Un conflit oppose les salarié-es Fralib de Gémenos (13) au groupe Unilever. Menacé-es par la fermeture de leur unité de production, ceux-ci développent un projet de reprise alternative dont la finalité serait la renaissance locale d’une filière de production respectueuse des individus et du milieu naturel.
Nous étions une délégation de trois militants autogestionnaires à rendre visite aux salariés de Fralib en lutte pour la sauvegarde de l’emploi ce jeudi 23 juin. Au premier abord, une usine occupée par ses travailleurs avec de nombreux tags « Non à la fermeture, Fralib vivra » « Llovera, casse-toi en Pologne » (Llovera est le directeur actuel de l’usine) et des drapeaux de la CGT. Pourtant, la réalité est différente : disons qu’il se dégage un parfum de double pouvoir. Le directeur de l’usine est toujours présent et la production tourne au ralenti entre 10 et 15% de ses capacités du seul fait du management. De leur côté, les salariés n’ont pas l’intention de lâcher prise et affichent clairement leur présence et leur volonté de préserver les emplois.
Fralib est une unité du groupe Unilever qui a décidé de fermer l’usine d’infusions et de thés de Gémenos, petite ville proche d’Aubagne dans les Bouches-du-Rhône, mettant ainsi au chômage 182 salarié-es. Le 4 février 2011, les salarié-es remportent une première victoire : le tribunal de grande instance annule l’ensemble de la procédure de fermeture du site. Sans traîner, la direction entame une nouvelle procédure dès le 10 mars. Le jour de notre venue, le tribunal rendait un nouveau jugement demandant que cette affaire soit jugée au fond avec une première audience le 7 juillet.
Il serait donc tout à fait possible que les salarié-es gagnent juridiquement cette bataille de l’emploi. Pourtant, ils refusent de s’en tenir au statu quo : « Cette direction, nous n’en voulons plus. Le divorce est entamé. » En regardant l’histoire des relations entre ces travailleurs et Unilever, on ne peut que comprendre cette réaction. « Nous nous battons pour le retour de la souveraineté de l’Éléphant ».
L’Éléphant, une PME marseillaise fondée en 1896 spécialisée dans les thés et infusions. Celle-ci passe sous giron Unilever en 1972. A cette époque, ce groupe anglo-néerlandais rachète quelques PME sur l’Hexagone, notamment au Havre et à Poitiers. Très vite, l’unité normande de fabrication de thés est fermée et consolidée sur Bruxelles. De même, dans les années 2000, les soupes Royco à Poitiers seront cédées à un repreneur providentiel qui déposera le bilan quelques années plus tard. L’usine de Gémenos est aujourd’hui la dernière unité de Fralib-Unilever en France. On comprend alors la détermination des salarié-e-s de l’entreprise à reprendre contrôle sur la production et ne pas se laisser berner par un hypothétique investisseur industriel. De plus, ces derniers sont voisins de Netcacao à Saint-Menet. Comme pour Royco, il s’agit d’une ancienne usine que Nestlé voulait fermer et qui a été reprise par un repreneur providentiel : cinq ans plus tard, cette entreprise est menacée de liquidation. On apprend vite…
C’est la raison pour laquelle les salarié-es de Fralib exigent un plan de transfert de l’unité de production aux seuls travailleurs dans lequel ils reprennent la marque l’Éléphant, les machines et les murs, de même qu’un plan dégressif de commandes d’Unilever permettant à la nouvelle structure de se retourner. En reprenant la vieille marque marseillaise l’Éléphant, l’objectif n’est alors plus de mettre en valeur un capital en créant un nouvel acteur du marché de l’agroalimentaire mais de protéger son travail par la réponse à un besoin local, dans le respect des consommateurs.
Le débat sur le projet nous a permis d’en apprendre un peu plus sur les pratiques d’Unilever pour gagner des marges et des parts de marché. Ainsi, la mode des sachets « pyramide » (non fabriqués à Gémenos) est une pure opération de marketing n’apportant aucun avantage pour le consommateur . Par contre, à l’inverse des sachets double poche en papier, ceux-ci sont synthétiques. De même, le grammage des sachets d’infusion a été baissé de 2 grammes à 1,6 sans que les consommateurs n’en aient été avertis. Pire, depuis 2003, les infusions l’Éléphant ne sont plus exclusivement composées de produits naturels mais comportent maintenant des arômes chimiques. « Avec la reprise de l’Éléphant, notre volonté est de réanimer une filière locale de produits naturels, autrefois si riche dans la région et notamment à Grasse. » C’est sans doute ce qui explique l’intérêt et le soutien actif de l’Agglomération des Pays de l’Aubagne et de l’Étoile ainsi que du conseil régional qui a financé une étude économique de contre-expertise et de faisabilité auprès du cabinet Progexa.
