Les initiatives de solidarité prenant la forme de projets autogérés ne sont pas apparues en Grèce avec la « crise », mais il est certain que le désastre social provoqué par les mesures d’« austérité » dictées par la Troïka a accéléré la prise de conscience de la nécessité de s’organiser à la base et d’agir collectivement.
Il est un peu artificiel et arbitraire de diviser le foisonnement de ces initiatives en « thèmes » distincts : intégrées à des réseaux multiformes, elles se recoupent et s’interpénètrent – ne serait-ce que parce que les mêmes collectifs et les mêmes individus se retrouvent dans nombre d’entre elles. Tel est le cas des coopératives de commerce équitable, qui ont plusieurs années d’histoire en tant qu’initiatives de solidarité concrète :
- Solidarité d’abord avec les agriculteurs ou artisans des pays producteurs du Sud, afin de leur permettre de produire et de vendre autrement que sur le marché mondialisé, celui de la concurrence inégale, de la spéculation et donc de la misère pour les producteurs ;
- Solidarité « sur place » également, puisqu’il existe la plupart du temps une coopération avec divers collectifs, notamment des écocommunautés. En effet, le commerce équitable associe aussi des producteurs locaux, dont certains sont des communautés agricoles alternatives refusant d’entrer dans les circuits du marché mondialisé ;
- Solidarité « interne », la grande majorité de ces collectifs fonctionnant sur le mode de la démocratie directe, sans conseil d’administration et par assemblées générales ;
- Enfin, solidarité au sens plus large, puisque la plupart participent à des luttes sociales et politiques, allant du soutien aux immigrés persécutés par la police et les bandes fascistes d’Aube Dorée aux mouvements contre l’appropriation de territoires et la destruction de l’environnement par des multinationales (mines de Chalcidique).
Parmi de nombreuses initiatives en ce domaine, emblématique reste celle de la coopérative « O Sporos » – « La Graine » ou « La Semence ». Elle est née en 2004 de contacts avec la lutte des zapatistes : un groupe de militants a alors commencé à vendre de la main à la main du café du Chiapas. Un lieu, « Sporochoros » (« Espace de la graine/semence »), a été créé au cœur du quartier d’Exarchia, au centre d’Athènes, pour la vente et les rencontres. Les produits sont vendus au prix d’achat augmenté des frais d’acheminement au local et de distribution en Grèce, plus un pourcentage affecté au fonctionnement du collectif. Sur le café s’ajoute un pourcentage supplémentaire qui, en fin d’année, revient au mouvement zapatiste. Les membres du collectif ne sont pas rémunérés pour leur travail. Des prix réduits sont consentis aux associations et lieux autogérés, sous réserve qu’ils ne revendent pas avec un bénéfice. Les sommes dégagées sont en partie affectées au soutien à des mouvements sociaux et à des luttes politiques.
Ce collectif a existé durant huit ans sous cette forme, avant de se scinder : les activités d’importation, transport, livraison, etc., d’une part ; d’autre part, une nouvelle coopérative à but non lucratif pour l’économie solidaire, « Syn-Allis » – « Avec les Autres » (http://synallois.org), née à l’automne 2011 et fondée sur les mêmes principes.
La coopérative « Emis kai o Kosmos » – « Nous et le Monde » -, dont le nom « international » est « Nuestro Mundo » (www.nuestromundo.gr), a été créée en 2009 à Héraklion, en Crète, par un groupe d’amis qui souhaitaient ouvrir un espace de rencontre, d’expression et de création, afin de changer leur propre vie et les mentalités.
Les principes sont là aussi ceux du commerce équitable : solidarité et justice sociale, respect de l’environnement. Mais le domaine d’action de ce collectif est plus vaste. Il organise ou s’implique dans des actions d’information, éducatives, artistiques et de promotion de la production biologique et de la consommation responsable, ainsi que des ateliers sur la gestion écologique des déchets, l’écoconstruction… Il fait partie de plusieurs réseaux, y compris internationaux, (magasins du Monde, Fairtrade Action Network…) et coopère avec la coopérative sociale italienne Libero Mondo, ainsi qu’avec de nombreux collectifs grecs, dont « To Koukoutsi » (« Le Noyau »), également actif à Héraklion, ou « Terra Verde ».
La coopérative « Terra Verde » (www.terraverde-chania.gr/) est active à Chania, toujours en Crète. Elle s’est inspirée de « O Sporos ». Elle vend des produits du Sud, mais aussi de coopératives grecques, par exemple de la coopérative d’agriculture biologique de femmes « L’Agricultrice », de Karanou (Crète). Le champ d’action de ce collectif dépasse largement celui du commerce équitable. Il associe des personnes affectées de problèmes psychiques et/ou sociaux, des « sans-voix » et des détenus. Il collabore avec le « Steki-Steki » de Chania, lieu de rencontre pour personnes sans domicile, migrants, Roms, homosexuels… Dans ce cadre, il participe à l’organisation de cours de langue et autres, de débats ou de concerts.
A cette liste nullement exhaustive, on ajoutera une des nombreuses initiatives qui se rattachent à la fois au domaine du commerce équitable et à celui des cafés coopératifs et solidaires, le café-épicerie Lacandona (www.lacandona.gr), ouvert en 2011 en plein centre d’Athènes, qui organise par ailleurs toute sorte d’autres activités, telles que des ateliers sur la santé ou destinés aux enfants. On voit que, dans la pratique, il existe une continuité entre commerce équitable, espaces de solidarité tels que les cafés coopératifs et les cuisines collectives, initiatives pour changer le mode de production et de consommation…