La rencontre a commencé le jeudi 27 et s’est terminée le samedi 29 novembre. Voici pour chaque jour une lettre de Richard Neuville qui y représente l’Association autogestion, ainsi que son intervention en espagnol. Le lundi 15 décembre à 19 h, un compte-rendu de la rencontre, organisé par l’AA et Solidaires, aura lieu en visioconférence. Retenez la date, Lien: https://us02web.zoom.us/j/89837319928?pwd=oGahIANvhd06EfmvQYDC4aaZAmBpuO.1
Premier jour
Bonjour à toutes et tous,
La Xe rencontre internationale de l’économie des travailleur-se-s a débuté ce jeudi 27 novembre dans la province de La Rioja. Les débats sous forme d’ateliers et de table-ronde se dérouleront jusqu’au samedi 29 novembre. C’est sous une chaleur terrible, près de 40°, que les travaux ont commencé dans cette ville, située dans une zone quasi-désertique, tout près de la Cordillère des Andes, à 1 200 km de Buenos Aires.
La rencontre se tient dans le Centre culturel de la ville de La Rioja. Les rencontres internationales se tiennent tous les deux ans. Lors de années intermédiaires, ce sont des rencontres régionales.
La rencontre a débuté par une inauguration avec des prises de parole de représentant-e-s du Comité international (voir photo). J’y ai pris la parole au nom de l’Association pour l’Autogestion et l’union syndicale Solidaires.
Cette inauguration a été suivie d’une première table-ronde : « Analyse de la situation de la classe ouvrière dans la crise politique, économique et écologique du capitalisme global. L’autogestion face aux défis des nouvelles et vieilles droites. »
Je suis intervenu au nom de l’Association pour l’Autogestion dans la deuxième table-ronde « Autogestion comme pratique et comme projet alternatif. Expériences internationales » aux côtés de représentant-e-s de Bolivie, du Brésil, du Chili, du Mexique et de Turquie. J’ai présenté un panorama de reprises d’entreprises en France depuis le début du XXIe siècle. Les camarades italiens ont envoyé une vidéo pour saluer les travaux et proposer l’organisation de la Ve rencontre européenne l’année prochaine à Florence dans les locaux de GKN.
Deux ateliers ont suivi avec une présentation du rapport 2025 du programme Faculté ouverte : « les entreprises récupérées par les travailleur-se-s sous le gouvernement de Milei » ; « l’économie des travailleur-se-s dans une perspective de genre ».
Enfin, une dernière table-ronde suivra ce soir : « État et politiques publiques dans l’économie des travailleur-se-s ».
Les travaux se poursuivront demain.
Signe de crises profondes dans plusieurs pays et d’un contexte global difficile, la participation à cette rencontre est moindre que les précédentes. Nous aurons l’occasion d’en reparler lors du webinaire du 15 décembre à 19 heures organisé par l’Association pour l’Autogestion et l’union syndicale Solidaires avec la participation d’Andrés Ruggeri de l’université de Buenos Aires.
Salutations autogestionnaires,
Richard
Deuxième jour
Vendredi 28 novembre
La seconde journée de la Xe rencontre internationale de l’économie des travailleur-se-s à La Rioja a été consacrée en grande partie à des questions pratiques et théoriques de l’autogestion, la praxis. C’est la particularité de ce réseau international et des rencontres de l’économie des travailleur-se-s, basée sur des échanges entre des représentant-e-s du monde académique et les travailleur-se-s impliqué-e-s dans les expériences d’autogestion.
Plusieurs livres ont été présentés avec différentes interventions et différents regards :
- « Produire dans la nouvelle mondialisation ».
- « Les droites de droite. La victoire du capitalisme mondialisé » de Mario Hernández qui nous a invité à témoigner de la situation en France et en Europe.
- « La révolution industrielle- programme économique pour l’indépendance nationale et le socialisme en Argentine » de Daniele de Santís.
- « L’autogestion comme forme de lutte. Questions pour construire un chemin commun » de la fédération TRASOL du Chili.