Fralib nous montre ce que l’on a pu observer maintes fois (notamment en Argentine) : en reprenant une unité de production, les travailleur-ses s’interrogent toujours sur la finalité de leur production. Notre double statut de producteur et de consommateur nous pousse naturellement à nous interroger sur l’utilité sociale de la production, à remettre en cause les logiques de marché et de mise en valeur du capital. Alors que depuis deux ans, les conflits sociaux se sont multipliés sur le terrain de la défense de l’emploi, les salarié-es de Fralib sont les premiers à articuler, d’une façon aussi claire et déterminée, le maintien des emplois avec la nécessité d’une réappropriation autogestionnaire de la production par les travailleurs et la population.
Pour en savoir plus
Qui produit du Thé ?
En 2006, la production mondiale de thé a atteint 3,64 millions de tonnes.
Le principal pays producteur est la Chine (27%), suivie de l’Inde (24%), le Sri Lanka (9%), le Kenya (9%) et la Turquie (6%). Ces cinq pays réalisent plus de 75% de la production mondiale.
La Chine reste aujourd’hui le seul pays à produire toutes les familles de thé (thé blanc, thé jaune, thé vert, thé bleu-vert, thé rouge et thé noir).
Qui Exporte ?
De 2000 à 2005, la quantité de thé placée sur le marché par les pays producteurs a varié de 1,35 (2002) à 1,59 million de tonnes (2004) pour une moyenne de 1,48 million de tonnes.
Les principaux exportateurs sont le Kenya et les grands pays producteurs asiatiques.
En 2005, le Kenya a vendu 21,1 % du thé placé sur le marché mondial (en hausse de 50 % depuis 2000), la Chine 19,6 % (en légère hausse), le Sri Lanka 11,9 % (en forte baisse par rapport à 2004 suite à la guerre civile, le Sri Lanka étant habituellement depuis le milieu des années 1980 le premier exportateur mondial), l’Inde 10,7 % (en déclin constant depuis le début des années 1980) et l’Indonésie 6,9 % (stable depuis le début des années 1980).
La Turquie, grand producteur, consomme presque tout son thé sur le marché local.
Qui importe ?
La quantité de thé importée en 2005 a atteint 1,39 million de tonnes, soit une baisse de 6 % par rapport à l’année précédente.
L’Union européenne (23,3 %, dont la moitié (11,0 %) pour le Royaume-Uni),
La Russie (12,9 %),
Le Pakistan (9,7 %),
Les États-Unis (7,2 %),
Le Kenya (4,4 %),
Le Japon (3,7 %).
Le Maroc reste le 1er importateur de thé vert chinois, avec 56 500 tonnes de thé vert pour 109,85 millions de dollars en 2006, devant le Japon (30 394 tonnes) et la Russie (16 600 tonnes).
Structure de la production.
Au début de ce nouveau millénaire, la majeure partie des lieux de production se situe à la fois entre les mains de petits propriétaires exploitants (très nombreux) et entre celles d’entreprises multinationales ou transnationales.
Comme c’est le cas pour beaucoup de matières premières, il existe dans cette industrie une très forte concentration :
Verticale par l’intégration de tous les maillons de la chaîne de la production à la commercialisation (acquisition de jardins, rachat ou création de joint-ventures avec des entreprises du pays spécialisées dans la transformation et l’embouteillement),
Et horizontale par l’intermédiaire d’associations d’entreprises sous la forme de fusion ou d’absorption.
Unilever rachète Éléphant en 1972 (marque indépendante née en 1896).
Brooke Bond par Unilever au milieu des années 1980.
thé Lyons Irish Holding par Unilever rachète le 1996en 1996.
La concentration est très forte dans ce secteur. Sur les quatre grandes entreprises de transformation qui existent dans les pays en développement, seule « Tata Tea », est une filiale d’une multinationale originaire d’un pays producteur. En effet, Nestlé exploite une installation en Inde, Unilever, une au Sri Lanka et James Finlay une au Kenya.
La répartition des tâches au sein de la filière « thé » se fait de manière traditionnelle, selon un modèle très simple. La production et le traitement se déroulent dans les pays producteurs (c’est une nécessité car les feuilles doivent être transformées sous 24 heures), alors que le mélange, le conditionnement et la publicité, donc les activités les plus rentables de la chaîne se déroulent dans les pays consommateurs.
Toutefois, depuis une dizaine d’années, certains pays tels que la Chine et le Japon ont décidé de s’intéresser à la production de produits finis et à leur exportation.
Dans le marché britannique, deux grandes entreprises, Brooke-Bond (Unilever) et Tetley, détiennent à elles deux plus de la moitié du marché.
Aux États-Unis, les leaders de l’industrie sont Lipton (Unilever) avec 50% du marché, Red Rose (20%) et Tetley (10%).