La décision du tribunal de commerce de Paris est tombée ce 9 janvier 2012 : cessation d’activité et liquidation de la compagnie SeaFrance. Dans quelques jours, les 880 salarié-es de cette entreprise recevront leurs lettres de licenciement, ce qui, n’en doutons-pas, constituera un drame pour de nombreuses familles.
La question des actifs de l’entreprise, en l’occurrence les navires, a été, quoique de façon feutrée, au centre des débats. Pour mémoire, SeaFrance détenait quatre navires dont trois en pleine propriété (Rodin, Berlioz et Nord-Pas-de-Calais) et un en cours de financement (Molière). Le Rodin acheté en 2001, d’une capacité de 1900 passagers, vaudrait, selon la CFDT SeaFrance, 72 millions d’euros. Le Berlioz, plus récent et de même capacité vaudrait 85 millions d’euros. Enfin le Nord-Pas-de-Calais, acheté en 1987 et exclusivement réservé au fret, ne vaudrait plus que 11 millions d’euros. La valeur des navires possédés en pleine propriété par SeaFrance serait donc de 168 millions d’euros.
La proposition de financement de la CFDT de SeaFrance consistait à transférer la totalité de l’actif de la compagnie à la Scop, laquelle aurait été en mesure de revendre un des navires à une société d’économie mixte, pour une somme d’environ 50 millions d’euros, pour le louer ensuite à l’entreprise qui pourrait ainsi l’exploiter. La Scop engrangeait ainsi les 50 millions nécessaires à son fonctionnement. On peut s’étonner que le projet de la CFDT propose le transfert pur et simple de l’actif de la compagnie sans contrepartie financière. Il faut prendre en compte que dans ce cadre, la Scop garantissait de maintenir la totalité des emplois restants à SeaFrance. Il est à noter que l’offre concurrente présentée le 16 novembre 2011 par DFDS et Louis Dreyfus Armateurs ne proposait que 5 millions d’euros pour reprendre l’actif avec 420 nouvelles suppressions d’emplois et sans aucune garantie dans la durée sur les postes restants. On le voit, la proposition de la CFDT est tout sauf ridicule comparée à celle de DFDS/LDA rejetée il y a deux mois par le tribunal de commerce. On peut donc s’interroger sur les motivations de ce Tribunal qui vient de facto de rejeter définitivement l’offre de la CFDT en procédant à la liquidation de l’entreprise.
A qui appartiennent ces bateaux ? D’un point de vue strictement juridique, à SeaFrance, filiale à 100% de la SNCF. Cette dernière étant un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC), on peut donc assurément en conclure que la propriété de ces bateaux est publique, qu’en tant que citoyen-nes, nous sommes copropriétaires de ceux-ci. De ce point de vue, nous serions fondés à exiger de la part des repreneurs, avant ou après liquidation, le meilleur prix pour ces navires. Maintenant que la liquidation vient d’être prononcée, on parle de 36 millions d’euros d’indemnités que la SNCF devra verser aux salarié-es. Est-ce que le tribunal obtiendra pour les navires suffisamment pour couvrir ces indemnités et autres frais de liquidation ? On peut raisonnablement s’interroger quand on se rappelle l’offre de DFDS d’un montant de 5 millions d’euros : en cas de liquidation dans un délai court, les actifs sont souvent bradés. Attendons de voir si la solution qui émergera sera, pour la SNCF, financièrement préférable à celle proposée par la CFDT qui ne coûtait pas un centime au contribuable…
Pour autant, on aurait tort d’appliquer aux biens publics (les navires de SeaFrance) une logique strictement financière et capitaliste. Avant 2008, SeaFrance était une compagnie prospère qui avait réussi à autofinancer deux acquisitions récentes, le Rodin et le Berlioz. La CFDT de SeaFrance fait valoir que ces financements ont été réalisés par le travail des salarié-es de SeaFrance, ce qui est tout, sauf une approche absurde. De ce point de vue, le minimum que devaient garantir ces actifs était le maintien de l’emploi de ces mêmes salarié-es. Or le Tribunal de commerce vient d’en décider autrement et c’est logique : il ne fait que suivre la règle du Capital qui est la recherche de la rentabilité financière.
