Le mouvement coopératif en Ukraine naît à la fin du 19e siècle. Les petits producteurs ukrainiens ne pouvaient subvenir seuls à leurs besoins face à la concurrence des grandes entreprises le plus souvent russes. Afin de résister plus efficacement au marché, il était nécessaire de s’unir et de coopérer. Les consommateurs, quant à eux, subissaient les prix du marché souvent exorbitants. La coopération, en tant que mouvement d’autodéfense de couches de la population politiquement, culturellement colonisées, socialement humiliées et économiquement exploitées a joué un rôle important dans le développement du sentiment national. Sous domination des empires russe et austro-hongrois qui régnaient sur les terres ukrainiennes, ce nouveau type d’organisation économique représentait une forme de résistance économique. Cependant, cette forme d’organisation autonome n’était pas nouvelle pour les Ukrainiens, car l’on trouve des proto-coopératives dans les secteurs de la menuiserie, la maçonnerie, la forge et l’artisanat du 16e au 18e siècle. Les premières associations de consommateurs sont apparues à la fin du 19e siècle partout sur le territoire de l’Empire russe, et leurs membres étaient des représentants de diverses couches sociales : intelligentsia, fonctionnaires, militaires, ouvriers, citadins, paysans. Les coopératives de consommation se fixaient pour objectif de fournir à leurs membres des biens de bonne qualité au meilleur prix possible. Les coopératives achetaient des marchandises en gros bénéficiant de remises importantes. Leurs propres magasins vendaient les marchandises à leurs membres à des prix moins chers. Kharkiv a vu la première coopérative de consommateurs en Ukraine. La charte de la coopérative de consommation de Kharkiv a été approuvée le 6 octobre 1866. Dès le début, elle comptait 356 membres. En plus du commerce de biens de consommation, la coopérative possédait sa propre cantine et sa boulangerie. Des membres de la coopérative avaient été en contact le mouvement coopératif en Occident, ses représentants s’étaient rendus en Grande-Bretagne, en France et en Allemagne et entretenaient des relations avec des organisations coopératives européennes. En 1870, à son initiative, un congrès coopératif et la formation d’un syndicat de coopératives de consommateurs sont prévus. Cependant, le gouverneur de Kharkiv interdit la tenue de ces événements au motif que les activités de cette association ne devaient pas s’étendre au-delà des frontières de la ville. La politique réactionnaire du gouvernement russe, la persécution de toute initiative locale dans la vie éducative et économique ukrainienne ont eu un impact négatif sur les activités des premières coopératives ukrainiennes. De 1870 à 1894, seules 31 coopératives de consommation sont créées dans la partie orientale de l’Ukraine. Une deuxième coopérative de consommation est fondée à l’ouest à Kyiv à la fin de 1868. Son conseil était dirigé par les personnalités les plus marquantes du mouvement national ukrainien de l’époque. En 1873, une loi permet le développement de la coopération sur le territoire de l’Autriche-Hongrie, et dès l’année suivante (1874) la coopérative Prosvita de Lviv (fondée le 8 décembre 1868) dépose, conformément à la loi, ses statuts. Par la suite, les fermes coopératives ont commencé à se répandre sur tout le territoire ukrainien occidental. Notons qu’avant même l’apparition de la loi austro-hongroise de 1873, plusieurs dizaines de coopératives fondées par des Polonais opéraient en Galice. En 1874, les coopérateurs polonais créés l’Union des coopératives à Lviv, qui comprenait 51 coopératives de crédit et 7 coopératives industrielles et commerciales avec 17 175 membres. Plus tard le premier magasin coopératif Narodnia Torgivlya a été fondé à Lviv par l’ingénieur Vasyl Nahirny. Le nombre de coopératives de production a augmenté rapidement et, en 1902, il y avait plus de 125 coopératives de production, mais aucune d’entre elles n’a duré plus de trois ans. En 1899, la première union ukrainienne de coopératives de crédit, la Caisse régionale de crédit (KSC), est créée, qui s’occupe d’organiser des coopératives et de leur fournir des prêts à faible taux d’intérêt. Grâce à l’activité des coopératives de crédit, il a été possible de freiner dans une large mesure la pratique de l’usure. Mais ce mouvement se heurte à l’opposition des représentants du gouvernement, ainsi que de l’intelligentsia russe, y compris les socialistes. Tous voient dans le mouvement coopératif indépendant ukrainien un séparatisme économique et politique. L’intelligentsia russe de gauche, occupant des positions de premier plan dans les centres coopératifs russes, tente d’empêcher le développement de la coopération ukrainienne par la concurrence, mettant en avant le mot d’ordre de «l’unité coopérative panrusse» lors des congrès coopératifs. Par ailleurs, le gouvernement et l’administration locale ont souvent recours à des sanctions administratives et diverses répressions brutales contre les coopératives ukrainiennes. Aussi dans la partie orientale, les coopératives naissantes disparaissent rapidement et n’ont été relancées qu’après la révolution de février 1917. La révolution de février 1917 a considérablement modifié les conditions de développement des coopératives, car les obstacles politiques concernant le mouvement coopératif avaient disparu. Les coopératives ont été libérées de nombreuses restrictions et interdictions imposées par le régime tsariste et un champ juridique plus favorable à leurs activités a émergé. Dans le cadre du début de la guerre de libération nationale, un processus à grande échelle d’ukrainisation des coopératives existantes et de création de nouvelles coopératives ukrainiennes a été lancée. Les principales tâches de la coopération à l’époque étaient : la restructuration et la démocratisation de l’économie nationale, la fourniture à la population des biens les plus nécessaires, ainsi que la réalisation d’un large éventail d’activités culturelles et éducatives.

