tract de l'UNI pour les élections à la sécurité sociale 1983

tract de l’UNI pour les élections à la sécurité sociale 1983

Alors qu’en guise de « démocratie sociale » l’on vient de supprimer l’élection des conseillers prud’homaux au profit d’un système de désignation, il n’est pas inutile de rappeler que l’élection fut le principe retenu pour l’administration de la Sécurité sociale, avant d’être supprimé, puis rétabli pour enfin être achevé sans retour. Et pourtant, il s’agit de gérer les cotisations sociales au nom des assurés !

 La sécurité sociale : une conquête !

L’organisation de la sécurité sociale a été, à la Libération, le fruit combiné des rapports de force plutôt favorables aux travailleurs et d’un processus qui dû essuyer le refus d’une sécurité sociale généralisée (à l’anglaise) de la part des professions libérales, indépendantes et agricoles. Ces derniers ayant construit leurs propres systèmes, le régime général de sécurité sociale est alors un compromis entre intervention de l’État et l’autonomie puisée dans les traditions mutualistes du mouvement ouvrier français. A la puissance publique de fixer les règles générales (barêmes, taux de cotisations) et le contrôle a posteriori, mais aux organismes autonomes, les Caisses, personnes morales de droit privé (comme les associations, les mutuelles), l’immatriculation des assurés et la gestion[1].

De l’élection…

Dans chaque caisse, primaire, régionale, un conseil d’administration désigne le directeur et adopte un budget. A l’origine, jusqu’aux ordonnances de 1967, ces conseils d’administration étaient composés pour les trois quarts de salariés élus, et pour un quart de représentants des employeurs[2]. Ces caisses, bien qu’organismes de droit privé, bénéficiaient des prérogatives de la puissance publique.

Les élections qui ont eu lieu se sont étalées au fur et à mesure dans le temps, avec des mandats de plus en plus longs : 3 ans pour les élus 1947, puis 5 pour les élus 1950, 7 ans pour les élus de 1955. Les dernières élections se déroulent en 1962. La participation demeure stable, entre : 71,4% et 68,8 %. Aux caisses d’allocation familiale, la même stabilité : entre 66,7% et 68,8%.[3] Aux premières élections, la CGT récolte près de 60% des suffrages, la CFTC 26,5%. Après la scission entre CGT et CGT-FO (1948) les résultats se stabilisent à un peu plus de 40% pour la CGT, 20% pour la CFTC[4] et 16% pour FO.

…A la désignation

Tendanciellement, l’État va prendre du pouvoir. C’est sous De Gaulle que deux réformes ôtent de la légitimité au suffrage. La première est encore timide : les directeurs des caisses ne seront plus élus par les conseils d’administration, mais proposés à l’agrément ministériel. C’est surtout la réforme de 1967 qui, s’inspirant des préconisations du CNPF, sépare en plusieurs caisses les risques, passant « d’une gestion humaine à une gestion technocratique »[5], et impose le paritarisme de désignation à la légitimité de l’élection. Sur 18 administrateurs par caisse, Il y aura 9 patrons (avec monopole du CNPF) et 9 salariés sur la base de 3 CGT, 2 CFDT, 2 FO, 1 CFTC, 1 CGC. Quasiment toutes les caisses vont ensuite être présidées par des alliances CNPF/FO, CFTC, CGC. Ce fut « une machine de guerre anti CFDT et CGT »[6].

« Que tu votes ou pas, le pouvoir est ailleurs… »