Le transfert des navires à la Scop faisait passer ceux-ci d’une propriété publique à une propriété coopérative. Les navires auraient appartenu à la Scop laquelle appartient à ses salarié-es. Toutefois, le mode de détention d’une coopérative par rapport à une entreprise classique est particulier : ce ne sont pas les apports financiers qui déterminent le pouvoir mais l’assemblée des sociétaires qui se prononcent sur la base d’une voix par individu. Par ailleurs, à la différence d’une entreprise capitaliste, une part coopérative ne se revalorise pas et les résultats non distribués de l’entreprise constituent des réserves impartageables qui ont la faculté de n’appartenir à personne et donc à tout le monde : ce sont les utilisateurs et travailleurs de l’unité de production qui bénéficient de ceux-ci. C’est une forme non étatique de propriété publique qu’il convient de souligner.
Les salarié-es de SeaFrance, mis au pied du mur par les difficultés économiques et probablement une mauvaise gestion, se proposaient de reprendre l’entreprise, c’est-à-dire de prendre à leur compte les aléas futurs de la gestion de SeaFrance. Position qu’ils ne souhaitaient pas mais qui leur a été imposée par les évènements. Position courageuse et responsable. Position qui les mettaient désormais en position d’acteurs et non plus de salarié-es assujettis à une direction nommée par une autre direction. Dès lors transférer la propriété des bateaux à la Scop ne constituait pas un « bradage » des actifs publics, mais une juste utilisation utilisation de ceux-ci : le maintien de l’emploi. Cela ouvrait la perspective d’une société juste dans laquelle chacun a une place digne : un travail, un revenu et aussi le contrôle démocratique de son devenir. Nul doute que c’est ce dernier élément qui a cruellement manqué à SeaFrance et qui deviendra un thème majeur du débat politique dans les années à venir.
Chérèque envisage l’exclusion de militants
Depuis quelques jours, une campagne se déroule dans les médias contre la section CFDT de SeaFrance parlant de « dérives », de « pratiques obscures et frauduleuses »… Il n’est évidemment pas question pour l’Association pour l’Autogestion de cautionner de tels comportements si ceux-ci s’avéraient réels. Cependant, on ne peut qu’être frappé de la coïncidence entre cette campagne, la décision de liquider SeaFrance et les propos pour le moins surprenants de François Chérèque, secrétaire général de la CFDT. Selon lui, « leur coopérative n’est pas viable ». Il condamne sa section syndicale pour ne pas avoir privilégié la recherche d’une solution avec le groupe Louis Dreyfus, alors que celui-ci travaillait avec l’armateur danois DFDS sur un plan prévoyant le licenciement d’une nouvelle moitié du personnel. Autrement dit, la section CFDT de SeaFrance a eu le tort de vouloir préserver la totalité des emplois. Et pourtant, c’est probablement ce qui explique que cette section est largement majoritaire dans l’entreprise (70% des votes, 80% chez les marins). Ceci n’empêche pas François Chérèque d’annoncer: « Je serai certainement amené dans les jours qui viennent à proposer leur exclusion de la CFDT. J’ai un peu honte, ce matin, de ces militants qui n’ont pas un comportement honorable. » Triste visage que donne aujourd’hui la confédération CFDT.
La décision du Tribunal de commerce de Paris est tombée ce 9 janvier 2012 : cessation d’activité et liquidation de la compagnie SeaFrance. Dans quelques jours, les 880 salarié-es de cette entreprise recevront leurs lettres de licenciement, ce qui, n’en doutons-pas, constituera un drame pour de nombreuses familles.
La question des actifs de l’entreprise, en l’occurrence les navires, a été, quoique de façon feutrée, au centre des débats. Pour mémoire, SeaFrance détenait quatre navires dont trois en pleine propriété (Rodin, Berlioz et Nord-Pas-de-Calais) et un en cours de financement (Molière). Le Rodin acheté en 2001, d’une capacité de 1900 passagers, vaudrait, selon la CFDT SeaFrance, 72 millions d’euros. Le Berlioz, plus récent et de même capacité vaudrait 85 millions d’euros. Enfin le Nord-Pas-de-Calais, acheté en 1987 et exclusivement réservé au fret, ne vaudrait plus que 11 millions d’euros. La valeur des navires possédés en pleine propriété par SeaFrance serait donc de 168 millions d’euros.
