Nous publions ici le compte-rendu de l’Atelier Autogestion qui s’est tenu le mardi 27 mars 2018 lors du congrès fédéral de SUD Éducation à Boulogne-sur-mer. Cet atelier était animé SUD Education Lorraine.

Introduction à l’atelier et à la projection (15 mn)

L’autogestion et le contrôle ouvrier sont historiquement présents dans le syndicalisme français au travers de l’AIT (Banque coopérative du crédit au travail en 1863, coopératives de consommation et de production en 1868), la Charte d’Amiens de 1906 (qui prône « l’expropriation capitaliste », et un syndicat qui devienne « un groupement de production et de répartition »), ou le travail de la CFDT et de la CFTC dans les années 1960. Mais ces thèmes ont ensuite disparu du champ théorique et revendicatif syndical, et Solidaires a décidé depuis 2011, et lors du dernier Congrès National, de réinvestir les notions de socialisation, d’expropriation et d’autogestion. C’est ce qui a motivé l’organisation de cet atelier dans le congrès de la Fédération SUD Education, ainsi que la participation de SUD Education et de Solidaires aux rencontres internationales L’Économie des Travailleur-ses au sein d’une délégation comprenant notamment l’Association Autogestion.

L’atelier est introduit par la projection d’un documentaire (Vos Como Trabajas? Autogestion au féminin, de Lucile Nabonnand et Etienne Simon, 2010) sur les femmes dans les entreprises récupérées en Argentine. Marquée successivement par les dictatures militaires (d’Uriburu à Galtieri), le Péronisme, le Menemisme, et l’ultralibéralisme aujourd’hui représenté par Macri, l’Argentine a été purgée dans la 2 ème moitié du 20 ème siècle de ses militant-e-s révolutionnaires et anarcho-syndicalistes, en particulier lors de la guerre sale qui a débouché sur 30 000 desaparecido-as. La casse sociale et les privatisations du ménemisme puis la crise économique et financière de 2001-2003 ont provoqué de gros mouvements sociaux et insurrectionnels : cacerolazos, piquetero-as, assemblées populaires, mouvements de troc, récupération d’entreprises.

Projection du documentaire Vos Como Trabajas? Autogestion au féminin (55 mn)

Débat sur l’Autogestion (80 mn)

– Questions et contributions sur l’autogestion d’une manière générale :

Ce type d’expérience (les ERT argentines) pose la question des choix de production (Quoi ? Pour qui ? Pourquoi ? Comment ?), et de l’unité spatiale à laquelle peut s’appliquer l’autogestion. Il est rappelé que la récupération d’entreprises en Argentine n’est pas le fruit d’un combat politique en faveur de la réappropriation des moyens de production ou de la socialisation des communs, mais d’un contexte de survie économique dans lequel les travailleur-ses n’ont eu d’autre choix que de récupérer leurs entreprises et de s’autogérer. Toutefois, plusieurs expériences montrent que les travailleur-ses, une fois en autogestion, se posent la question des choix de production et de leur espace d’intervention. Au-delà de l’Amérique latine, l’exemple de l’usine grecque de Viome est évoqué puisque les ouvrier-es de cette usine sont passé-es de la production de colle à carrelages à la production de savons biologiques, ont développé des centres de santé et travaillent avec les migrant-es. Sont également évoquées des expériences autogestionnaires dont le paradigme initial est bien plus politique, telles les communes autogérées et autonomes du Rojava qui mettent en œuvre le confédéralisme démocratique, ou encore les communautés zapatiste au Chiapas.

– Questions et contributions sur le contexte favorable à l’autogestion et sur les formes de socialisation :

Les crises économiques et financières successives, et les ravages qu’elles ont entraînés dans la population, ont mis au jour l’impasse du capitalisme financier et renforcé la nécessité d’une utopie transformatrice (cf. l’intervention de Solidaires aux Rencontres internationales de Pigüe, août 2017). Elles ont également montré que les expériences autogestionnaires se développent davantage là où l’Etat est faible, contrairement à ce qu’avançait Proudhon. La question soulevée est donc celle du contexte favorable au développement de l’autogestion : faut-il attendre que lestravailleur-ses se posent la question de leur survie économique pour espérer le développement de l’autogestion ? Faut-il attendre un contexte de crise politique et parlementaire pour s’émanciper de l’Etat ? Si l’atelier n’a pas eu pour ambition de répondre à ces 2 questions, trop vastes, il a cependant mis l’accent sur le fait qu’il n’y avait rien à attendre de nationalisations au sein d’un Etat aux mains de la bourgeoisie, de la bureaucratie et du capital. Les exemples de nationalisations en France de la SNCF, de Saint-Gobain, de Péchiney… ont clairement démontré qu’il ne s’agissait que de socialiser les pertes et privatiser les profits en indemnisant grassement les actionnaires, avant de rendre ces communs et ces entreprises au secteur privé. Seules l’autogestion et la socialisation permettent une véritable transformation sociale du système. Sont également évoqués les problèmes légaux rencontrés, en France comme ailleurs par les coopératives et entreprises récupérées.