Plusieurs ateliers se sont tenus :
- « La sécurité sociale dans les coopératives »
- « Analyse collective sur les interactions économiques et impacts sur les pouvoirs décisionnels » animé par un doctorant québécois.
- « Expériences d’autogestion populaire, genre et éducation » TRASOL (Chili).
Plusieurs table-rondes étaient également au programme avec notamment la poursuite du cycle :
- « L’autogestion comme pratique et comme projet politique », » Défis en termes d’organisation et politique pour le syndicalisme et autres formes d’organisation de travailleur-se-s face au capitalisme néolibéral global » avec la participation de la CGT de l’état espagnol, du PIT-CNT d’Uruguay, de la CTA et de la CGT de Argentine, la Union des travailleur-se-s de l’éducation populaire (UTEP)..
- « Production industrielle, commercialisation et articulation dans le secteur coopératif – Production agricole autogérée et communautaire ».
- « Expériences d’autogestion et récupération d’entreprises en Argentine. Les défis de l’autogestion dans le contexte ultra-libéral ».
Il importe de signaler la qualité des débats, d’écoute et de tolérance lors de cette rencontre. Les divergences ne sont pas esquivées, elles s’expriment sans jugement. Certaines questions restent en débat, certaines définitions également à l’image des notions de « récupération », d’ « économie des travailleur-se-s »…
La journée va s’achever très tard avec un spectacle et un asado. Nous sommes bien en Argentine…
Demain, nous dresserons un bilan de cette dixième rencontre internationale et tenterons d’esquisser des perspectives pour le réseau international confronté à l’offensive mondiale des droites de droite et de processus de fascisation…
Il existe déjà une piste pour l’accueil de la prochaine rencontre européenne avec la proposition des camarades italiens de Fuori Mercato dans l’ex entreprise de GKN à Florence.
Comme d’habitude, nous reviendrons plus longuement sur différents aspects de cette rencontre et donnons rendez-vous pour le webinaire du 15 décembre à 19 heures avec la participation d’Andrés Ruggeri et moi-même.
Saludos,
Richard
troisième et dernier jour
Samedi 29 novembre
La Xe rencontre internationale de l’économie des travailleur-se-s qui s’est tenue à La Rioja (27 au 29 novembre) a clôturé ses travaux en milieu de journée.
L’assemblée plénière a dressé un bilan des deux journées d’échanges intenses, alliant des apports théoriques et des ateliers plus axés sur la pratique. Les questions de filières de commercialisation des produits des coopératives restent toujours en chantier.
La dimension internationale et internationaliste a été permanente. L’offensive des droites de droite a fait l’objet d’une attention toute particulière et bien évidemment les conséquences pour les classes ouvrières des différents pays. La participation de chacun-e à été active et a permis de réels échanges. Le contexte politique et économique argentin, les difficultés rencontrées par les entreprises récupérées par les travailleur-se-s (ERT) en Argentine (voir notre article publié récemment sur notre site) ont compliqué l’organisation de cette rencontre d’un point de vue financier. Ainsi nombre d’ERT, de coopératives n’ont pu y participer pour des raisons purement économiques. Mais plus globalement, des délégations étrangères, habituellement assez importantes à l’image des mexicain-e-s, uruguayen-e-s, colombien-ne-s ont envoyé un nombre de représentants bien plus réduits cette année, principalement universitaires. Cela a également été le cas des européens… avec l’absence des italien-ne-s, qui ont envoyé un message par vidéo. Par contre, la délégation chilienne, principalement issu de la fédération de coopératives de travail et solidarité (TRASOL) était très étoffée avec 35 représentant-e-s, très majoritairement femmes. Elle a eu un rôle très actif.
L’assemblée à adopté des résolutions en solidarité avec la Palestine, avec le Venezuela sous la menace d’une agression militaire US, avev les travailleur-se-s de l’ex-GKN à Florence, de Graficos asociados à Mendoza et de la Litoraleña à Buenos Aires en grande difficulté.
