Déambulation archivistique autour du journal des « Comités du 20 mai pour l’autogestion socialiste » en 1974. Et d’un texte de Maurice Najman du même journal, reproduit dans ce billet pour quelques interrogations toujours d’actualité.

C’est dans la série chronologique conservée par le Centre Jacques Sauvageot de l’Institut tribune socialiste (ITS), à l’année 1974, qu’on trouve quatre numéros de 20 mai. Vraisemblablement parus dès le 1er mai de cette année, imprimés en noir et blanc, sur quatre pages et au format A2, la publication est sous la responsabilité des comités du 20 mai de la région parisienne.

Alors pourquoi « 20 mai » ?

Parce que c’était le lendemain du 19 mai, second tour de la présidentielle de 1974 qui a vu s’affronter, six ans après Mai 68, le candidat unique de la gauche – qui était donc Mitterrand du PS, et ce dès le premier tour, si on met de côté les candidatures d’Alain Krivine et Arlette Laguiller – et celui de la droite – Giscard.

En Une de son édition du 9 mai, 20 mai appelle donc à voter Mitterrand « pour battre la réaction ».

Au-delà et aussi étrange que ça puisse paraître aujourd’hui, la victoire de Mitterrand, ancien ministre de l’intérieur et de la justice entre juin 1954 et mai 1957 (en pleine guerre d’Algérie donc), était vue comme une opportunité pour une grande partie du camp anticapitaliste. Avec quand même, « pour que la victoire ne soit pas volée aux travailleurs », une condition sine qua non : renverser l’ordre des priorités. C’est-à-dire mettre les mobilisations au centre.

Les braises de la grève des « hors-la-loi » de Lip, l’usine horlogère de Besançon, sont encore fumantes, tout comme celles des manifestations lycéennes contre la loi Debré ou du « Mai des Banques ». La grande grève des PTT de l’automne 1974 arrive à grands pas.

Le choix même de cet intitulé, « 20 mai », indiquait que les espoirs de ces militant·es n’étaient pas tout entier ni dans ce moment électoral ni dans ce candidat là.

Parce que le 20 mai, c’est le jour d’après. Celui où on est avec les collègues du boulot, avec les camarades de classe du Collège d’enseignement technique, du lycée ou de la fac. Pas celui du dimanche de l’isoloir qui porte si tristement et si bien son nom.

L’équilibre est ténu quand il faut malgré tout faire campagne pour un Mitterrand qu’on tient pour ce qu’il est : au mieux un notable réformiste. L’effort dialectique un peu rude, quand il faut dans le même temps, et fort lucidement, dénoncer « la logique de l’électoralisme (ne pas effrayer, donc rassurer, donc abandonner les objectifs de classe, donc démobiliser…) [qui] joue à plein. »

On a envie de leur souhaiter bon courage pour ce choix, difficile, de chercher à ne pas subir un temps politique qui n’est décidément pas le nôtre. De tenter, à leur manière, de se dépêtrer de cette histoire de « débouché politique ».

« Pour l’autogestion socialiste »

On retrouve dans ces comités du 20 mai les militant·es de la gauche du Parti socialiste unifié (PSU), de l’Alliance marxiste révolutionnaire (AMR), sans doute des ex-Centres d’initiatives communistes (CIC) aussi. Celles et ceux, avec d’autres, qui avaient été partisan·nes pendant un court laps de temps de présenter la candidature de Charles Piaget, le délégué syndical CFDT de Lip. Sans succès et sans enthousiasme débordant du principal intéressé d’ailleurs.

L’appel à constituer des comités du 20 mai est lancé dès fin avril. Dans l’espoir « d’assurer la mobilisation populaire à la base » explique Michel Mousel, secrétaire de la Fédération de la région parisienne du PSU 1. Maurice Najman qui signe le texte ci-dessous est un des principaux militants de l’AMR. On peut lire sa notice biographique sur le site du Maitron et un texte d’hommage à celui de l’Association Autogestion.

