papeterie_DocellesUn groupe international décide de fermer la Papeterie de Docelles. Des salariés montent un projet de reprise en SCOP soutenu par le gouvernement, les collectivités locales, le mouvement coopératif et plusieurs banques. Une seule chose manque : la propriété du site que le groupe refuse de céder y compris pour la somme de trois millions que les salariés ont consenti à l’entreprise qui les licenciait.  Va-t-on accepter que ce groupe dicte ses conditions et envoie dans la misère 161 salariés ou va-t-on réquisitionner l’usine pour que les emplois et savoir-faire locaux restent ? Au centre de cette question, la pertinence du droit de propriété.

Mi-décembre 2013, la direction des Papeteries de Docelles dans les Vosges annonce la fermeture de l’usine. Un plan social de suppression de 161 emplois est alors présenté, lequel sera accepté par les autorités à la mi-janvier. Les choses vont alors très vite et l’usine cesse ses activités le 22 janvier 2014. Le propriétaire de l’usine est le groupe anglo-finlandais UPM, groupe spécialisé dans les produit forestiers qui emploie 25 000 personnes dans le monde.

Comme cela se fait maintenant régulièrement, les salariés et leur section syndicale CGT, montent un projet de reprise de l’entreprise en coopérative afin de maintenir l’emploi et les savoir-faire sur place. 85 salariés se sont engagés à devenir sociétaires. Le projet prévoyait la reprise de 116 emplois la première année, 130 la seconde puis 160 la troisième avec, il est vrai des réductions de salaires de 15 % 1. Les besoins en fonds de roulement évalués à 15 millions d’euros étaient couverts par une partie des indemnités perçues par les ex-salariés et de l’enveloppe du PSE ainsi que des financements coopératifs et bancaires. Le projet de reprise avait été largement soutenu par l’Union régionale des SCOP,  les collectivités locales, l’Etat et les banques, qui l’estimaient tous « viable ». Il ne manquait qu’une chose : que le groupe UPM accepte de céder le site.

Les salariés, s’estimant lésés par cette fermeture brutale du site, ont demandé fort légitimement que celui-ci soit cédé pour l’euro symbolique. UPM a demandé qu’une nouvelle offre soit formulée par les salariés pour la reprise du site. Ils ont proposé 3 millions d’euros, somme qui est loin d’être négligeable et représente tout de même 35 000 euros par sociétaire. Ce mercredi 5 mars, UPM a sèchement rejeté l’offre des salariés, indiquant pour la première fois qu’ils en exigeait quelque chose entre 10 et 12 millions d’euros. Impossible et inacceptable pour les salariés. « Au départ, nous voulions racheter l’usine pour l’euro symbolique, ce que UPM  refusé. Nous sommes montés à 3 millions d’euros, ce qui est énorme. Mais UPM n’a pas tenu ses promesses de vendre ses actifs, ils nous ont menti » a déclaré à France 3 Sébastien Saget, délégué syndical dans l’entreprise. Il faut dire que cela fait deux fois qu’UPM, qui avait pourtant annoncé début 2013 son intention de trouver un repreneur, avait déjà rejeté deux candidatures… Voilà qui en dit long sur la façon dont ce groupe envisage sa restructuration : on ferme une usine mais il ne faut pas que des capacités de production restent derrière elle.

Deux logiques sont désormais face à face. Celle des salariés qui exigent le maintien des emplois et du savoir-faire local, exigence qui conditionne souvent la vie d’une localité. Celles des actionnaires qui, au nom du sacro-saint droit de propriété, estiment avoir le droit de fermer une usine en bloquant toute perspective de maintien de la production, quitte à laisser celle-ci dépérir. Qu’ils veuillent se séparer d’une unité de production, pourquoi pas, mais qu’ils en assument les conséquences sociales et laissent aux individus concernés les moyens de prendre en main leur avenir.

Que va-t-il désormais se passer ? Quelle application de la loi dite « Florange » qui impose aux entreprises fermant des sites rentables de rechercher un repreneur ? Ici, le repreneur était tout trouvé : la SCOP. A ce jour, il n’y en a plus d’autres. Quel moyen le gouvernement mettra-t-il en œuvre pour maintenir l’emploi ? Dans l’hypothèse où les salariés occuperaient l’usine et relancerait la production, ce gouvernement se rangerait-il du côté du respect constitutionnel de la propriété privée et expulserait les travailleurs ou laissera-t-il faire, ce qui constituera une rupture politique fondamentale ? Tel sera, n’en doutons pas, un des enjeux des luttes à venir.

Notes:

  1. On remarquera cependant que dans une SCOP la rémunération des travailleurs ne se limite pas au salaire mais comprend aussi une partie des profits, l’autre partie constituant des réserves impartageables qui ne bénéficient pas à une personne en particulier – salarié ou actionnaire extérieur – mais à l’entreprise en tant que telle.