Le réseau international a également décidé de s’inscrire dans le cadre de la Conférence antifasciste qui se tiendra à Porto Alegre (Brésil) du 26 au 29 mars 2026.
La XIe rencontre internationale pourrait se tenir au Chili en 2027 et la Ve rencontre européenne à Florence en 2026. Les décisions seront prises dans quelques mois.
Comme nous l’avons annoncé précédemment, nous aurons l’occasion de revenir plus en détail sur cette rencontre le lundi 15 décembre à 19 heures dans un webinaire avec la participation d’Andrés Ruggeri, universitaire et coordinateur du réseau international, et moi-même. Ce sera également l’occasion d’évoquer la situation des entreprises récupérées par les travailleur-se-s en Argentine à partir des éléments du dernier rapport, de même la création du Comité international de solidarité avec l’autogestion en Argentine.
Salutations autogestionnaires

X° Encuentro Internacional de Economía de los Trabajadoras y Trabajadores
La Rioja – 27 al 29 de noviembre de 2025
Ponencia de la Asociación para la Autogestión
Richard Neuville
Francia: Empresas « en dificultades » recuperadas por los trabajadorxs
La apropiación de los medios de producción por parte de los trabajadores se plantea de manera diferente en Francia o en Europa que en América Latina, y en particular en Argentina. En Francia, el marco legislativo permite transiciones, a veces menos conflictivas, para recuperar las herramientas de trabajo y constituirse en sociedades cooperativas de producción (SCOP). Sin embargo, esto no excluye que a veces se produzcan conflictos prolongados.
A principios del siglo XXI, con la globalización capitalista, en algunos sitios los trabajadores se organizaron para luchar a menudo contra la deslocalización de la producción y recuperaron sus empresas que consideraban económicamente viables: estos eran los trabajadores de CERALEP (fábrica de aisladores eléctricos cerámicos) en St-Vallier (Drôme) en 2004, con el apoyo de la ciudadanía de la ciudad; también fueron las Fonderies (fundiciones) de Ploërmel (Bretaña) en 2005, etc. Estos ejemplos de recuperaciones por parte de trabajadores abrieron el camino para oponerse a los fondos especulativos (de inversión o de pensiones) que sólo buscaban rentabilidad a corto plazo y decidieron cerrar empresas únicamente por el “costo laboral” que sería demasiado alto en Francia. Este proceso se aceleró después de la crisis de 2008.
En Francia y Europa, la crisis provocó la destrucción de varios cientos de miles de puestos de trabajo industriales (269.000 en Francia según Alternativas Económicas). Para aumentar las ganancias, los capitalistas aprovecharon la crisis para trasladar la producción a Europa del Este u otros continentes.
Si entre 2008 y 2010 se libraron luchas, a veces ejemplares en términos de combatividad, fueron esencialmente defensivas y se limitaron a resistir a los “planes sociales” dictados por la lógica accionarial y a negociar primas de despido (extralegal). Rara vez se plantearon recuperación de la propiedad (Molex, Goodyear, Continentale) o la reconversión ecológica de la producción (como en Total Dunkerque en 2010). ¿Fue imposible lo que los trabajadores mexicanos obtuvieron en El Salto en 2005 después de 4 años de lucha en Clairoix? Era la misma transnacional continental y una fábrica del mismo tamaño. En ningún momento los equipos sindicales discutieron y menos aún desarrollaron contraplanes alternativos para los trabajadores.
