux clients. Peine perdue dans l’Europe post-crise de 2009 où il y a bien longtemps que la production s’est décentrée dans les pays périphériques à plus bas salaires. Comment dès lors rebondir ? C’est ici que l’imagination doit reprendre le dessus pour repartir des besoins de la population.
Luca Federici, militant de RiMaflow, nous accueille à l’entrée du lieu ce samedi 31 octobre 2015. Un jour d’effervescence pour Rimaflow : l’ancienne usine accueille l’assemblée bi-anuelle de Genuino Clandestino, une association volontairement informelle de paysans qui refusent, à l’instar de Kokopelli en France, la normalisation obligatoire des semences et le retour à une authenticité des produits agricoles. Des paysans sur un site industriel ? Le lien avec la terre n’est pas une nouveauté pour RiMaflow. Dès le début de l’occupation du site, ils prenaient contact avec l’association Libera qui remet en culture les terres confisquées à la Maffia dans le sud de l’Italie. Avec les citrons du Mezzogiorno – en provenance des producteurs auto-organisés de SOS Rosarno, qui avaient appuyé la révolte des ouvriers agricoles africains en 2010 contre les propriétaires qui ne les payaient pas correctement – ils ont réalisé un limoncello 2 immédiatement baptisé Rimoncello : ça ne s’invente pas ! Très vite, le lieu a aussi accueilli des marchés paysans.
Une nouvelle coopérative est installée dans une partie des locaux : des palettes en bois soigneusement rangées sur le côté et des morceaux au centre de l’atelier en attente de réassemblage. « La coopérative I.E.S., liée à Caritas est issue d’un partenariat avec l’association Libera qui combat la maffia nous indique fièrement Luca. Elle récupère et reconditionne les palettes dans un souci écologique. » Il est vrai que celles-ci sont devenues incontournables pour tout hangar ou centre logistique et sont probablement des produits à très bas prix. Comment dès lors envisager un recyclage de celles-ci tout en restant compétitif ? « C’est ici que la notion de prix juste qui rémunère correctement les travailleurs doit être défendue dans nos relations commerciales » explique Luca. La notion de commerce équitable réapparaît ici, sauf qu’elle tente de s’appliquer dans un contexte d’échanges dans un même pays du Nord.
C’est que l’imagination ne manque pas parmi les protagonistes du projet RiMaflow. Plus surprenant encore, ces espaces fermés où des objets hétéroclites sont entassés. Dans un box, des vieux meubles, dans un autre, de l’outillage de construction, ailleurs des équipements électroniques. Gigi Malabarba, ancien sénateur de Rifondazione Comunista, aujourd’hui totalement impliqué dans ce projet, nous accueille dans ces immenses allées : « Nous fournissons ce service de stockage à prix modéré à toute une population en manque d’espace ou qui souhaite développer une activité économique. » RiMaflow a même décidé de conserver sur place les archives d’Antonio Caronia, militant politique, écrivain et artiste, récemment décédé. Un bâtiment plus loin, surprise : des dizaines de camping-cars sont parqués en attente du prochain été : « dans le même esprit, nous mettons au service la population cette formule de parking de longue durée à un prix raisonnable : une façon comme une autre de rendre utile un lieu abandonné » nous confirme Gigi. Il y a quelques années, Rimlaflow avait lancé un espace « Fuori Mercato » 3 dans lesquels les artisans, les producteurs agricoles locaux pouvaient exposer et vendre leur production avec, au centre, une cafétéria-restaurant proposée par les anciens de Maflow. De vingt au départ, ils sont aujourd’hui une quarantaine de travailleurs, tous réguliers dans la Cooperative RiMaflow ou dans l’Association Fuorimercato : charpentier, tapissier, soudeur, artiste, réparateur d’ordinateurs et d’appareils électroniques, designers… Toutes les activités devant sortir du travail au noir, d’autres ateliers artisanaux sont en voie de régularisation.
Mais la mairie PD 4 ne l’entendait pas ainsi et à fait fermer la cafétéria-restaurant du simple fait que les lieux sont industriels et ne peuvent servir à accueillir du public. Une posture pour dissuader les occupants du lieu afin de rendre possible une future opération spéculative immobilière ? « Le propriétaire du lieu, le géant bancaire italien Unicredit, semble plus pragmatique, commente Gigi. Après trois années d’occupation, peut-être qu’il sera prêt à signer un arrangement avec la médiation de la Préfecture de Milan ? » Car la Ndrangheta 5 s’est massivement réinvestie dans cette banlieue milanaise. « De somptueuses villas, des restaurants qui recyclaient l’argent sale ont été récemment saisis » précise Gigi. Inutile de dire que celle-ci est à l’affût de la moindre opération immobilière et saura se positionner le moment venu. Probablement ce qui explique le soutien affiché de Don Luigi Ciotti, le prêtre anti-mafia, président de l’association Libera, à l’expérience de RiMaflow, un soutien qui contraste avec l’attitude ambiguë de la mairie de Trezzano. En juillet 2015, il a fallu que 150 personnes mobilisées par RiMaflow assistent au conseil municipal, ouvert de droit à la population, pour que la mairie avalise les reprises d’activité… sauf celles de négoce et de restauration. C’est pourquoi le restaurant est désormais associatif et les quarante participants de « Fuori mercato » exposent désormais à l’extérieur de l’usine dans une place mise à disposition par la Commune.
Parmi la vingtaine de personnes anciennement salariées de Maflow, Massimo est fier de nous présenter sa micro-malterie sur la base d’un ancien réfrigérateur : « Aux États-Unis, des petites malteries existent et produisent des bières de haute qualité. Pourquoi ne pas les démultiplier dans les villes pour relancer une production locale de malt plutôt que d’acheter notre bière aux multinationales ? » C’est la magie du lieu de permettre cette rencontre permanente entre ville et campagne. Une initiative qui s’inscrit totalement dans la logique de la réunion de Genuino Clandestino qui a lieu en ce moment.
En fin d’après-midi, se tient l’assemblée générale de Genuino Clandestino. À noter la présence de Mondeggi, un domaine agricole de 200 hectares dans la région de Florence que la région comptait privatiser pour y installer des terrains de golf et autres hôtels de prestige. Depuis 18 mois, treize ingénieurs agronomes renommés se sont installés sur les lieux et comptent, avec 7 anciennes exploitations, relancer l’agriculture dans une logique de bien commun. Réunion en cercle, sans hiérarchie aucune, chacun prenant sagement la parole à son tour. Est réaffirmé la volonté de rester ensemble dans un cadre non institutionnalisé. La prochaine réunion aura lieu cet été en Sardaigne.
Le lendemain, effervescence du matin dans les dortoirs improvisés. Tout le monde se prépare à partir au parc du château Sforza au centre de Milan pour tenir un marché paysan, non autorisé bien sûr… Ainsi va la vie à RiMaflow, cette ancienne usine qui cherche en permanence à se réinventer et à nous montrer qu’il y a une vraie vie après la désindustrialisation.
Notes:
- La Cassa integrazione guadagni (CIG) est une institution italienne dont le but est de soutenir financièrement des salariés mis au chômage technique. ↩
- Le limoncello est une liqueur très populaire dans le sud de l’Italie, réalisée à base de citron et qui se boit glacée. ↩
- Le marché dehors ! ↩
- Parti démocrate. Parti issu de l’ancien parti communiste et de transfuges de la démocratie chrétienne qui occupe le centre gauche de l’échiquier politique. ↩
- Mafia calabraise. ↩
Solidaire