Citons parmi les noms les plus connus des pédagogues du 20e siècle ceux de Freinet, Montessori, Neil et aussi celui beaucoup moins connu en France de Janusz Korczak, sans oublier des structures comme celle des CEMEA (Centres d’entraînement aux méthodes d’éducation actives), nées du Front populaire, qui ont touché un très grand nombre de jeunes, mais étaient réservés aux activités de loisirs ou de sports.
Ces différents noms ne sont pas identiques dans les méthodes et les pratiques, mais s’inscrivent tous dans une volonté de rendre au sujet en formation un rôle actif et une finalité d’autonomie, voire une pratique autogestionnaire dans le cas de Janusz Korczak. Si Maria Montessori représente surtout une pratique des «méthodes d’éducation active» misant sur l’expression et la communication prises en charge par les élèves eux-mêmes, Célestin Freinet illustre une conception de la prise en charge par les élèves eux-mêmes de leur activité éducative. Neil, quant à lui, a pratiqué en Angleterre une méthode où les rythmes d’apprentissage étaient subordonnés au seul désir des élèves. Son expérience est décrite dans le célèbre Libres enfants de Summerhill (Neil, 1971).

Janusz Korczak constitue un cas particulier, à la fois par ses méthodes, son antériorité historique puisqu’il date du début du 20e siècle, par sa pratique laïque dans un pays où l’éducation était dans les mains de l’Église ou du rabbinat, et surtout sa référence explicite à l’autogestion que l’on peut lire dans la préface de 1929 de l’édition de son livre référence, Comment aimer un enfant, préfacé par Bruno Bettelheim et Stanislas Tomkiewicz (Korczak, 1978).

C’est le mot polonais «Samorząde» qui est utilisé par Korczak pour désigner cette autogestion. C’est le même mot que Solidarnosc a utilisé plus tard pour se dénommer et se définir à sa naissance : «syndicat autogestionnaire et indépendant».

Korczak y décrit très clairement, et en termes simples, une organisation scolaire qui permettait aux enfants de son orphelinat de prendre des décisions de «justice» ou de pédagogie ou tout simplement sur la qualité de vie. Et il la met en pratique dans son institution qui est un orphelinat d’enfants juifs au centre de Varsovie dans la rue Krockmalnia.

Lui-même ne se posait pas au-dessus de ces structures de décision et, à plusieurs reprises, a «comparu» devant ces collectifs et en a respecté les verdicts. Il ne s’agissait pas de postures ou d’affectations pour la galerie, mais d’un fonctionnement ordinaire de l’orphelinat, même si on imagine bien que Janusz Kortczak était dans une position particulière.

Dans son pays, la Pologne, la notoriété de Janusz Korczak est au moins aussi grande que celle de Victor Hugo en France et il est devenu une véritable gloire nationale, nonobstant le fait qu’il soit Juif et connu comme tel, ce qui n’est pas la moindre des surprises. Cette notoriété ne date pas de l’après-guerre, c’est-à-dire après sa mort lorsqu’il accompagna jusqu’au bout les enfants de son orphelinat : du ghetto au camp d’extermination de Treblinka alors qu’il aurait pu s’en échapper. Car même avant guerre il était déjà très connu en raison du succès d’une émission de radio très populaire, comparable à celle de Françoise Dolto dans les années 1970. Andrej Wajda raconte son histoire en 1990 dans le film Korczak.

Son discours, débarrassé de tout verbiage scientifique, lui permettait un succès populaire large, alors même que le gouvernement autoritaire de Józef Klemens Pilsudski faisait des ravages. La hiérarchie catholique ne goûtait guère ce pédagogue juif laïque qui venait sur ses terres mais le rabbinat ne l’aimait guère non plus, lui reprochant sévèrement de former les élèves juifs de son orphelinat en langue polonaise alors que partout ailleurs c’était le yiddish qui prévalait pour les juifs très reconnaissables à leur accent et à leur style vestimentaire. Une institution laïque, en plein cœur de Varsovie était perçue comme un scandale par les curés et les rabbins.

J’ajouterais que je tiens une bonne partie de ces informations de ma mère qui fut élevée à Varsovie par Janusz Korczak de 1920 à 1924. Une sorte de grand-père.

Pour en savoir plus
Janusz Korczac, Comment aimer un enfant, Paris, Robert Laffont, 1978.
A. S. Neil, Libres enfants de Summerhill, Paris, François Maspero, 1971.
http://korczak.fr
www.iadh.org/korczak/Hist_vraies/
http://fr.wikipedia.org/wikiJanusz_Korczak/
Andrzej Wajda, Korczak.