Les projets de reprise d’entreprise par les salariés sous forme coopérative se multiplient. Longtemps ignorée par le mouvement ouvrier, la coopérative de travail redevient à la mode. Cette évolution correspond à une aspiration nouvelle des salariés et participe à la construction d’un projet politique. On aurait tort de se contenter de regarder ce mouvement d’une façon sympathique sans se saisir de sa portée transformatrice.
Texte paru dans Cerises n° 211
Depuis 2010, de nombreux projets de reprise d’entreprise par les salariés sous forme coopérative ont vu le jour. Cela a commencé par les SeaFrance à l’automne 2011. Cette entreprise était publique et filiale de la SNCF. Suite à de nombreuses pertes et devant l’impossibilité pour la maison-mère de recapitaliser SeaFrance, les salariés et leur section syndicale CFDT élaborent un projet de reprise sous forme de SCOP qui devait poursuivre l’activité de SeaFrance sans discontinuité. La direction de l’entreprise ainsi que le gouvernement de l’époque s’opposeront à cette solution qui ne sera finalement pas retenue, pour ne pas dire qu’elle a été délibérément sabotée. Néanmoins, à l’été 2012, dans le cadre d’un partenariat avec EuroTunnel qui a racheté les navires, la SCOP SeaFrance réalise désormais les traversées pour le compte de MyFerryLink. Plus de 600 emplois ont été sauvegardés.
Au même moment, les salariés de Fralib, entreprise de conditionnement de thés et d’infusions, filiale du groupe Unilever, se voyaient confrontés à un projet de fermeture de leur usine de Gémenos dans les Bouches-du-Rhône. Plutôt que de vendre chèrement leur peau en exigeant des indemnités supra-légales, ces salariés et leur section syndicale CGT attaqueront en amont le Plan de Sauvegarde des Emplois au Tribunal d’instance obtenant par trois fois son invalidation. Face à l’impossibilité juridique pour Unilever de fermer l’usine, les salariés ont alors développé un plan de reprise de l’entreprise sous forme coopérative. Afin de permettre à celle-ci de repartir, ils exigent de la part d’Unilever la cession de la marque Éléphant ainsi que des volumes de commandes. Fait intéressant, le projet de reprise intégre la relance de filières d’approvisionnement local en arômes naturels ainsi que le développement d’une logique de commerce équitable en ce qui concerne les thés, marquant ainsi une rupture avec les pratiques antérieures du groupe. À l’inverse des SeaFrance, ce conflit est toujours sans solution plus de trois ans après.
Au delà de ces deux exemples emblématiques, de nombreux autres projets ont été, non seulement élaborés mais aussi réalisés à partir de 2012. Il s’agit de l’imprimerie Helio-Corbeil dans l’Essonne, du concepteur et fabriquant de meubles Buroform-Arféo (Mayenne), de l’entreprise de textile Fontanille dans la Haute-Loire, de l’entreprise de haute technologie SET en Haute-Savoie. Peut-être pouvons-nous faire rentrer dans ce cadre le projet des Atelières, SCIC qui emploie quelques anciennes de Lejaby et qui a fait parler d’elle ces derniers jours ? Plus récemment, la SCOP La Fabrique du Sud à Carcassonne a pris la suite de l’usine Pilpa fermée par son propriétaire, le groupe R&R. De même, l’entreprise de charpenterie Labat et Sierra dans le Dauphiné a été reprise en SCOP. Dans les Vosges, les anciens salariés de la plus vieille papeterie de France à Docelles ont élaboré un projet de reprise approuvé par les pouvoirs publics, le mouvement coopératif et soutenu par quelques établissements financiers. Ils sont désormais en conflit avec l’ancien propriétaire, le groupe finlandais UPM qui refuse de céder le site à un prix raisonnable.
Au centre de toutes ces initiatives se trouve la question de l’emploi. Alors que dans le passé, en cas de difficultés économiques, les salariés étaient en demande d’un « repreneur », il apparaît désormais que ceux-ci sont souvent les meilleurs candidats. En effet, nous ne comptons plus les exemples de ces entrepreneurs miraculeux qui, après de belles promesses sur le maintien de l’emploi auprès des pouvoirs publics, vont dépecer l’entreprise, revendre à bon compte ses actifs les plus prometteurs pour ensuite la liquider sans vergogne. Reprise sous forme coopérative, les salariés ont alors la certitude de ne jamais se délocaliser. Mais au-delà de la question de l’emploi, cette reprise permet aux travailleurs de se réapproprier le contrôle de leur travail. Si on travaille toujours pour obtenir une rémunération, l’absence de position subordonnée amène à s’interroger sur la signification de son labeur. Ce n’est pas un hasard si les salariés de Fralib ne veulent plus produire comme avant, veulent se débarrasser des arômes de synthèse, veulent reconstruire des filières locales d’approvisionnement en arômes naturels. C’est le même processus qui explique que le projet de SCOP La Fabrique du Sud cherche à créer des crèmes glacées de qualité avec des intrants locaux. C’est clairement un processus de désaliénation du travail qui est en œuvre.
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