Pero a partir de 2011 se produjo una nueva dinámica con la lucha de Fralib contra la multinacional Unilever (segundo grupo agroalimentario del mundo). Después de 1.336 días de lucha y ocupación de la fábrica de Gémenos (cerca de Marsella), los trabajadores salieron victoriosos y pudieron mantener herramientas de trabajo muy modernas y emprender una diversificación de la producción más natural y ecológica con la creación de la cooperativa SCOP-TI en 2014. El primero encuentro euromediterráneo de la economía de las trabajadoras y trabajadores tuvo lugar en esta fábrica en enero de 2014 durante el período de ocupación. Paralelamente y durante estos años, otras empresas fueron recuperadas por trabajadores como la imprenta Hélio-Corbeille (Essonne) en 2012; la fábrica de helados Pilpa, convertida en Fabrique du Sud en Carcasona, cerca de Toulouse, en 2013; en 2012 se recuperó la fábrica de encajes de Fontanilles, en Alto Loira (Macizo Central), que existía desde hacía 160 años ; En 2013 se adquirió ARFEO, fabricante de material de oficina de Mayenne; Smart Equipment Technology (SET), en el sector de la microelectrónica en Saboya en 2012, etc. En pocos años, decenas de empresas fueron recuperadas por trabajadores en Francia. También se produjeron fracasos como la de la papelería de Docelles en los Vosges en 2015 o la compañía de transbordadores de coches Sea France en Calais (norte de Francia), que no pudo continuar su actividad en forma de cooperativa (2012).
Con la recuperación económica poscrisis financiera, los cierres de empresas se desaceleraron y también las luchas por recuperar el sistema productivo. Las nuevas experiencias, de las que presentamos algunos ejemplos durante el octavo encuentro de México en 2021: Railcoop, la Cooperativa de Máscaras o L’après M, se distinguen de las anteriores porque toman otra forma. En primer lugar, desde el punto de vista del estatus, al optar por la sociedad cooperativa de interés colectivo (SCIC), que integra varios colegios de toma de decisiones y financieros. De hecho, los proyectos no se basan únicamente en trabajadores sino que son apoyados por grupos de usuarios, donantes, financiadores públicos (autoridades locales), etc. y en algunas ocasiones se refieren a misiones de servicio público. Por ejemplo “L’après M” es la recuperación de un restaurante de comida rápida « McDonald’s » en un barrio popular de Marsella, cuya liquidación judicial fue provocada por la compañía multinacional y declarada en diciembre de 2019. En marzo de 2020, al inicio del confinamiento Covid, los ex trabajadores requisaron el locales y crearon una plataforma de ayuda alimentaria solidaria para los vecinos del barrio. El 10 de diciembre de 2022 abrió sus puertas el nuevo restaurante solidario. La cooperativa SCIC “L’après M” emplea de momento a 37 personas. Cada semana distribuye entre 600 y 1.200 paquetes de alimentos solidarios y siguen con un restautante de comida rapida con mejores productos más sanos. Se trata de un verdadero proyecto social y solidario en un barrio pobre de Marsella.
Por otra parte, a veces, cuando cierran empresas en dificultades, a menudo de capital nacional, los trabajadores se organizan para presentar ante los tribunales de comercio proyectos de recuperación en forma de cooperativas de producción. Los datos elaborados por la Confederación General de cooperativas de producción indican que, en los últimos diez años, las recuperaciones de empresas en dificultades por parte de los trabajadores oscilan, según los años, entre el 7 % y el 10 % de las creaciones de cooperativas de producción y hasta el 14 % de la plantilla de nuevos trabajadores cooperativistas. Así, en el año de 2024 se crearon en Francia 237 cooperativas de producción, 16 de ellas a partir de empresas en dificultades que representaban a 500 empleados, de los cuales 227 proceden de la emblemática empresa Duralex. En lo que respecta a esta empresa francesa conocida en todo el mundo, se ha producido un auténtico entusiasmo por apoyar su conversión en cooperativa y preservar su saber hacer. Así, la población francesa ha prestado su apoyo financiero. A finales de octubre, la cooperativa volvió a solicitar a los ciudadanos que recapitalizaran la empresa. Aunque necesitaba 5 millones, en 24 horas se recaudaron dieciséis millones. Lo siento mucho y tengo la sensación de estar hablando de una historia de ricos, de un país del centro del capitalismo, cuando veo las dificultades que hay para reunir fondos para apoyar a las ERT argentinas, incluso en nuestros paises.
