Popularisées par les Indignés, les assemblées de quartier se sont multipliées dans l’agglomération d’Athènes. Du fait de leur engagement dans de nombreuses initiatives de résistance, ces assemblées sont en pleine évolution et s’inscrivent désormais dans la durée.
Les assemblées de quartier ne sont pas un phénomène nouveau : dès le début des années 2000, des assemblées populaires sont apparues, initiées par les mouvements sociaux de revendication des espaces publics qui ont fleurit dans toute l’agglomération d’Athènes contre les pressions urbaines et sociales engendrées par la perspective des Jeux Olympiques de 2004. Elles se réunissent plus ou moins régulièrement selon les problèmes posés et ses participants sont proviennent de diverses couches sociales et d’opinions politiques. Celles-ci étaient soutenues par les Centres sociaux des quartiers d’Athènes, une tradition politique de la ville issue d’initiatives libertaires et autonomes, qui les inspiraient avec des principes et un savoir-faire de démocratie directe et d’autogestion.
C’est le « Mouvement des places », nom revendiqué par les Indignés en Grèce depuis le printemps 2011, qui a généralisé les assemblées populaires dans presque tous les quartiers de l’agglomération. Ce mouvement massif – plus de 100 000 personnes ont participé à l’assemblée du 5 juin à Athènes – a permis que se crée une dynamique entre les fractions politisées et le reste de la population qui s’étendra à l’ensemble du pays 1. A chaque clôture nocturne de l’assemblée générale de la place Syntagma, outre l’invitation à revenir le lendemain à 21 heures, était lancé un appel à créer des assemblées dans chaque quartier, dans chaque lieu de travail, dans les facultés.
La trentaine au moins d’assemblées populaires qui se sont constituées tenaient régulièrement séance chaque semaine, à heure fixe, souvent dans un espace public prêté ou occupé. Avec une participation de l’ordre de quelques dizaines de personnes, ces assemblées organisaient la mobilisation et menaient des actions de résistance. Organes politiques principaux de la lutte contre les mémorandums, elles se réunissaient sur la place Syntagma. Elles décidaient et organisaient des manifestations. D’un point de vue pratique, elles se sont inspirées des rebellions arabes qui ont largement utilisé les nouvelles technologies pour se coordonner et diffuser de la contre-information 2.
Côté actions de résistance, elles ont pratiqué la désobéissance et la solidarité sociale au niveau de leur quartier. Une première action de solidarité qui a consolidé ces assemblées a été la résistance contre la décision du gouvernement d’imposer la nouvelle taxe devant être payée en même temps que la facture d’électricité avec menace de coupure du courant en cas de non paiement. Les responsables de plusieurs assemblées de quartier ont contacté des juristes pour mettre en évidence le caractère anticonstitutionnel d’une coupure du courant électrique suite au non paiement d’une taxe. Le plus souvent, les habitants viennent à l’assemblée pour demander le rétablissement du courant, ce qui se fait fréquemment avec l’intervention des voisins et parfois d’employés de la compagnie d’électricité qui, ayant coupé le courant le matin, le rétablissent le soir-même. Plus pratique, certains blogs n’hésitent pas à expliquer comment faire pour rétablir le courant soi-même. En effet, la solidarité exprimée par le slogan « Personne ne doit rester seul dans la crise » guide la plupart des activités organisées par les assemblées : bazar de trocs d’objets et de vêtements, cuisine collective parfois quotidienne comme à Petralona, banque de temps pour l’échange des services, cours de langue, soutien scolaire, accueil de la petite enfance dans des ateliers d’art plastiques, etc 3.
La devise du peuple des places « prendre notre vie entre nos mains » s’est traduite par celle « prendre nos quartiers entre nos mains ». La solidarité se conjugue presque toujours avec l’auto-organisation. En effet, devant le désastre sanitaire provoqué par les politiques d’austérité qui se succèdent, des centres médicaux autogérés par des médecins et du personnel médical fonctionnent dans un assez grand nombre de quartiers. Ailleurs, des pharmacies sociales tentent de gérer le troc de médicaments.
Les assemblées de quartier organisent très souvent des projections de films, le plus souvent militants comme « Debtocracy », « Catastroïka » ou « La stratégie du choc », mais aussi des séances gratuites de films commerciaux. En réponse à l’activisme agressif des « sections d’assauts » du parti néonazi Aube Dorée, des réunions thématiques sur le racisme et le fascisme sont de plus en plus souvent proposées sous forme de conférences-débats qui rencontrent un vif succès. On trouve souvent dans les affichettes d’invitation à ces réunions l’idée selon laquelle « nous sommes tous des immigrés », susceptible de rappeler que nos sociétés sont la résultante de migrations continues.
Actuellement, après presque deux ans des luttes polymorphes, le monde des assemblées populaires de quartier se trouve dans un tournant. Si l’affluence aux manifestations semble s’estomper, les actions de solidarité de quartier qui ont émergées durant cette période ont créé leur propre dynamique. La « sédentarisation » d’une assemblée populaire et la mise en place d’un local constituent souvent un nouveau départ. Les mêmes personnes participent maintenant à plusieurs structures plus petites et ciblées dans l’action solidaire et alternative du quartier. Chaque groupe a déjà ses propres caractéristiques et son histoire et prend la forme d’une association, d’une coopérative ou tout simplement d’un collectif. Chaque quartier pratique une activité plutôt qu’une autre : des échanges locaux, des banques de temps, l’entretien d’un café autogéré, des actions culturelles alternatives mais tous ont organisé une cuisine collective. De plus, ils s’adressent aux exclus de leur quartier en pratiquant le « porte à porte » dans la mesure où ce qui reste de l’Etat providence est incapable de répondre à ce besoin.
Il s’agit d’une mosaïque de nombreuses collectivités qui pratiquent des actions de résistance au quotidien contre les politiques d’austérité par des réseaux de solidarité et d’économie sociale 4. Athènes mérite plus que jamais d’être visitée.