L’Economie sociale et solidaire (ESS) est devenu un thème politique fort, d’autant plus fort que l’arrivée du gouvernement de gauche au pouvoir s’est traduite par la réapparition d’un ministre délégué à l’ESS, ministère qui avait disparu durant les 10 années de gouvernement de droite. L’ESS rassemble des structures qui se définissent comme des groupements de personnes et non de capitaux, porteuses d’un projet d’intérêt collectif. De ce point de vue, l’ESS représente une rupture par rapport à la majeure partie de l’économie où la perspective de rendement des capitaux est à l’origine de l’initiative. Ces structures sont-elles pour autant autogestionnaires ?
On divise traditionnellement l’ESS en quatre types d’entreprises bien distinctes :
- Les associations ;
- Les coopératives ;
- Les mutuelles ;
- Les fondations.
L’ESS regroupe 1 969 700 emplois en équivalent temps plein (ETP), ce qui représente 9,7% de la totalité de l’économie.
La rémunération moyenne annuelle brute d’un individu à temps plein est de 28 620 euros dans l’ESS alors qu’elle est de 34 670 euros dans le privé et de 30 480 euros dans le public.
Ce sont les associations qui fournissent le gros des emplois au sein de l’ESS avec 1 512 600 ETP :
En nombre de salariés (temps plein et partiel confondus), la totalité de l’ESS emploie aujourd’hui 2 341 346 salarié-es.
En tant que but, l’autogestion constitue la forme d’organisation et le mode de fonctionnement d’une société fondée sur la participation de toutes et de tous à l’ensemble des décisions dans les champs économique et politique, à tous les niveaux de la sphère collective pour l’émancipation de chacun et de chacune. Elle suppose donc à la fois une intervention forte des travailleurs dans la gestion ainsi qu’une orientation générale de l’économie définie par la population.
Ces orientations ont été mises en œuvre par le mouvement coopératif à ces débuts. Il est d’usage de regrouper les coopératives en deux catégories : la coopérative d’utilisateurs et la coopérative de travail. La coopérative d’utilisateurs a été initiée par les Pionniers équitables de Rochdale en Angleterre puis systématisée par l’Ecole de Nîmes à la fin du XIXe et début du XXe siècle. Dans celles-ci, ce sont les utilisateurs qui dirigent l’entreprise, et non les travailleurs, afin d’assujettir la production aux besoins et non au marché. Si les coopératives de consommation ont connu un âge d’or dans la première partie du XXe siècle, en proximité mais en indépendance totale avec le mouvement ouvrier, celles-ci n’ont nullement réussi à transformer l’économie comme l’envisageait Charles Gide avec son projet de « république coopérative ». Le fait que les travailleurs ne soient nullement décisionnaires dans ce type de coopérative pose un problème majeur à l’égard de l’autogestion. Dans les coopératives de travail, ce sont les travailleurs qui sont membres de celles-ci et dirigent l’entreprise. Elles ont largement été décriées dans le passé par le mouvement socialiste à cause de la nécessité qu’elles ont de se trouver un marché pour survivre. L’avenir est sans doute aux coopératives dans lesquelles usagers comme travailleurs ont leur mot à dire à l’image des SCIC qui sont des coopératives multi-collèges.
Les coopératives de travail françaises sont les SCOP. Les SCIC sont principalement regroupées au sein de la Confédération générale des SCOP 1. Ensemble, ces deux formes coopératives regroupent 42 244 salarié-es, dont seulement 22 541 associé-es. Ce sont les seules formes de coopératives dans lesquelles les travailleurs sont aux postes de commande, un critère essentiel de l’autogestion telle que nous l’avons définie précédemment.
Quatre groupes de coopératives de consommation (Coop Atlantique, Coopérateurs de Normandie-Picardie, Coop Champagne et Coop Alsace) existent toujours et sont regroupées dans la Fédération Nationale des Coopératives de Consommation (FNCC). Ensemble, elles emploient 11 547 salarié-s.
Les groupes coopératifs bancaires peuvent être assimilés à des coopératives d’usagers. Trois groupes bancaires existent : le groupe Crédit Agricole avec 160 000 salarié-es, le groupe BPCE (Banques populaires Caisses d’Epargne) avec 125 000 salarié-es et le groupe Crédit mutuel avec 76 000 salarié-es. Ces groupes ont un rapport plus que ténu avec l’autogestion, tant la démocratie des usagers y est souvent très formelle. A signaler au sein du groupe BPCE la présence du Crédit coopératif (qui est une des Banques populaires) qui est la banque historique de la coopération française et le partenaire bancaire naturel des SCOP.
Une part significative du mouvement coopératif français est composé de coopératives d’entreprises : des entreprises qui se regroupent en utilisant la forme coopérative pour travailler ensemble. Il s’agit principalement de la coopération agricole (plus de 150 000 salarié-es en comptant les filiales non coopératives) et des coopératives de commerçants détaillants (470 000 salarié-es en comptant les effectifs des membres). Les premiers groupes de la coopération agricole sont In Vivo, Sodiaal, Terrena, Terreos. Les premiers groupes de commerçants sont ACDLEC-E. Leclerc et Système U. Même si ces entreprises trouvent un intérêt à utiliser la forme coopérative pour créer des synergies, on comprendra que l’autogestion est très éloignée de leur préoccupation, à l’exception du Réseau fédératif des CUMA dont certains membres ont pris la forme de SCIC.
Les mutuelles suivent la logique des coopératives d’usagers en ce sens qu’elles fédèrent des individus pour répondre à des besoins sociaux. La FNMF regroupe 500 mutuelles d’assurance santé. Les assurances mutualistes en matière de prévoyance sont importantes en taille : MACIF, MAIF, MAAF… Le lien avec le mouvement coopératif est plus ou moins fort selon la mutuelle. Ensemble, elles emploient 126 125 salarié-es.
Les associations sont le plus grand employeur de l’ESS avec 1 840 864 salarié-es. C’est aussi le secteur qui intègre proportionnellement le plus de temps partiel. La gestion d’une association peut aussi bien être démocratique et s’apparenter au fonctionnement d’une coopérative d’usagers que totalement fermée ne donnant à ses membres qu’un pouvoir ténu aussi bien dans la pratique que dans des statuts totalement hermétiques. A titre d’exemple, on comprend aisément que l’Association Française des Entreprises Privées (AFEP) représentant les principales entreprises cotées en bourse n’a que peu de choses à voir avec l’autogestion, tout en faisant partie intégrante de l’ESS !
Par définition, les Fondations sont des institutions de gestion d’un patrimoine dans un usage philanthropique. Elles emploient 67 933 personnes et n’ont que peu de choses à voir avec l’autogestion.
Si on trouve donc des ferments d’autogestion dans les coopératives, on s’aperçoit, hélas, que le gros des emplois de l’ESS ne relève pas de l’autogestion. Au pire, on peut considérer que les 22 541 salarié-es sociétaires de SCOP ou de SCIC sont concernés. Dans une vision plus optimiste, on pourrait penser qu’il est politiquement possible de faire évoluer vers ce statut de travailleur associé plus d’un million de salarié-es de coopératives d’usagers, de mutuelles et d’associations…
Panorama national ESS2012 – CNCRES
Panorama sectoriel des entreprises coopératives 2012 – CoopFR
Notes:
- Quelques SCIC sont enregistrées auprès du Réseau Fédératif des CUMA (Coopératives d’Utilisation de Matériel Agricole). ↩