Desde hace años, nos resulta difícil evaluar el número de empresas recuperadas en Francia. Incluso durante el conflictivo periodo comprendido entre 2010 y 2015, a pesar de nuestro gran compromiso con la solidaridad, no logramos evaluar con precisión este número.
Además de la adquisición de empresas en dificultades, existe otro factor que favorece el desarrollo de las cooperativas de producción: la transmisión de empresas saneadas. En lugar de vender sus empresas a capitales extranjeros sin garantía de que se mantengan la herramienta de trabajo en Francia, algunos empresarios, que a menudo se jubilan, prefieren transmitirlas a sus empleados bajo un estatuto cooperativo. Este caso representó el 20 % de las creaciones de SCOP en 2024 (47 unidades) y el 34 % de los nuevos puestos de trabajo cooperativistos.
En ambos casos, estas recuperaciones de la actividad por parte de colectivos de trabajadores en forma de cooperativas no garantizan un funcionamiento autogestionado, pero a menudo permiten conservar puestos de trabajo sin riesgo de deslocalización. A menudo son las pequeñas y medianas empresas industriales las que poseen un verdadero saber hacer y forman parte del patrimonio nacional.
Pero a diferencia de Argentina, Brasil, Colombia, México o Uruguay, no podemos apoyarnos en trabajos académicos para investigar estos procesos de recuperación de empresas por parte de los trabajadores. Esta carencia es perjudicial para poder analizar estos procesos con más detalles.
El concepto de autogestión ha recuperado cierto vigor en Francia en los últimos años. En el período de cambios significativos que estamos atravesando, existe una necesidad urgente de que el movimiento social se reapropie de este concepto, de reflexionar sobre las perspectivas de luchas ofensivas que plantean cuestiones de control obrero, gestión obrera y contraplanes alternativos, reconversión ecológica de la industria, transición energética, etc. La referencia a la autogestión no debe ser llevada sólo por ciertos actores sociales, implica una apropiación más global para convertirse en una “cultura que riega la sociedad” para referirse al filósofo francés Henri Lefebvre, teórico de la autogestión, al imagen de la clase obrera argentina.
Xe Rencontre internationale sur l’économie des travailleurs
La Rioja – 27 au 29 novembre 2025
Exposé de l’Association pour l’autogestion
Richard Neuville
France : entreprises « en difficulté » reprises par les travailleurs
L’appropriation des moyens de production par les travailleurs se pose différemment en France ou en Europe qu’en Amérique latine, et en particulier en Argentine. En France, le cadre législatif permet des transitions, parfois moins conflictuelles, pour récupérer les outils de travail et se constituer en sociétés coopératives de production (SCOP). Cela n’exclut toutefois pas que des conflits prolongés surviennent parfois.
Au début du XXIe siècle, avec la mondialisation capitaliste, les travailleurs se sont parfois organisés pour lutter contre la délocalisation de la production et ont repris leurs entreprises qu’ils jugeaient économiquement viables : ce fut le cas des travailleurs de CERALEP (usine d’isolateurs électriques en céramique) à St-Vallier (Drôme) en 2004, avec le soutien des habitants de la ville ; il y a eu aussi les Fonderies de Ploërmel (Bretagne) en 2005, etc. Ces exemples de reprises par les travailleurs ont ouvert la voie à l’opposition aux fonds spéculatifs (d’investissement ou de pension) qui ne recherchaient que la rentabilité à court terme et décidaient de fermer des entreprises uniquement en raison du « coût du travail » jugé trop élevé en France. Ce processus s’est accéléré après la crise de 2008.
En France et en Europe, la crise a entraîné la destruction de plusieurs centaines de milliers d’emplois industriels (269 000 en France selon Alternatives économiques). Pour augmenter leurs profits, les capitalistes ont profité de la crise pour délocaliser la production vers l’Europe de l’Est ou d’autres continents.
