La volonté d’instaurer une démocratie participative n’est pas restée lettre morte dans le processus bolivarien. Mais des lois aux pratiques, la distance reste grande.
Durant ces 14 années de gouvernement bolivarien, un réel effort a été accompli pour transposer les discours sur la participation dans les lois. De la nouvelle constitution aux lois plus récentes, les Vénézuéliens disposent aujourd’hui d’une base juridique réelle pour participer aux décisions qui les concernent.
Dans le cadre de la loi générale de planification participative, une multitude d’organes de participation ont été décrétés. En 2006 est votée la loi qui crée formellement les conseils communaux, des assemblées citoyennes qui rassemblent 200 à 400 familles. Ils sont dotés de certaines compétences et de subsides conséquents, censés permettre à ces communautés d’améliorer elles-mêmes leurs conditions de vie. Dans les faits, les conseils communaux existent alors déjà depuis plusieurs années. La plupart se sont constitués sur base d’anciennes associations de voisins ou autres organisations communautaires.
Les conseils communaux fonctionnent sur base d’élections, théoriquement bisannuelles. Lors de celles-ci sont élus les porte-paroles de la communauté. Si la loi propose un certain nombre de commissions, chaque communauté est libre d’en créer d’autres, en fonction de ses nécessités. Avec, parfois, un peu trop d’enthousiasme, comme l’explique Julio Salazar, de l’EFIP (Equipe de formation, d’information et de publications), à Caracas : « Quand le conseil communal d’ici en face s’est créé, ils ont élu d’un coup 50 porte-paroles, pour 50 commissions. Mais quand ils se réunissent entre porte-paroles, ils sont rarement plus de dix ». La norme donnée par la loi est que les porte-paroles se réunissent au minimum une fois tous les quinze jours, et que l’assemblée de citoyens et citoyennes soit convoquée au moins une fois par mois. Pour les projets proposés par la communauté, des subventions et « crédits socio-productifs » sont disponibles. Pour Julio, il s’agit « d’une forme organisatrice non négligeable. Beaucoup de conseils communaux ont été actifs et efficaces et ont mené à bien des projets ».
Une participation difficile
A l’heure actuelle, les conseils communaux recouvrent des réalités très différentes. S’il pourrait théoriquement exister jusqu’à 70 000 conseils communaux dans tout le pays, ils ne se sont pas nécessairement créés partout. Et au sein de la grande majorité d’entre eux, parvenir à une participation effective des citoyens n’est pas facile. D’autant plus qu’ils rivalisent malgré eux avec une série d’autres organes de participation qui n’ont cessé de surgir tout au long du processus bolivarien.
Par ailleurs, il est vite apparu que le champ d’action des conseils communaux est souvent trop limité que pour s’attaquer à certains problèmes. Jasmine, de l’EFIP également, nous avoue qu’elle ne participe même pas à son conseil communal, alors qu’elle est complètement impliquée dans le tissu associatif. « Pourquoi ? A cause du manque de réponses. Quand tu vas au ministère, à telle instance, présenter ton travail, demander des choses, et qu’au final tu n’as pas de réponse… tu te lasses ». Pourtant, elle est consciente de la nécessité de la participation de tous au processus. « Si les gens ne se conscientisent pas et n’assument pas eux aussi un rôle, les choses ne pourront pas avancer ». Le risque est alors grand de tomber dans le schéma actuel d’un certain nombre de conseils communaux, où on se trouve face à une gestion de la part de certains citoyens, mais avec une participation sporadique. Surtout, « où la logique reste représentative et pas participative », souligne Alex Lachica, du conseil communal de San Martin 2, à Caracas.
Pour répondre à ce problème, son conseil communal a un projet. Créer un journal entre plusieurs conseils communaux, qui servirait à informer les citoyens. « Ça servirait à aider les gens à être au courant de toutes les décisions qui se prennent dans les conseils communaux, de leur importance. Comme ça, quand une assemblée est convoquée, les personnes viennent et savent pourquoi elles sont là », explique Alex. L’idée de ce journal est aussi de mettre en lien les différents conseils communaux, parce que tel conseil peut facilement être confronté à un problème que le conseil voisin aurait déjà résolu.
Les communes, un projet plus global…
Au dessus des conseils communaux, dans cette optique d’une vision plus globale, est apparue l’idée de communes. La commune est une instance qui fédérerait les conseils communaux et autres organisations dans leurs problèmes communs. La loi qui les fonde date de 2010. Certaines prennent de plus en plus chair autour de l’un ou l’autre projet concret, comme par exemple la création d’entreprises communales pour offrir des services à la communauté. Mais la majorité des communes sont encore balbutiantes.
« La mission des conseils communaux et des communes serait d’articuler le tissu organisateur des communautés », nous explique Julio. « Mais ce tissu est très fragile à certains endroits. Beaucoup de choses ont été « décrétées » par les lois, et créées artificiellement. La vision est correcte, que les gens aient la capacité de s’organiser. Mais ça ne peut pas se décréter. Ça doit être lié à quelque chose de réel ». L’expérience, très positive dans sa dimension mobilisatrice et intégratrice, n’atteint pas encore les espérances de participation et de politisation espérées.
Pourtant, par-ci par-là dans le pays, des groupes de personnes ont commencé à se réunir autour de l’idée de communes, persuadés qu’il y a la quelque chose de plus qu’une instance participative supplémentaire. En 2009, pour mener à bien leur vision du projet communal, certains d’entre eux ont créé le « réseau des comuneros et comuneras »…
Un reportage de Construire l’utopie réalisé par Edith Wustefeld et Yan Verhoeven
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