L’arrivée de la gauche au pouvoir aux présidentielles et législatives de mai-juin 1981 rétablit le principe des élections sociales. Ainsi, en octobre 1983, pour la première fois depuis 21 ans (et la dernière – mais on ne le savait pas à l’époque), les assurés sociaux désignent directement leurs représentants dans les caisses. Le nombre d’inscrits était bien plus élevé (28 millions) qu’en 1962 (11,7 millions), mais les taux de participation furent moins importants : 52% chez les salariés, encore plus faibles chez les industriels et commerçants (32,26 %) et chez les artisans (32,44 %). Le paysage syndical avait lui-même évolué avec la transformation de la CFTC en CFDT, et la disparition des listes « mutualistes » et « familiales » des années 1950 et 1960. Les résultats permettaient néanmoins de confirmer sur le long terme la progression de FO et de la CGC et le recul de la CGT[7]. Le mandat de 6 ans allait se prolonger au point qu’en 1996 un sénateur de droite questionnait le ministre des Affaires sociales en ces termes : « Se pose un problème de légitimité du paritarisme actuel qui s’apparente à un partage territorial. La CGC gère l’association générale des institutions de retraite des cadres (AGIRC), la CFTC les allocations familiales, la CFDT partage le chômage, la maladie est l’empire de FO. Et les dernières élections aux caisses d’assurance maladie remontent à 1983. Aussi, pour donner un élan à la nouvelle sécurité sociale, pour faire en sorte que la réforme ne soit pas technocratique mais démocratique, il serait souhaitable d’organiser des élections en 1996 et de revenir, pourquoi pas, à des élections libres comme avant 1967. » Mais la décision fut prise d’officialiser la désignation plutôt que l’élection. La réforme de 1996 renforce le pouvoir administratif puisqu’elle élargit les conseils d’administration à des personnalités qualifiées nommées par l’Etat. Les conseils des caisses nationales comprennent 13 représentants des employeurs et 13 représentants des assurés sociaux, 4 personnalités qualifiées. S’y ajoutent des représentants de la mutualité (FNMF, fédération nationale de la mutualité française) pour la CNAM et des associations familiales pour la CNAF (les représentants des familles n’ont que voix consultative dans les autres caisses nationales). Les personnels ont 3 représentants, avec voix consultative. Au niveau local et régional, ce sont les mêmes principes sauf que le nombre de représentants patronaux et des assurés et de 8 et 8[8].

Le retour au suffrage: une nécessité démocratique

Beaucoup d’arguments ont été développés contre les élections : le scrutin coûte cher, de toutes façons il y a une faible participation, les syndicats représentatifs sont assez responsables et compétents pour participer à la gestion. Avec de tels arguments, l’on pourrait supprimer bon nombre d’élections qui ont connu un nombre supérieur d’abstentions et confier le pouvoir aux seules élites autoproclamées. Certes, l’élection ne résout pas toutes les questions et ne garantit pas à elle seule un fonctionnement démocratique des conseils, mais elle permet au moins un débat public régulier pour peu que la durée des mandats permette des renouvellements rapprochés. Mais des élections pour élire qui, et quels pouvoirs ? Car là est le véritable enjeu : la cotisation est salariale avant tout, les représentants des salariés doivent donc avoir la majorité dans les caisses, comme aux origines ! Et ensuite, la gestion doit être l’affaire de toutes et tous, les questions discutées au delà des conseils d’administration, publiquement et pas uniquement tous les 5 ou 6 ans lors des renouvellements. Il s’agit aussi d’éviter les alliances confinant parfois aux « petits arrangements » dans la « discrétion » plutôt opaque. L’on pourrait déjà rendre les réunions des conseils et commissions accessibles à tous par télévision ou internet à l’instar du Sénat et de l’Assemblée nationale.

La sécurité sociale fut une conquête, elle est devenue aux yeux de la majorité de la population une administration qui lui paraît étrangère. D’où l’importance de sa réappropriation directe.

[1] Caisses primaires et caisses régionales, ces dernières s’occupant particulièrement de la vieillesse et des prestations familiales.

[2] Dans les caisses d’allocation familiale les salariés sont la moitié, les employeurs toujours ¼ et les indépendants ¼.

[3] Gérard Adam, Atlas des élections sociales en Frace, Paris, FNSP, 1967.

[4] Le processus de déconfessionalisation de la CFTC aboutit en 1964 à sa transformation en CFDT. Seule une minorité conservera la dénomination de CFTC.

[5] Yves St Jours, Traité de Sécurité sociale, Paris, LGDJ, tome 1, 1980.

[6] Jean-Jacques Dupeyroux, Droit de la Sécurité sociale, Paris, Dalloz, 1980.

[7] Jean-Pierre Aujard, Serge Volkoff, « Une analyse chiffrée des audiences syndicales », Travail et emploi, n° 30, 1986.

[8] Au niveau national : 3 voix pour CGT, FO et CFDT et 2 pour CFTC et CGC. Aux niveaux locaux : 2 voix pour CGT, FO, CFDT et 1 pour CFTC et CGC. Les sièges des employeurs sont répartis entre MEDEF, CGPME et UPA – l’Union Patronale Artisanale – (de fait seulement l’UPA depuis le départ du MEDEF et de la CGPME en 2001).

[9] Question écrite n° 13031 de M. Bernard Plasait (Paris – UMP) publiée dans le JO Sénat du 07/12/1995 – page 2254.