Sofia-ThanasisFace à la politique de destruction des services publics grecs initiée par la Troïka (Union européenne, FMI, BCE), des dispensaires de santé se sont auto-organisés pour offrir des soins gratuits à la population. Sofia Tzitzikou et Thanasis Kourtis, bénévoles d’un dispensaire à Athènes, expliquent leur démarche.

Sofia Tzitzikou est pharmacienne bénévole au dispensaire social KIΦA de la rue Kannigos à Athènes, situé dans les quartiers Exarchia et Omonia. Thanasis Kourtis est ingénieur en génie civil. D’origine kurde et syrienne, il assure des services d’interprétariat à de nombreux migrants lors des consultations.

Pourriez vous vous présenter votre activité et les dispensaires sociaux ?

Sofia Tzitzikou. Notre dispensaire s’est créé en février 2013 sur le modèle de la cinquantaine existante actuellement en Grèce. Il s’agit d’offrir des soins aux personnes exclues du système public de santé. Il fonctionne avec 120 bénévoles qui sont médecins, pharmaciens, psychologues, dentistes, ou qui fournissent une aide administrative. Le principe de base est la gratuité totale des prestations et des médicaments. Nous recevons de 90 à 110 personnes par jour pour des consultations ou des médicaments qu’elles n’ont pas les moyens d’acheter. S’il est possible de réaliser gratuitement des consultations, il est néanmoins indispensable de trouver des médicaments. Ce sont souvent les voisins qui apportent spontanément des boites non périmées et entamées. La deuxième source est la solidarité européenne qui nous permet d’acheter des médicaments plus rares. Nous avons cependant un problème de pénurie qui nous oblige parfois à faire des choix insupportables entre deux patients.

À qui vous adressez-vous ?

ST. Avec les nouvelles règles imposées par la Troïka (Union européenne, FMI, BCE), un chômeur ne dispose plus d’aucun droit après un an. Le gouvernement estime que trois millions de personnes sur une population de dix millions ne disposent plus de couverture sociale. Dans la réalité, ce chiffre est sous-estimé. Dans notre dispensaire, 55 % des personnes que nous recevons sont grecques et 45 % sont étrangères.
Thanasis Kourtis. Cette majorité de nationaux dans nos consultations montre bien qu’en Grèce, la classe moyenne n’existe plus. Cette destruction systématique des services publics constitue un laboratoire pour la classe dirigeante afin de mesurer les réactions de la population et les potentialités d’investissements privés dans le futur.

Qu’est-ce qui distingue votre activité de la philanthropie ?

TK. Le risque est en effet réel de voir le gouvernement utiliser nos services comme palliatif des carences du système public. À titre d’exemple, nous avons reçu ces derniers jours la visite de policiers qui accompagnaient un prisonnier soudanais pour qu’il reçoive des soins dentaires. Nous avons expliqué qu’il fallait plusieurs séances et que nous refusions que le patient soit menotté durant les soins. Cela était intolérable pour l’administration, mais le patient nous a indiqué que pour la première fois, il avait ressenti un peu de chaleur humaine.
ST. Il me semble que la meilleure manière de ne pas être un palliatif des insuffisances des services publics est de communiquer. Ce gouvernement ne le veut pas car, officiellement, la Grèce va bien. Si la presse grecque, à quelques exceptions près, est sous contrôle et parle peu de notre action, des journalistes viennent de nombreux pays et constatent combien la situation sanitaire en Grèce est catastrophique.

Quel sens donnez-vous à votre démarche ?

ST. La philosophie de notre action est qu’être soigné est un droit, et que les gens doivent résister et l’exiger de l’État. Dans la pratique, on constate qu’avec des problèmes de santé, les gens changent et que leur redonner de la dignité et de l’estime de soi est déjà une première étape. Il est difficile, voire déplacé, de parler politique avec des gens à bout de souffle. En tant que bénévoles, nous devons d’ailleurs suivre une thérapie de groupe tant les gens sont devenus agressifs.

Au-delà, quelle est votre position envers les infrastructures de santé ?

ST. Un autre aspect de notre démarche réside dans la pression que nous exerçons sur les hôpitaux et les cliniques afin qu’ils prennent en charge des opérations que nous ne pouvons pas réaliser dans les dispensaires. Il faut savoir que sans couverture médicale, toute consultation ou tout acte vous sera facturé. À titre d’exemple, un accouchement est facturé 600 euros et 1.200 en cas de césarienne. Si vous êtes étranger, ces tarifs sont doublés. Nous avons ainsi manifesté plusieurs fois auprès de la maternité de l’hôpital Alexandras ou du centre de traitement des cancers de l’hôpital Agios Savas pour que ceux-ci prennent en charge des patients. Certains médecins des hôpitaux ou cliniques n’acceptent plus cette situation et décident d’opérer bénévolement, contre l’avis de leur hiérarchie qui parfois les sanctionnent.

Quel futur pour les dispensaires sociaux ?

ST. Lors du nouvel an, nous nous sommes souhaités de ne plus exister l’année prochaine. Nous sommes là pour faire face à une situation exceptionnelle et anormale. Notre activité devra être reprise par les services publics. C’est la raison pour laquelle de nombreux dispensaires sociaux, dont le nôtre, refusent de se constituer en association déclarée et préfèrent travailler de façon informelle.
TK. Les parlementaires de Syriza soutiennent notre action même s’ils préfèrent s’afficher discrètement pour que ce mouvement conserve son autonomie. Néanmoins, je crois que les prochaines élections municipales et européennes vont permettre d’ouvrir une nouvelle séquence politique qui va changer la donne et accélérer les changements. Seul un gouvernement de gauche pourrait renégocier cette dette insoutenable au profit du peuple.

Source originale : http://www.regards.fr/web/en-grece-les-dispensaires-sociaux,7639