– Questions et contributions sur le temps, l’investissement et l’estime de soi dans l’autogestion :

Le documentaire a soulevé de nombreuses questions sur les risques d’auto-exploitation, et plus globalement sur la chronophagie possible dans l’autogestion. Il a été rappelé qu’il fallait différencier le temps de la lutte pour la récupération, qui suppose effectivement un investissement de tous les instants et une certaine mise à distance de sa vie privée, et le temps de la « pérennisation » de l’expérience autogestionnaire, qui, en dehors du temps de travail, génère uniquement un « surinvestissement » pour faire vivre la démocratie directe dans l’entreprise. Si le temps de « loisirs » est évidemment affecté par l’implication dans les prises de décisions que suppose l’autogestion, il est contrebalancé par des conditions de travail profondément transformées par l’absence de pressions hiérarchiques, par la convivialité qui naît du processus, par les temps d’autoformation, par les crèches et garderies autogérées qui s’y développent, par les centres culturels qui naissent à l’intérieur de ces espaces de production. Par ailleurs, l’autogestion transforme en pratique le rapport individuel au temps de travail dans la mesure où il constitue moins un temps contraint et où il ne constitue plus un temps de subordination. Plusieurs interventions vont dans le sens de la pensée de Castoriadis en matière d’émancipation et d’autonomie qui doivent nécessairement prendre corps et s’appliquer dans le travail, sans quoi cela reviendrait à exercer sa souveraineté 2 jours par semaine et durant les vacances.

– Questions et contributions sur la formation et l’autoformation dans l’autogestion :

En rapport avec le temps qu’implique l’autogestion d’une entreprise ou d’un service public, plusieurs congressistes se sont interrogé-es sur le temps nécessaire à la formation et à l’autoformation, tout en soulignant l’aspect positif et émancipateur de cette dimension. Il a été rappelé que lors de la fermeture d’une entreprise, les premier-es à partir et à ne pas participer à la récupération sont généralement les employé-es de l’administration, ce qui « condamne » les récupérateurs/trices à se former à la gestion dans l’urgence, à moins de faire appel à des avocats conseils qui deviennent les administrateurs, auquel cas on ne plus tout à fait parler d’autogestion. Les temps collectifs de formation et d’autoformation qui suivent sont généralement intégrés au temps de travail et n’entraînent pas nécessairement un investissement supplémentaire. Par ailleurs cette « autoformation continue » permet souvent de déconstruire l’organisation scientifique du travail qui est l’une des premières sources d’aliénation.

– Questions et contributions sur l’autogestion dans l’éducation :

Sont évoqués les exemples d’établissements autogérés (Hérouville, Saint-Nazaire, Oléron, LAP, Clisthène) et les problèmes de fonctionnement qu’ils rencontrent actuellement, notamment en raison de politiques publiques qui visent à les affaiblir. Sont également évoquées les écoles récupérées (Mons-en-Bareuil) ou créées à l’initiative de parents d’élèves sur le plateau des Millevaches, et les directions collégiales d’écoles. Ces exemples posent clairement le problème de l’autogestion scolaire au sein de l’Education nationale. C’est l’occasion d’expliciter le fonctionnement des bachilleratos en Argentine, lieux d’éducation populaire en lien avec les mouvements sociaux et politiques, notamment piqueteros (voir l’article à ce sujet dans le dernier numéro du Journal fédéral de SUD Education). Une partie des discussions de l’atelier est consacrée aux possibilités d’autogestion dans la classe, en lien avec les pratiques pédagogiques coopératives.

– Questions et contributions sur la démocratisation de l’autogestion et sa place dans notre syndicalisme :

Il a été noté que la confrontation (ici par l’image) à des formes autogestionnaires existantes permet de rendre le concept d’autogestion moins abstrait, pour les non-militant-e-s comme pour les militant-e-s. Il donc est apparu important de développer des outils de formation syndicale qui partent de l’existant pour aborder l’autogestion et la socialisation des moyens de production. Pour reprendre ce qu’expliquaient Catherine Lebrun et Christian Mahieux en 2013 dans Les cahiers d’alter, l’absence de réflexion collective sur une gestion différente, et notamment une possible autogestion, affaiblit les perspectives émancipatrices des mouvements sociaux. C’est notamment pour cette raison qu’il est important que les militant-e-s de SUD Education et de Solidaires s’emparent de cette réflexion collective et la nourrissent dans leurs Solidaires locaux, tout en la renouvelant constamment dans le fonctionnement de leurs équipes militantes.