La proposition de financement de la CFDT de SeaFrance consistait à transférer la totalité de l’actif de la compagnie à la SCOP, laquelle aurait été en mesure de revendre un des navires à une Société d’Economie Mixte, pour une somme d’environ 50 millions d’euros, pour le louer ensuite à l’entreprise qui pourrait ainsi l’exploiter. La SCOP engrangeait ainsi les 50 millions nécessaires à son fonctionnement. On peut s’étonner que le projet de la CFDT propose le transfert pur et simple de l’actif de la compagnie sans contrepartie financière. Il faut prendre en compte que dans ce cadre, la SCOP garantissait de maintenir la totalité des emplois restants à SeaFrance. Il est à noter que l’offre concurrente présentée le 16 novembre 2011 par DFDS et Louis Dreyfus Armateurs ne proposait que 5 millions d’euros pour reprendre l’actif avec 420 nouvelles suppressions d’emplois et sans aucune garantie dans la durée sur les postes restants. On le voit, la proposition de la CFDT est tout sauf ridicule comparée à celle de DFDS/LDA rejetée il y a deux mois par le Tribunal de commerce. On peut donc s’interroger sur les motivations de ce Tribunal qui vient de facto de rejeter définitivement l’offre de la CFDT en procédant à la liquidation de l’entreprise.
A qui appartiennent ces bateaux ? D’un point de vue strictement juridique, à SeaFrance, filiale à 100% de la SNCF. Cette dernière étant un Etablissement public à caractère industriel et commercial (EPIC), on peut donc assurément en conclure que la propriété de ces bateaux est publique, qu’en tant que citoyen-nes, nous sommes copropriétaires de ceux-ci. De ce point de vue, nous serions fondés à exiger de la part des repreneurs, avant ou après liquidation, le meilleur prix pour ces navires. Maintenant que la liquidation vient d’être prononcée, on parle de 36 millions d’euros d’indemnités que la SNCF devra verser aux salarié-es. Est-ce que le Tribunal obtiendra pour les navires suffisamment pour couvrir ces indemnités et autres frais de liquidation ? On peut raisonnablement s’interroger quand on se rappelle l’offre de DFDS d’un montant de 5 millions d’euros : en cas de liquidation dans un délai court, les actifs sont souvent bradés. Attendons de voir si la solution qui émergera sera, pour la SNCF, financièrement préférable à celle proposée par la CFDT qui ne coûtait pas un centime au contribuable…
Pour autant, on aurait tort d’appliquer aux biens publics (les navires de SeaFrance) une logique strictement financière et capitaliste. Avant 2008, SeaFrance était une compagnie prospère qui avait réussi à autofinancer deux acquisitions récentes, le Rodin et le Berlioz. La CFDT de SeaFrance fait valoir que ces financements ont été réalisés par le travail des salarié-es de SeaFrance, ce qui est tout, sauf une approche absurde. De ce point de vue, le minimum que devaient garantir ces actifs était le maintien de l’emploi de ces mêmes salarié-es. Or le Tribunal de commerce vient d’en décider autrement et c’est logique : il ne fait que suivre la règle du Capital qui est la recherche de la rentabilité financière.
Le transfert des navires à la SCOP faisait passer ceux-ci d’une propriété publique à une propriété coopérative. Les navires auraient appartenu à la SCOP laquelle appartient à ses salarié-es. Toutefois, le mode de détention d’une coopérative par rapport à une entreprise classique est particulier : ce ne sont pas les apports financiers qui déterminent le pouvoir mais l’assemblée des sociétaires qui se prononcent sur la base d’une voix par individu. Par ailleurs, à la différence d’une entreprise capitaliste, une part coopérative ne se revalorise pas et les résultats non distribués de l’entreprise constituent des réserves impartageables qui ont la faculté de n’appartenir à personne et donc à tout le monde : ce sont les utilisateurs et travailleurs de l’unité de production qui bénéficient de ceux-ci. C’est une forme non étatique de propriété publique qu’il convient de souligner.
Les salarié-es de SeaFrance, mis au pied du mur par les difficultés économiques et probablement une mauvaise gestion, se proposaient de reprendre l’entreprise, c’est-à-dire de prendre à leur compte les aléas futurs de la gestion de SeaFrance. Position qu’ils ne souhaitaient pas mais qui leur a été imposée par les évènements. Position courageuse et responsable. Position qui les mettaient désormais en position d’acteurs et non plus de salarié-es assujettis à une direction nommée par une autre direction. Dès lors transférer la propriété des bateaux à la SCOP ne constituait pas un « bradage » des actifs publics, mais une juste utilisation utilisation de ceux-ci : le maintien de l’emploi. Cela ouvrait la perspective d’une société juste dans laquelle chacun a une place digne : un travail, un revenu et aussi le contrôle démocratique de son devenir. Nul doute que c’est ce dernier élément qui a cruellement manqué à SeaFrance et qui deviendra un thème majeur du débat politique dans les années à venir.