gattaz-lenrageUn seul conseil d’entreprise… pour remplacer les DP, CE et CHSCT.

Une négociation sur la représentation des salariés dans les entreprises est engagée. Le patronat se proposant de fusionner les institutions existantes (Délégués du personnel, comités d’entreprise, comités d’hygiène et de sécurité sur les conditions de travail) par des conseils d’entreprise. Mais bien évidemment si le mot conseil se traduit par « soviet » en russe, Gattaz n’entend pas, mais alors pas du tout, aller dans le sens d’une extension des droits collectifs des travailleurs sur la vie des entreprises. Si l’exemple de référence du MEDEF est pour l’occasion celui des comités d’entreprise à l’allemande, il ne préconise pas la cogestion, loin de là ! De surcroît, la proposition initiale supprimait la représentation dans les entreprises de moins de 50 salariés. Ce qui signifie que ce n’était plus 28% mais 53 % du salariat qui travaille dans 96,5 % des 1,5 millions d’établissements qui deviendrait exclu du droit à la représentation 1. On pourrait ainsi étendre à tous ces établissements le constat suivant : « ils constituent ceux pour lesquels l’accès au droit, et au droit du travail en particulier, est le plus difficile » 2. Laissons de côté les évolutions tactiques de la négociation qui voient diverger les positions du MEDEF, de l’UPA (artisans) et de la CGPME, l’important étant ici le fond.

Le MEDEF confirme son hostilité à l’intervention sociale de l’Etat, comme aux garanties collectives que peut apporter la loi. L’accord – notamment d’entreprise – devrait être supérieur à la loi, et c’est donc une invitation à ce que les « partenaires sociaux » établissent les règles dans l’entreprise en rendant les obligations légales… facultatives. Les conseils d’entreprise seraient les seules institutions représentatives ayant l’aptitude à négocier et signer des accords. Exit les syndicats.

graphique 5Cette autonomie revendiquée par le MEDEF n’est évidemment pas celle de l’autonomie qu’implique une démarche démocratique et autogestionnaire. Les minima établis par la loi demeurent des garanties. Faire sauter ces verrous sur la durée légale du travail, le salaire minimum, la représentation du personnel, c’est la porte ouverte à toutes les pressions. Privés de la propriété sociale, subordonnés à l’employeur, dans des rapports de forces le plus souvent défavorables au monde du travail, surtout quand il s’agit de « discuter » entreprise par entreprise, établissement par établissement, le droit de décider se transforme vite en soumission à la volonté de l’employeur

Les garanties collectives ont été, pour les plus importantes, conquises par les grandes mobilisations sociales, ou dans les périodes qu’elles ont ouvert avec des rapports de forces favorables. Les délégués du personnel ont été rendus obligatoires avec la grève générale de 1936, les comités d’entreprise l’ont été après la Libération, la section syndicale d’entreprise reconnue en 1968.

Mais si ces garanties ont été inscrites dans le code du travail, ce dernier n’est cependant pas en soi une conquête des travailleurs. Il s’y exprime, de manière déformée certes, et avec des décalages, les rapports de force. Les comités d’entreprise tels qu’ils ont été inscrits dans la loi sont une réponse à la situation de fait qui existait à la Libération. Des centaines d’entreprises avec des comités, des conseils, parfois en armes, prenant en charge la vie et même la gestion en l’absence de patrons qui avaient prudemment décidé de se mettre au vert (ou au vert-de-gris pour certains). D’un côté la légalisation du CE ont imposé des obligations à toutes les entreprises de plus de 50 salariés, mais leurs prérogatives sont alors bien plus restreintes, limitées quasiment à la seule gestion des « œuvres sociales ». L’extension de ces prérogatives au domaine économique se fera ultérieurement, notamment par les « lois Auroux » de 1982. Et là encore, ces lois Auroux étaient – comme nous le verrons dans un autre épisode sur le « droit d’expression »– en retrait des revendications syndicales, notamment sur les conseils d’atelier et de services.

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Bien que les droits collectifs existant aujourd’hui ne mettent pas fondamentalement en cause le pouvoir patronal de direction, de commandement, de gestion, c’est encore trop pour le Medef. Que les pressions de toutes sortes amènent, notamment dans les très petits établissements et entreprises, à l’absence d’IRP faute de candidats, c’est encore trop. Déjà 40% des entreprises de plus de 10 salariés n’ont en réalité pas de représentants, pour la plupart celles qui comptent entre 10 et 50 salariés 3. L’objectif du patronat, serait-il d’arriver à 100% sans IRP ? Le MEDEF se montre démocrate. Ce sont les salariés eux-mêmes qui se prononceraient dans chaque entreprise pour décider de conserver les institutions ou de les fusionner. Or, le précédent de la DUP (délégation unique du personnel) de 1993 est éclairant 4. La possibilité était offerte dans les entreprises comptant entre 50 et 200 salariés de conserver des DP et des CE séparés, ou de les fusionner, ce qui amenait à la réduction globale du nombre de délégués, d’heures de délégation, et d’heures de réunion. Cette possibilité facultative est rapidement devenue la norme,

En augmentant les seuils sociaux, en fusionnant en un seul conseil DP, CE, CHSCT, cela permettra des économies aux entreprises : moins de délégués, moins d’heures de délégation, moins de temps de réunion, c’est toujours bon à prendre. Le patronat n’a décidément jamais digéré de devoir payer aux salariés ces heures extraites au strict « lien de subordination ».

Quant au gouvernement dont le Premier ministre « aime l’entreprise », il va dans le même sens de limiter les pouvoirs réels des salariés et de leurs représentants. Il a réduit dès l’année dernière 5 les délais de consultation du comité d’entreprise, obligeant les élus du CE et les experts à un travail rapide, et donc à risquer de passer à côté d’éléments importants. Car si les salariés bénéficient de certains moyens, ils sont sans commune mesure avec ceux de l’employeur qui dispose de « son » entreprise, ses services, ses comptables, ses avocats.

Pourtant, les expériences des coopératives, des reprises d’entreprises – quelqu’en soient les limites et les difficulté – ont montré les capacités des salariés en termes de savoir-faire et de compétences. La massification scolaire des dernières décennies ont transformé les qualifications, augmenté les niveaux de connaissance générale ce qui augmente les aptitudes objectives à comprendre et discuter des choix. L’heure n’est donc pas à diminuer mais à augmenter les droits collectifs des salariés. Et pour que ces droits concernent tous les salariés, et pas seulement les élus, il faut le temps pour chacun de s’informer, de se former, de discuter. La réduction du temps de travail donnera du travail à toutes et tous, et du temps pour décider.

Notes:

  1. 83% des établissements comptent moins de 10 salariés, ils emploient 28% de la main d’œuvre salariée.
  2. Rapport de l’inspection du travail 2011.
  3. « Les relations professionnelles au début des années 2010 : entre changements institutionnes, crises et évolutions sectorielles », DARES n° 26 ? 11 avril 2013 http://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/2013-026-2.pdf
  4. La loi quinquennale relative au travail, à l’emploi et à la formation professionnelle a été adoptée le 20 décembre 1993.
  5. Le décret relatif à la base de données économiques et sociales et aux délais de consultation du comité d’entreprise et d’expertise est entré en vigueur le 27 décembre 2013.