Question d’un Malgache à la Fédération des Coopératives
Il y a quelque mois une coopérative de consommation se fondait à Tamatave(Madagascar).C’était la première qui ait jamais existé dans le pays; c’était le premier coup porté au capitalisme commercial tout-puissant dans la région. Fait aggravant du point de vue capitaliste et colonialiste : les membres de cette coopérative étaient en majorité indigènes. Pour la première fois, des indigènes se groupaient ! Ils le faisaient sur le terrain économique, absolument en dehors de toute conception politique ou religieuse. Ils se groupaient pour la défense de leurs intérêts de consommateurs, et de la façon la plus régulière, à l’abri de la loi française qui tolère les sociétés dans la colonie à la condition qu’elles soient administrées par des Français de la métropole. Jamais chose pareille ne s’était produite depuis la conquête !
Immédiatement capitalisme et colonialisme se mirent à crier au «communisme»! Et ce fut une invraisemblable suite de persécutions 1.
Sous l’impulsion d’un commissaire de police sans finesse et d’administrateurs pour qui la question coloniale n’a pas évolué depuis 1904, ce fut une véritable terreur anticoopérative. En permanence les policiers firent la garde dans la rue où siégeait la coopérative et devant le magasin lui-même, arrêtant tous les clients du magasin, les intimidant autant que possible et les envoyant au commissariat subir un interrogatoire d’identité, de loyalisme politique et de vérification fiscale. D’autres policiers lacérèrent les affiches de la coopérative. Les membres du bureau de la coopérative chargés d’encaisser les cotisations des coopérateurs furent arrêts sous l’inculpation hautement fantaisiste «d’escroquerie». Et comme le procureur général, ne pouvant couvrir cette parfaite illégalité, faisait relâcher les incarcérés, il eut maille à partir avec tous les fascistes de la province, c’est-à-dire la majorité des «blancs», qui, sous le prétexte de parler au nom des «anciens combattants», le blâmèrent en une protestation publique et s’indignèrent de ce qu’il eût osé ne pas violer la loi, lorsqu’il s’agissait de « communistes»! Mais les maladroits fonctionnaires tamataviens, contraints et marris, n’avaient relâché leur proie que pour la ressaisir sous des apparences régulières : si tôt libérés, les coopérateurs s’étaient réemprisonnés et les fonctionnaires vindicatifs les condamnaient pour «outrages à agents», les condamnations étant d’ailleurs prononcées en dehors de la participation de tout membre de la magistrature. Puis, les coopérateurs ayant jeûné suffisamment longtemps en prison, on les libérait pour les faire, par une pression directe, révoquer par leurs employeurs blancs. Finalement, après vingt autres tentatives despotiques, illégales et vaines, la police trouva un moyen efficace: elle agit sur le propriétaire indigène du magasin loué par la coopérative et le menaça des pires persécutions s’il persistait à ne pas flanquer à la porte ses locataires. Et la coopérative de Tamatave est aujourd’hui fermée. Le drapeau de la coopération, l’étendard arc-en-ciel, a flotté plusieurs mois dans la Tamatave capitaliste. S’il est tombé, ce n’est qu’après des mois de lutte, sous les persécutions, les menaces, les amendes, les coups, la prison. Qu’a fait, pour le défendre, la Fédération nationale des coopératives de consommation ?
Source : La révolution prolétarienne, nouvelle série, n° 65, 10 mai 1932.
Notes:
- Rappelons qu’en Tunisie aussi, le programme essentiel de Mohamed Ali, l’un des condamnés du «complot»de1925,était d’organiser en grand la coopération indigène. Ce crime lui valut sa condamnation à dix ans d’exil!(N.D.L.R.). ↩