Gilbert Marquis vient de s’éteindre. Né en 1930 dans une famille ouvrière d’origine paysanne, ayant commencé à travailler très tôt (vendeur de journaux à 11 ans) il est ouvrier à l’usine Chausson quand il rencontre l’autogestion en Yougoslavie en 1949 ; Il participe en effet – comme tant d’autres – tel Felix Guattari[1]– aux brigades de solidarité organisées par la Quatrième internationale en soutien à une révolution menée sous la direction de Tito contre la volonté de Staline. Face au modèle bureaucratique soviétique, l’autogestion apparaît dès lors porteuse d’une alternative au « modèle » stalinien. Gilbert Marquis adhère à son retour de Yougoslavie au Parti Communiste Internationaliste (PCI), la section française de la Quatrième internationale. Syndicaliste actif, ouvrier à l’usine Chausson de Gennevilliers, puis de Meudon, il devient permanent syndical CGT à la Fédération des métaux de Seine-et-Oise
Ce n’est pas le lieu ici de décrire en détail la vie mouvementée du trotskysme et donc le positionnement de Gilbert à chaque étape de son itinéraire. L’essentiel tient en un choix : celui de la recherche de l’action du sein même du « mouvement réel des masses », comme le choix de l’autogestion qui se confond avec celui fait par Michel Pablo. Gilbert s’engage comme ses camarades du PCI – on citera Henri Benoist, Pierre Avot-Meyers, Simonne Minguet, Michel Fiant[2] parmi tant d’autres[3] – dans le soutien à la révolution algérienne. Après l’indépendance, il est bien évidemment du soutien aux expériences d’autogestion en lien avec Michel Pablo, et Mohammed Harbi. C’est Gilbert Marquis qui sera le gérant de Sous le drapeau du socialisme, qui d’organe de la « commission africaine de la Quatrième internationale » devient après 1965 celui de la TMR4, puis TMRI[4]. Il est bien évidemment à la direction de l’AMR (Alliance marxiste révolutionnaire) à sa fondation en 1969. La convergence des partisans de l’autogestion qui mène du CLAS (Comité de liaison pour l’autogestion socialiste) à l’entrée au PSU en 1974 voit Gilbert devenir membre du bureau national de ce parti. Il y siège avec Michel Fiant et avec Maguy Guillien. Quand, en 1977, la « tendance B » du PSU sort pour former les CCA (Comités communistes pour l’autogestion), il en est bien évidemment un des responsables, suivant le secteur entreprises et surtout l’internationale. Car Gilbert était avant tout un authentique militant internationaliste sans crainte des risques encourus par les multiples facettes qu’un tel engagement implique.
Avec la venue de la gauche au pouvoir après 1981, de nouveaux reclassements s’opèrent, des ruptures, des regroupements dans lesquels les autogestionnaires se positionnent chacun à leur manière. Pour Gilbert, c’est en 1981, la formation à nouveau d’une AMR, la Fédération de la gauche alternative, la campagne Juquin[5] en 1988, à la suite de laquelle se forme l’AREV[6]. En 1993, après la chute du mur de Berlin et la fin de l’URSS, le mouvement de Pablo rejoint la Quatrième internationale, et Gilbert la LCR dont il devient membre du comité central. Il milite dans le 20ème arrondissement de Paris, tout en étant l’animateur de Utopie critique (« revue internationale pour l’autogestion »). Tout en ayant approché de près, par l’entremise de notre camarade Dumé Ghisoni, le mouvement nationalitaire corse au début des années 1980, il accorde de plus en plus d’importance à la nation, sensible à un souverainisme tel celui de Chevènement – qu’il soutient à la présidentielle de 2002, sans toutefois aller sur « l’autre rive ».
On ne peut évoquer Gilbert Marquis sans rappeler Michel Fiant (signant souvent Lucien Collonges) . A la TMRI, Gilbert a comme pseudonyme « Boris Harding », à l’AMR et aux CCA il est « Lenoir » (et parfois quand les CCA écrivent à la TMRI, c’est Lenoir qui écrit à Harding !)[7].
Autant Michel, méticuleux organisateur, pouvait travailler en profondeur la théorie, l’écriture, autant Gilbert, mélange de trotskyste « à l’ancienne » et d’ouverture aux apports nouveaux, était un homme d’action, ayant appris et développé un grand sens pratique, une aptitude (et un culot) au bricolage. Avec des bouts de ficelle il se débrouillait pour faire imprimer des brochures, un journal, et avec un certain don de l’improvisation de faire loger au dernier moment les délégués à un congrès de la TMRI à Paris. Avec sa gouaille et son insolence, et parfois un côté roublard, il savait dire son fait au patron, et entraîner les ouvriers de son atelier. Même dans les discussions internes, en pleine polémique, il savait se tourner vers vous, et d’un clin d’œil, avec son regard espiègle semblait dire « je l’ai bien eu là, non ? ».
[1] Il m’avait raconté que sur le chantier Felix Guatary discutait, alors que lui, Gilbert, travaillait.
[2] Qui devient également son beau-frère
[3] Lire notamment Sylvain Pattieu, Les camarades des frères, trotskystes et libertaires dans la guerre d’Algérie, Syllepse, 2002 ; Simonne Minguet, Mes années Caudron, une usine autogérée à la Libération, Syllepse, 1997 ; Clara et Henri Benoits, avec Jean-Claude Vessilier, L’Algérie au cœur, révolutionnaires et anticolonialistes à Renault-Billancourt, Syllepse 2014.
[4] Exclue en 1965, la Tendance marxiste-révolutionnaire de la 4ème internationale devient en 1972 Tendance marxiste révolutionnaire internationale. L’AMR puis les CCA en seront la section française.
[5] Exclu du PCF dont il était membre du bureau politique Pierre Juquin porte aux élections présidentielles de 1988 une candidature soutenue par le PSU, la LCR, la FGA, différentes strates d’oppositionnels issus du PCF et de nombreux sans parti.
[6] AREV : Alternative rouge et verte, qui devient ensuite Les Alternatifs.
[7] Au PCI il choisit le pseudonyme de « Le Serf », le comble pour un « Marquis »…
Des liens :
- l’article de Serge Marquis sur mediapart.
- Article de Mohammed Harbi pour le Monde
- Sur notre site: Maurice Najman