Le mouvement ouvrier ukrainien et les coopératives

En 1905-1916, le développement du mouvement coopératif sud-ukrainien a été caractérisé par sa politisation. Les forces sociales- démocrates se sont intéressées aux coopératives de consommateurs afin de diffuser leurs idées auprès de leurs membres. Ils ont apporté une aide financière et organisationnelle aux coopératives et y diffusaient leur propagande. Le 25 janvier 1908, le comité central du Parti ouvrier social-démocrate de Russie a adopté une résolution « Sur la coopération », qui obligeait tous les membres du parti à promouvoir activement le développement des organisations coopératives, à veiller à ce que les bénéfices des coopératives de consommation soient utilisés à des fins syndicales et culturelles. La politisation du mouvement coopératif a été particulièrement rapide dans le Donbass industriel. Les archives regorgent de rapports de police sur le comportement subversif des membres de certaines coopératives de consommation. L’une d’entre elles était la coopérative de consommation Robichnyi Trud (Travail) ouverte en 1909 à Yuzivka.

Dans la seconde moitié du 19e siècle, le Donbass s’est développé de manière intensive sur le plan industriel. À la veille du 20e siècle, des travailleurs de la région ont pris l’initiative de gérer des coopératives de manière indépendante. Elles ont commencé à s’ouvrir dans la région à l’initiative des travailleurs eux-mêmes, sans la participation ou l’aide de l’administration de l’entreprise. L’une des premières coopératives ouvrières indépendantes de consommation, non seulement dans la région, a commencé ses activités en 1898 à la Compagnie métallurgique de Donetsk-Yurievsk. Ces coopératives ont participé aux événements révolutionnaires de 1905-1907. En particulier, la coopérative de consommateurs du chemin de fer de Katerynka qui a fourni aux révolutionnaires de la nourriture et des produits de première nécessité pendant les grèves de décembre 1905. La coopérative fait, en outre, un don de 300 roubles au comité de grève de Katerynoslav. De leur côté, les syndicats de métallurgistes d’Alchevsk et de Druzhkivka ont fourni une aide financière et organisationnelle aux coopératives de travailleurs et ont encouragé le développement de leurs activités culturelles et éducatives. En 1909, les militants sociaux-démocrates créent une coopérative de consommation dans l’usine métallurgique de la Novorossiysk Society à Yuzivka et l’utilisent également pour discuter de questions politiques. Elle comptait 860 membres, tous travailleurs de l’entreprise.

La coopérative ouvrière Trudova Kopyka

L’activité de la coopérative Trudova Kopyka était la plus caractéristique de cette période de formation de coopératives de consommation. Fondée le 25 novembre 1908 à Mykolaïv, elle a existé pendant près de 10 ans. C’était une véritable coopérative de consommation de masse, dont étaient membres 15 000 citadins. Les activités de Trudova Kopyka et l’expérience qu’elle a acquise constituent l’une des pages marquantes de l’histoire du mouvement coopératif. En 1907, après des grèves dans les usines, le chômage s’étend. Les entreprises réduisent leurs activités et de nombreux travailleurs se sont retrouvés au chômage. À cette époque difficile, un petit groupe de travailleurs des chantiers navals se donne pour objectif d’organiser une coopérative de consommation ouvrière. Pendant ses études à l’étranger, Kostyantyn Romanovych Krypopuskov s’était familiarisé avec le mouvement ouvrier de nombreux pays. Il se rend au comité syndical du chantier naval et propose d’organiser une réunion des ouvriers avec Levytsky, un organisateur bien connu du mouvement coopératif en Russie de l’époque. La direction de l’usine et le maire donnent leur accord pour une telle rencontre, qui a lieu dans l’usine. La conférence sur le développement de la coopération à l’étranger, ses avantages et son importance pour l’amélioration de la vie des travailleurs séduit certains travailleurs. Un groupe de travail est créé, qui accueille ceux qui souhaitaient rejoindre la coopérative de consommation. Mais beaucoup de travailleurs, si ce n’est la majorité, se méfiaient de cette idée de coopérative, qui avait été discréditée par l’association de consommateurs qui avait existé dans l’usine en 1902-1903. Le groupe de travail redouble d’efforts jusqu’à ce que plusieurs dizaines de personnes rejoignent la coopérative et que son capital social minimum soit réuni. Une fois la charte de la coopérative approuvée à l’assemblée générale, son enregistrement au bureau du gouverneur devra attendre plus d’un an. Enfin le 25 novembre 1908, une épicerie portant l’enseigne Trudova Kopyka, coopérative de consommation est ouverte. Immédiatement, les commerçants privés environnants lui déclarent une guerre acharnée. Ils calomnient les coopérateurs, intimident les acheteurs et les membres de la coopérative en expliquant qu’elle allait mourir, que les apports en parts allaient disparaître, etc. Cependant, Trudova Kopyka se développe et les travailleurs sont de plus en plus nombreux à la rejoindre. Bientôt, les locaux du premier magasin sont trop petits, et transférés dans un autre lieu, plus spacieux et confortable. La coopérative a rejoint l’Union de Moscou, ainsi que la Banque populaire de Moscou. Elle veille non seulement à approvisionner ses adhérents en produits, mais aussi à améliorer leur sécurité sociale, notamment en assurant des soins médicaux. À cette fin, en 1909, son conseil embauche deux médecins. Les pharmacies accordent une remise aux membres de la coopérative à condition de présenter des formulaires d’ordonnance portant le sceau de la coopérative et les signatures des médecins. Des représentants d’associations rurales viennent en ville pour voir de plus près le fonctionnement du magasin, et obtenir des conseils sur la manière d’établir une entreprise coopérative dans leur village. Avec le début de la Première Guerre mondiale, les prix des produits de première nécessité commencent à augmenter. Par conséquent, le fonds de roulement de l’entreprise fond comme neige au soleil. Le conseil en rend compte à l’assemblée générale de la situation. Il constate que la guerre a privé la coopérative de nombreux travailleurs actifs et approuve le renversement du régime tsariste. Afin de résister à la hausse sans précédent des prix, la coopérative rejoint l’Union des coopératives de consommation de Kherson et l’Union des coopératives de consommation du sud de la Russie, basée à Kharkiv. Mais en 1918 Trudova Kopyka avait cessé ses activités.