Si entre 2008 et 2010, des luttes, parfois exemplaires en termes de combativité, ont été menées, elles étaient essentiellement défensives et se limitaient à résister aux « plans sociaux » dictés par la logique actionnariale et à négocier des primes de licenciement (extralégales). Rarement ont-ils envisagé la reprise de propriété (Molex, Goodyear, Continentale) ou la reconversion écologique de la production (comme chez Total Dunkerque en 2010). Ce que les travailleurs mexicains ont obtenu à El Salto en 2005 après 4 ans de lutte à Clairoix était-il impossible ? Il s’agissait de la même multinationale continentale et d’une usine de même taille. À aucun moment les équipes syndicales n’ont discuté, et encore moins élaboré, des contre-projets alternatifs pour les travailleurs.
Mais à partir de 2011, une nouvelle dynamique s’est mise en place avec la lutte de Fralib contre la multinationale Unilever (deuxième groupe agroalimentaire mondial). Après 1 336 jours de lutte et d’occupation de l’usine de Gémenos (près de Marseille), les travailleurs ont remporté la victoire et ont pu conserver des outils de travail très modernes et entreprendre une diversification de la production plus naturelle et plus écologique avec la création de la coopérative SCOP-TI en 2014. La première rencontre euro-méditerranéenne de l’économie des travailleuses et travailleurs s’est tenue dans cette usine en janvier 2014 pendant la période d’occupation. Parallèlement et au cours de ces années, d’autres entreprises ont été reprises par les travailleurs, comme l’imprimerie Hélio-Corbeille (Essonne) en 2012 ; l’usine de glaces Pilpa, devenue la Fabrique du Sud à Carcassonne, près de Toulouse, en 2013 ; en 2012, l’usine de dentelles de Fontanilles, dans le Haut-Loire (Massif central), qui existait depuis 160 ans ; en 2013, ARFEO, fabricant de matériel de bureau en Mayenne ; Smart Equipment Technology (SET), dans le secteur de la microélectronique en Savoie en 2012, etc. En quelques années, des dizaines d’entreprises ont été reprises par leurs salariés en France. Il y a également eu des échecs, comme celui de la papeterie de Docelles dans les Vosges en 2015 ou celui de la compagnie de ferries Sea France à Calais (nord de la France), qui n’a pas pu poursuivre son activité sous forme de coopérative (2012).
Avec la reprise économique post-crise financière, les fermetures d’entreprises ont ralenti, tout comme les luttes pour récupérer le système productif. Les nouvelles expériences, dont nous avons présenté quelques exemples lors de la huitième rencontre au Mexique en 2021 : Railcoop, la Cooperativa de Máscaras ou L’après M, se distinguent des précédentes car elles prennent une autre forme. Tout d’abord, du point de vue du statut, en optant pour la société coopérative d’intérêt collectif (SCIC), qui intègre plusieurs collèges décisionnels et financiers. En effet, les projets ne reposent pas uniquement sur les travailleurs, mais sont soutenus par des groupes d’utilisateurs, des donateurs, des bailleurs de fonds publics (autorités locales), etc. et font parfois référence à des missions de service public. Par exemple, « L’après M » est la reprise d’un restaurant fast-food « McDonald’s » dans un quartier populaire de Marseille, dont la liquidation judiciaire a été provoquée par la multinationale et prononcée en décembre 2019. En mars 2020, au début du confinement lié à la Covid, les anciens travailleurs ont réquisitionné les locaux et créé une plateforme d’aide alimentaire solidaire pour les habitants du quartier. Le 10 décembre 2022, le nouveau restaurant solidaire a ouvert ses portes. La coopérative SCIC « L’après M » emploie actuellement 37 personnes. Chaque semaine, elle distribue entre 600 et 1 200 colis alimentaires solidaires et continue à gérer un restaurant fast-food proposant des produits de meilleure qualité et plus sains. Il s’agit d’un véritable projet social et solidaire dans un quartier pauvre de Marseille.