Le Comité de liaison pour l’autogestion socialiste, CLAS, les avait réunis début 1973 pour une série de colloques communs auxquels ont pu passer une tête des militant·es de l’Organisation révolutionnaire anarchiste (ORA), du Ceres (tendance de gauche du PS), et des syndicalistes autogestionnaires de la CFDT. La Confédération fut sollicitée en tant que telle pour être partie prenante du CLAS mais déclina, sa direction étant plus intéressée alors à un rapprochement avec le PS.

Peinant à s’élargir véritablement au-delà des organisations fondatrices, le calendrier du CLAS fut bousculé à la fois par l’élection présidentielle anticipée – suite à la mort de Pompidou le 2 avril 1974, et par la captation du « camp autogestionnaire » par un PS à prétention hégémonique. 2000 à 3000 militant·es du PSU, devenu·es minoritaires dans leur propre parti, allaient rejoindre le PS dans l’opération des Assises du socialisme d’octobre 1974. Début 1975, l’AMR et les CIC peuvent alors se fondre dans le PSU. Les CIC avaient déjà fait le chemin à la fin de l’année 1973.

Un PSU revendiquant alors 9000 membres et qui serait enfin complètement « à l’heure de Lip », acquis au combat « pour l’autogestion révolutionnaire, pour le pouvoir absolu des conseils de travailleurs » comme l’appelle de ses vœux Alain Guillerm dans la revue Autogestion et socialisme 2. Au service de ce projet, l’idée est de ne pas se contenter des « luttes à la base », ni de s’enfermer dans la tour d’ivoire d’un parti coupé des masses : « à rester dans les coulisses de l’activité sociale on aboutit à une impasse » assène Nicolas Baby, nouveau PSU et ex-AMR, dans une tribune donnée au Nouvel Observateur 3.

Fin (provisoire) de la recomposition donc autour de deux pôles socialistes contraires : l’un d’État et réformiste, l’autre qui se veut autogestionnaire et révolutionnaire.

« Qui décidera ? Qui dirigera ? »

Mitterrand n’a pas emporté l’élection de 1974, de peu. Ce sera pour 1981 : et il n’y aura alors ni socialisme ni autogestion. Mais la victoire de la « force tranquille » sur le tumulte de la lutte des classes, et la rigueur un an plus tard.

« Qui décidera ? Qui dirigera ? » interpellait pourtant déjà Najman.

Les questions restent, valables hier comme aujourd’hui, quelles que soient les circonstances. Bien évidemment que la présidentielle de 2022 ne porte strictement aucun espoir. La réaction est pourtant bel et bien là. Le fascisme guette même. Mais il y aura, là aussi, quoi qu’il arrive un « jour d’après ». Il dépendra pour beaucoup de comment nous occupons nos jours « avant ». Et dans cette perspective, le retour aux mobilisations sociales est une nécessité brûlante, la seule qui vaille ici et maintenant. Parce que, oui, « nous n’aurons que ce que nous prendrons » et qu’en définitive il ne s’agira pas tant de conquérir le pouvoir que de créer le nôtre. Et surtout, comme y invitait Charles Piaget en 1974, la présidentielle passée, de « rejeter toute attitude de démission » 4.

[Ce billet complète deux articles de fond à paraître prochainement : l’un sur la candidature Piaget pour La Revue du Crieur ; l’autre sur la CFDT et les Assises du socialisme pour Les Utopiques]

