De nos envoyés spéciaux en Argentine : 23 et 24 août 2017.
En avant-première de la rencontre, le comité local d’organisation de la 6e rencontre internationale de l’économie des travailleur-ses a programmé une semaine d’activités (visites d’entreprises récupérées, débats, etc.) entre le 23 et le 29 août pour mieux appréhender la situation argentine.
C’est dans ce cadre que nous avons visité le mercredi 23 août la coopérative Campichelo, une imprimerie installée dans des locaux du ministère de la Justice. Une raison à cela : il s’agissait de l’imprimerie nationale du Bulletin officiel qui employait 120 travailleur-ses et qui fut fermée par le gouvernement de Carlos Menem en 1990. Avec l’aide du syndicat Gráficos, les travailleur-ses se mobilisèrent pour conserver leur outil de travail. Une négociation permit de maintenir une production sous la forme de coopérative dès 1992 avec les 43 travailleurs qui restèrent. Aujourd’hui, la coopérative regroupe une soixantaine de travailleur-se-s et a réussi une transition générationnelle : la grande majorité de ceux-ci sont désormais des jeunes, seuls 10 des 43 qui participèrent à la récupération sont encore présents, les autres étant partis en retraite. Dans un secteur à forte tradition syndicale, l’ensemble des travailleurs est affilié. Les salaires se situent nettement au-dessus de la moyenne. Si la coopérative est économiquement saine, elle développe aussi des œuvres sociales à l’extérieur (cours dans une prison ou en direction des enfants de la rue) au travers de leur fondation. Sous la menace d’expulsion du local de la part du gouvernement Macri, elle a su anticiper en achetant des terrains lui permettant de faire face à cette éventualité. La coopérative Campichelo a été à l’initiative du réseau des imprimeries récupérées, Red Gráfica (voir référence article publié sur le site et Encyclopédie internationale de l’autogestion).
La journée s’est poursuivie par une visite à Gcoop, coopérative spécialisée dans les services informatiques. Elle a dix ans d’existence et 18 associé-es. Ce fut la première coopérative de software libre en Argentine. Il ne s’agit pas d’une entreprise récupérée mais d’une création ex nihilo constituée à l’origine par des militant-e-s de quartier. Ces initiateurs souhaitaient réagir et s’organiser face au processus de privatisation de l’immatériel et de la connaissance au profit de groupes privés engagé dès les années 1970 aux États-Unis. Il y a six ans, Gcoop a été à l’initiative de la création d’une fédération spécifique au développement technologique, à l’innovation et à la connaissance, la FACTTIC. Celle-ci regroupe à ce jour 20 coopératives. Gcoop accompagne les coopératives dans leur développement informatique. Elle est divisée en quatre secteur d’activité : développement web, suivi de clientèle (PME), développement de systèmes de gestion et assistance technique. Elle a de nombreux échanges au niveau international et participe à une radio communautaire de quartier.
La journée s’est terminée par un dîner dans un restaurant récupéré, le Bataglia. Une douzaine de restaurants ont été récupérés ces cinq dernières années dont celui-ci. Le Bataglia appartenait à une chaîne de grands restaurants, dont quatre ont été récupérés.
La deuxième journée, jeudi 24 août, était consacrée aux Droits de l’homme avec la visite de l’École supérieure de mécanique des armées (ESMA) qui fut un des 500 centres clandestins de détention, de torture et d’extermination pendant la dictature (1976-1983). Une partie du complexe a été transformée en musée sous la présidence de Nestor Kirchner et d’autres bâtiments sont gérés par les organisations de défense des Droits humains. Au cours des sept années de la dictature, 30 000 personnes disparurent, 80% d’entre elles étaient des ouvrier-ères. Une grande partie des forces vives et militantes du pays disparurent dans ce qu’il est possible de qualifier de génocide. Dans le bâtiment transformé en musée, on peut voir les lieux de détention (sous les combles) et de torture (au sous-sol) alors que les étages servaient d’hébergement aux officiers.
Après un repas pris à la pizzeria La Casone récupérée en 2015, nous sommes allés au rendez-vous hebdomadaire des Madres de Plaza de Mayo (Mères de la Place de Mai), situé en face du palais présidentiel, La Casa Rosada. Ce jeudi, l’assistance était plus nombreuse compte tenu de la disparition récente d’un jeune, Santiago Maldonado. Santiago participait à une mobilisation de Mapuche dans le centre du pays et a été enlevé par la gendarmerie sur un barrage, un piquete. Depuis, il est porté disparu et le gouvernement n’a pas donné de nouvelles depuis trois semaines. En Argentine, trente-cinq après la fin de la dictature, l’impunité demeure. Une grande manifestation est prévue à Buenos Aires le 1er septembre.
La journée s’est achevée par un dîner au restaurant Los Chanchitos récupéré en 2012. Les camarades de ce restaurant animent un réseau des restaurants récupérés.