D’autre part, lorsque des entreprises en difficulté, souvent à capitaux nationaux, ferment leurs portes, les travailleurs s’organisent parfois pour présenter aux tribunaux de commerce des projets de reprise sous forme de coopératives de production. Les données élaborées par la Confédération générale des coopératives de production indiquent qu’au cours des dix dernières années, les reprises d’entreprises en difficulté par les travailleurs ont représenté, selon les années, entre 7 % et 10 % des créations de coopératives de production et jusqu’à 14 % des effectifs des nouveaux travailleurs coopératifs. Ainsi, en 2024, 237 coopératives de production ont été créées en France, dont 16 à partir d’entreprises en difficulté représentant 500 salariés, dont 227 provenant de l’entreprise emblématique Duralex. En ce qui concerne cette entreprise française connue dans le monde entier, un véritable enthousiasme s’est manifesté pour soutenir sa conversion en coopérative et préserver son savoir-faire. La population française a ainsi apporté son soutien financier. Fin octobre, la coopérative a de nouveau demandé aux citoyens de recapitaliser l’entreprise. Alors qu’elle avait besoin de 5 millions, seize millions ont été récoltés en 24 heures. Je suis vraiment désolé et j’ai l’impression de parler d’une histoire de riches, d’un pays au cœur du capitalisme, quand je vois les difficultés qu’il y a à réunir des fonds pour soutenir les ERT argentines, même dans nos pays.
Depuis des années, nous avons du mal à évaluer le nombre d’entreprises récupérées en France. Même pendant la période conflictuelle comprise entre 2010 et 2015, malgré notre grand engagement en faveur de la solidarité, nous n’avons pas réussi à évaluer précisément ce nombre.
Outre l’acquisition d’entreprises en difficulté, il existe un autre facteur qui favorise le développement des coopératives de production : la transmission d’entreprises saines. Plutôt que de vendre leurs entreprises à des capitaux étrangers sans garantie que l’outil de travail restera en France, certains entrepreneurs, souvent à la retraite, préfèrent les transmettre à leurs salariés sous un statut coopératif. Ce cas a représenté 20 % des créations de SCOP en 2024 (47 unités) et 34 % des nouveaux emplois coopératifs.
Dans les deux cas, ces reprises d’activité par des collectifs de travailleurs sous forme de coopératives ne garantissent pas un fonctionnement autogéré, mais permettent souvent de conserver des emplois sans risque de délocalisation. Ce sont souvent les petites et moyennes entreprises industrielles qui possèdent un véritable savoir-faire et font partie du patrimoine national.
Mais contrairement à l’Argentine, au Brésil, à la Colombie, au Mexique ou à l’Uruguay, nous ne pouvons pas nous appuyer sur des travaux universitaires pour étudier ces processus de reprise d’entreprises par les travailleurs. Cette lacune nuit à l’analyse plus détaillée de ces processus.
Le concept d’autogestion a retrouvé un certain élan en France ces dernières années. Dans la période de changements significatifs que nous traversons, il est urgent que le mouvement social se réapproprie ce concept, qu’il réfléchisse aux perspectives de luttes offensives qui soulèvent les questions du contrôle ouvrier, de la gestion ouvrière et des contre-projets alternatifs, de la reconversion écologique de l’industrie, de la transition énergétique, etc. La référence à l’autogestion ne doit pas être le fait de certains acteurs sociaux seulement, elle implique une appropriation plus globale pour devenir une « culture qui imprègne la société », pour reprendre les termes du philosophe français Henri Lefebvre, théoricien de l’autogestion, à l’image de la classe ouvrière argentine.
Fuentes :
Site de la Confédération générale des SCOP https://www.les-scop.coop/
Rapport d’activité 2024 : https://www.les-scop.coop/rapport-d-activite
Rapport d’activité 2017-2021 : https://www.pourunautremodeledesociete.coop/system/files/2022-04/RA_SCOP_2017-2021.pdf
Communiqué de presse du bilan CG SCOP de 2022 :
Rapport d’activité 2020 des SCOP :
SCOP – Chiffres clés 2019 : https://www.ethiquable.coop/page-rubrique-qui-sommes-nous/scop-chiffres-clefs-2019
Rapport d’activité 2018 SCOP :