Le développement de la coopération pendant la révolution et les luttes de libération

Un nouvel élan au développement de la coopération ukrainienne a été donné par la Rada centrale ukrainienne qui, déjà le 20 mars 1917, a publié une loi sur les coopératives qui créé une base juridique pour les activités et les congrès des coopérateurs nationaux. Le premier congrès coopératif ukrainien a eu lieu à Kyiv en mai 1917, et bientôt, en août 1917, le deuxième congrès coopératif se tient. Lors des congrès, des problèmes généraux sont discutés et des plans pour le développement ultérieur de la coopération en Ukraine élaborés. Immédiatement après le 1er congrès coopératif, le Comité central coopératif ukrainien (UCCK) a commencé ses activités en tant que principale organisation de la coopération nationale. L’UCCK devient le principal centre de la coopération ukrainienne et édite la revue Coopération ukrainienne.

L’année 1917 a donné une impulsion puissante au développement de toutes les branches de la coopération en Ukraine. Au cours de cette année, par exemple, le nombre d’associations de consommateurs est passé à 4 873, et un centre des coopératives des consommateurs est créé le 6 mai 1917 appelée Dniprosoyuz, qui, en janvier 1918, avait un chiffre d’affaires de 5 millions de roubles et publie le bimensuel Cooperative Zorya.

Au milieu de 1917, une coopérative financière ukrainienne est créée avec des succursales dans toutes les grandes villes du pays – la Banque coopérative du peuple ukrainien (Ukrainbank). L’organisateur de cette institution financière centrale de la coopération était un fonctionnaire du gouvernement ukrainien, le premier secrétaire général des affaires financières de la République populaire ukrainienne d’Ukraine, H. Baranovskyi. La même année, la première Union des coopératives laitières, qui ont commencé à émerger en Ukraine au début du 19e siècle, est créée à Kyiv. Au cours de la première année de la révolution, les unions laitières suivantes sont apparues à Odessa et à Kharkiv, et en 1918, 112 unions coopératives de ce type étaient déjà actives.

Le nombre moyen de membres par coopérative de consommateurs augmente également : 1914 – 112 membres, 1917 – 227 membres, 1918 – 303 membres. En outre, en 1918, deux autres unions régionales de coopératives de consommateurs sont créées : l’Union de l’oblast d’Odessa (Odobsoyuz) et l’Union de la région de Tchernihiv.

En 1918 les unions coopératives avaient ouvert 14 librairies et fondé 70 maisons d’édition coopératives qui ont publié 273 titres de journaux, magazines, bulletins etc. nombre de ces titres sont également été imprimés en ukrainien, effort qui participe à la défense et à la renaissance de la langue ukrainienne. La coopérative Knygospilka publie 43 titres, Dniprosoyuz 40 titres et l’union coopérative Deoltava 41 titres.

Cependant, avec l’établissement du régime bolchevique, le mouvement coopératif a commencé à être subordonné aux structures étatiques. Peu de temps après, le Comité coopératif officiel d’Ukraine a aboli le 7 avril 1920, les syndicats régionaux des coopératives, y compris Dniprosoyuz.

Après la proclamation de la République socialiste soviétique d’Ukraine par les bolcheviks en Ukraine en 1920, les coopératives sont passées sous le contrôle strict de l’État.

Patrick Le Tréhondat