« Les comités du 20 mai
(…) Dans la fièvre électorale, beaucoup de choses semblent oubliées, ensevelies qu’elles sont sous les calculs à court terme.
Oubliées les luttes pour le contrôle sur les cadences, contre la hiérarchie des salaires et des fonctions.
Oubliés les combats contre l’école de classe, celle de la sélection et de l’ennui.
Oubliées les batailles pour l’organisation autonome des travailleurs, des jeunes et des femmes.
Oubliés Lip, Cerisay, la révolte lycéenne, la lutte pour la liberté de l’avortement…
Le candidat commun de la gauche, est-il le candidat unique des travailleurs ?
Pour qu’il ait pu l’être, il aurait fallu que le très réel courant unitaire soit organisé de la base au sommet dans des comités ouverts à tous ; il aurait fallu qu’une large mobilisation, reprenant les revendications avancées depuis 1968, soit la base d’une campagne menée du point de vue du mouvement ouvrier, et non comme une campagne “à l’américaine” sans mots d’ordres, sans objectifs de lutte, sans propositions d’action.
Contrairement à tout cela, la logique de l’électoralisme (ne pas effrayer, donc rassurer, donc abandonner les objectifs de classe, donc démobiliser…) joue à plein.
(…)
Face à cela, il faut que le courant révolutionnaire pour l’autogestion socialiste soit présent. Car les travailleurs n’auront que ce qu’ils prendront.
La victoire de F. Mitterrand ouvrirait sans aucun doute une nouvelle période. Période de lutte pour le pouvoir des travailleurs dans tous les domaines et à tous les niveaux.
Et ce combat, décisif, il commencera le 20 mai.
Il ne suffit pas de le dire ni de le croire. Il faut se préparer dès maintenant, car la défaite de la réaction, si elle créera la possibilité de ces batailles, c’est à nous d’en préparer les conditions de réalisation.
Tel est l’objectif des comités du 20 mai pour l’autogestion socialiste : regrouper tous ceux qui se sont reconnus dans le combat des Lip ; lutter pour l’unité des travailleurs, permettre que la victoire ne soit pas sans lendemains. Mais comment ?
Si la gauche gagnait ? C’est ainsi que se pose la question. Qui décidera ? Qui dirigera ? Des nationalisations, oui. Mais c’est aux travailleurs d’en décider l’extension et la nature.
(…)
[Les comités du 20 mai] leur proposent, non pas de se ranger derrière la bannière de l’autogestion, mais de s’organiser pour définir eux-mêmes leurs revendications, leurs moyens d’action, leurs formes d’organisation.
Ils leur demandent, non pas de suivre aveuglement une ligne politique préfabriquée, mais de se mobiliser.
Car sans mobilisations, les travailleurs ne pourront arracher de concessions durables aux patrons. Souvenons-nous : en juin 36, en mai 1968, qu’est-ce qui a fait céder le capital ? Les partis de gauche ou le puissant mouvement social ? S’ils ne se mobilisent pas, comment les travailleurs pourront-ils prendre leurs affaires en main, s’organiser et préparer la lutte de demain pour le pouvoir ?
Déjà à Paris, dans les hôpitaux, dans les PTT, dans les banques, les discussions ont démarré sur la base des expériences les plus récentes (grèves administratives, comités de grève des banques, etc.).
Dans les lycées, comme à Voltaire, où on se le rappelle, la lutte pour l’autogestion des 10 % pédagogiques avait commencé, des cahiers de revendications sont rédigés classe par classe et un comité de liaison est en voie de formation avec des Jeunes communistes.
Dans certaines entreprises, comme à l’hôpital Lariboisière, les comités prennent en charge des luttes abandonnées par les organisations syndicales (ici sur les effectifs par exemple).
Si la gauche gagnait… « Mon projet est de vous rendre le pouvoir » dit François Mitterrand. Prenons-le au mot !

Maurice Najman »

Notes:

  1. Pierre Bois, « PSU, les relèves du 20 mai », Politique Hebdo n°125, 25 avril 1974. On peut aussi lire le petit livre d’hommage à ce militant, Le PSU au cœur, publié aux éditions du Croquant dans la collection des Cahiers de l’ITS.
  2. Alain Guillerm, « Le PSU à l’heure Lip », Autogestion et socialisme n°28-29, octobre 1974
  3. Nicolas Baby, « Les raisons d’une fusion », Le Nouvel Observateur n°538, 3 mars 1975
  4. Charles Piaget, « Il faut rejeter toute attitude de démission » (entretien), Politique Hebdo n°145, 3 octobre 1974