Face aux restructurations et fermetures d’usines, qui accompagnent l’approfondissement de la crise du capitalisme mondialisé, la question de leur appropriation et de leur gestion par leurs propres travailleurs revient à l’ordre du jour. A l’exemple des Lip, les travailleurs de Philips à Dreux ont tenté de reprendre la production sous contrôle ouvrier. A Fralib et Seafrance, s’est posée la question d’une reprise sous la forme d’une Scop et, dans le cas de Seafrance, cette proposition a même reçu le soutien de Nicolas Sarkozy. Mais que sont vraiment les Scop ? Une forme d’autogestion socialiste susceptible de se généraliser ou une forme d’entreprise capitaliste gérée par des actionnaires travailleurs ? Quelles avancées démocratiques et sociales représentent-elles par rapport à l’habituelle Société Anonyme et quelles sont les limites de ces avancées ?
En 2010, il existait en France environ 2000 Scop dans lesquelles travaillaient un peu plus de 40 000 salariés. Même si quelques-unes peuvent dépasser les 1000 salariés (Chèque Déjeuner, Acôme), la plupart restent des petites entreprises. Leur caractéristique essentielle est qu’elles n’appartiennent pas à des actionnaires extérieurs à l’entreprise mais à leurs propres travailleurs qui la dirigent eux-mêmes. C’est là une avancée démocratique évidente, les travailleurs ne sont plus dépendants d’actionnaires dont le but principal est de dégager du profit pour rentabiliser au mieux l’argent qu’ils ont placé dans l’entreprise. Les Scop sont la preuve vivante que les travailleurs associés peuvent eux-mêmes gérer leur entreprise sans se faire spolier, sans devoir se soumettre à la volonté et à l’exploitation d’actionnaires parasites. Elles ont donc valeur d’exemple et méritent un large soutien de tous ceux pour qui le capitalisme n’est pas un horizon indépassable.
La première difficulté qui se pose lors de la création d’une Scop est celle de l’accès à l’investissement. Le capital est en partie ouvert à des associés extérieurs mais avec de faibles versements de dividendes, ce qui limite donc très fortement l’existence de ce type d’apports financiers. Une Scop qui démarre est donc inévitablement une petite entreprise et les difficultés des travailleurs de Seafrance à fournir le capital nécessaire pour monter la leur sont là pour nous le prouver.
Les bénéfices d’une Scop sont divisés en 4 parties : une part redistribuée sous forme de participation aux travailleurs, une part destinée aux associés propriétaires du capital de l’entreprise, une part à la constitution de la réserve légale et une autre attribuée au fonds de développement de la Scop. Sur la durée, une Scop qui dégage des bénéfices accumule donc inévitablement du capital financier. Elle a alors les moyens d’investir et de se développer.
La référence absolue, en terme de réussite d’une entreprise coopérative, est l’entreprise basque « Mondragon ». Fondée en 1955, c’est aujourd’hui devenu un groupe rassemblant 256 entreprises dont environ la moitié sont des coopératives 1. Ces entreprises sont implantés dans le secteur de la distribution (hypermarchés Eroski), de la finance (Caja Laboral) , de l’industrie (Fagor pour le plus connu) et de la formation (Université de Mondragon). C’est une multinationale implantée dans 19 pays et qui, en 2009, employait 77 835 salariés et Espagne et 14 938 à l’étranger. Si les entreprises situées en Espagne fonctionnent dans l’ensemble sur des bases coopératives et que plus de la moitié des travailleurs sont des salariés associés, les entreprises à l’étranger ont le statut de S.A. et leurs salariés ne bénéficient d’aucun des avantages coopératifs. Le développement international de Fagor se fait par rachat d’entreprises et suivant les règles ordinaires du capitalisme mondialisé. Le rachat de Brandt par Fagor en 2005 s’est accompagné de 140 licenciements 2. Depuis 2006, les fabrications des 5 usines françaises de Fagor Brandt sont petit à petit délocalisées et les 3/4 des lave-linge vendus en France par Fagor sont maintenant fabriqués en Pologne. Dans l’usine de Lyon, la production a été divisée par trois et l’arrêt total est prévu pour 2014.
La réalité nous montre donc que les avancées démocratiques internes à la Scop ne suffisent pas pour autant à en faire un modèle autogestionnaire. C’est bien sûr, en premier lieu, dû au contexte capitaliste dans lequel elles doivent évoluer. Si ce système peut tolérer quelques avancées elles restent bien encadrée et ne dispensent pas la Scop de suivre les règles générales de la concurrence capitaliste, dont celle de la recherche absolue de la compétitivité. Une Scop ne peut vivre que si elle peut faire face à la concurrence, ce qui, sans renier son éthique sociale, reste possible dans le cas de petites entreprises opérant dans des niches locales ou nationales, mais l’est beaucoup plus difficilement dès qu’il s’agit de faire face à la concurrence internationale. Pour les employés des usines étrangères appartenant à des Scop, les travailleurs associés propriétaires de l’entreprise sont des actionnaires qui ne se différencient guère de ceux d’une multinationale capitaliste ordinaire.
L’exemple des Scop montre, à ceux qui en douteraient encore, que l’extension générale des pratiques démocratiques dans l’entreprise est incompatible avec le mode de production capitaliste. Ce système ne permet que des formes mineures d’autogestion, transférer le droit de propriété des actionnaires extérieurs aux travailleurs de l’entreprise ne suffit pas pour dépasser le capitalisme et parvenir à un mode de production fondamentalement démocratique et égalitaire. Ce constat n’implique pas pour autant que les Scop sont une avancée démocratique inutile, mais qu’elles sont plutôt un point de départ pour des réflexions et des pratiques qui restent à construire et à développer.
Avec sa mondialisation, le capitalisme est en train d’approcher ses propres limites. Les conséquences économiques, sociales et écologiques, de sa crise systémique nous imposent plus que jamais de le dépasser, de construire un autre système débarrassé des contraintes de la propriété privée du capital. Ce système ne remplacera pas le capitalisme du jour au lendemain, des ruptures seront certes indispensables mais elles ne pourront se faire que sur la base d’alternatives économiques et sociales qui feront la preuve de leur pertinence. Si le statut actuel des Scop ne permet pas d’en faire un modèle autogestionnaire généralisable, il ne faut surtout pas jeter le bébé avec l’eau du bain mais aller plus loin que cette première expérience, aller plus loin vers l’autogestion. Aux travailleurs qui souhaitent s’associer pour monter une entreprise ou reprendre une entreprise abandonnée par des actionnaires à la recherche du profit à court terme, il faut en premier lieu donner les moyens de le faire. Ce qui passe inévitablement par une évolution du statut des Scop accordant aux travailleurs associés de nouveaux droits, pour permettre de les affranchir des contraintes de la propriété privée du capital, et de nouveaux moyens par l’attribution de financements publics pour leurs investissements.