Tel est le titre d’un livre du directeur formation et emploi de la Confédération générale des Scop, journaliste et rédacteur en chef du magazine Participer, enseignant et conférencier. On pourrait s’attendre à un livre traitant spécifiquement des coopératives de travail, c’est-à-dire des coopératives dans lesquelles les membres sont les travailleurs à l’image des Scop françaises. L’auteur a volontairement choisi d’élargir son propos en s’intéressant à l’ensemble des coopératives de façon à tenter de dégager ce qui fait leur force mais aussi leurs limites, non à partir d’une analyse macro du mouvement coopératif mais en partant d’une région spécifique qui est l’Alsace et en réalisant un travail d’enquête sur 16 coopératives. Un livre imposant mais indispensable pour comprendre la réalité multiforme de ce mouvement.

Pourquoi l’Alsace ? On pourrait penser que cela provient du fait que cette région dispose d’un droit coopératif spécifique qui vient de l’époque où cette région était allemande. Cette région est aussi à l’origine du Crédit mutuel, l’un des plus grands groupes bancaires français. Mais c’est aussi la région dans laquelle une des dernières coopératives de consommation de France, Coop Alsace, a connu une fin peu glorieuse. Ces raisons expliquent peut-être ce choix mais selon Pierre Liret, « l’Alsace est au fond assez proche des autres régions, au sens où elle est à la fois totalement ancrée dans le pays et détentrice d’une identité et d’une culture propres. Malgré les particularités de cette région, la réalité décrite dans ce livre à propos des coopératives est en fait représentative de toute autre région de France. »

On comprend donc qu’un des angles choisis pour décrire le fait coopératif soit l’ancrage territorial de la coopérative, ce qui contraste avec l’orientation de plus en plus financière de l’économie. À cet égard, nous ne pouvons qu’être d’accord avec la condamnation, à peine voilée, de la part de l’auteur de certaines structures de l’économie sociale et solidaire : « il y aurait donc, d’un côté, les méchantes entreprises et, de l’autre, les gentilles associations – avec ce paradoxe que les gentils sont souvent financés par les méchants. [… Ce sont] souvent les mêmes qui cherchent à réparer les dégâts du capitalisme et qui ont contribué à les accentuer. » C’est dans ce contexte qu’il estime que la coopérative, en tant qu’entreprise démocratique dont la finalité n’est pas le profit, peut constituer une alternative.

Diversité du mouvement coopératif

Mais alors, qu’y a-t-il de commun entre une Scop, où les salariés dirigent l’entreprise, et une coopérative dans laquelle ce sont les usagers (c’est-à-dire les clients) qui sont membres ? Qu’y a-t-il de commun entre une petite Coopérative d’Utilisation de Matériel Agricole (CUMA) et une coopérative de commerçants 1 ? On sent très clairement que l’auteur considère que certaines coopératives n’ont plus grand-chose à voir avec l’esprit d’origine de ce mouvement mais dans chacune des catégories de coopératives, il a été capable d’expliquer patiemment en quoi la constitution de la coopérative exprime une rupture, bien sûr partielle, avec le capitalisme. Pierre Liret nous propose donc un voyage en Alsace en passant en revue 16 expériences coopératives choisies pour leur diversité et non en fonction de leur poids économique. Ceci permet à l’auteur de partir d’un cas particulier pour illustrer en quoi le modèle coopératif peut ou pas être une solution pertinente dans chaque grand secteur d’activité.

Le livre commence par la coopération agricole avec Alsace Lait et la Cuma de la Rosée. Avec Alsace Lait, nous sommes évidemment loin des mastodontes de la coopération agricole tels que Terrena ou Agrial. La plongée dans la coopérative nous montre comment celle-ci s’est créée par le pragmatisme de ses membres avec la ferme volonté de sortir de l’atomisation de leurs exploitations. Les Cuma sont des coopératives plus récentes de mise en commun de matériels agricoles qui débouche parfois sur des travaux en commun. Si ces coopératives semblent plus engagées en termes de « solidarité » que les coopératives de transformation de produits agricoles, l’auteur nous montre bien qu’il ne s’agit pas d’une solution à toute épreuve et que l’établissement d’une Cuma est pertinente dans certaines conditions économiques et pas dans d’autres.

Les coopératives d’indépendants et de commerçants seront abordées par l’exemple d’Artisans à domicile d’Alsace et le réseau de pharmaciens Giphar. On retrouve dans Artisans à domicile d’Alsace le même besoin de regroupement pour faire face au marché qui fait le fondement de la coopération agricole. Il n’est pas neutre d’avoir choisi d’illustrer la coopération de commerçants par le réseau Giphar plutôt que par les mastodontes Edouard Leclerc ou Intermarché. Alors que ces derniers regroupent de véritables super et hyper-marchés dont l’utilisation du modèle coopératif sert des intérêts purement mercantiles, le réseau Giphar regroupe des professionnels de la santé qui trouvent dans la coopération le moyen de se regrouper face aux big pharmas afin de développer une expertise indépendante au service des usagers.

Les coopératives dans le domaine de l’habitat sont également abordées, mais pas par l’exemple des coopératives d’habitants qui sont plutôt rares en France à l’inverse de chez nos voisins suisses ou allemands. L’auteur a choisi de parler d’un organisme HLM qui a choisi le modèle coopératif comme moyen d’accès à la propriété pour des populations qui n’en ont pas les moyens sur le marché traditionnel. Si la coopérative HLM choisie, Habitat de l’Ill, a su prouver la validité de son modèle économique, notamment l’accumulation au fil des ans de confortables réserves impartageables (qui forment la grande part des 46 millions de fonds propres) permettant un accès facilité au sociétariat avec une part sociale de seulement 15,60 euros, il n’en reste pas moins que l’auteur a l’honnêteté d’en pointer ses limites : « En tout état de cause, si on juge les coopératives HLM à l’aune de leur modèle historique initial (une prise en main des habitants par eux-mêmes), force est de constater que ce modèle a en partie échoué. »

Comme nous l’avons dit, la région Alsace avait le privilège de disposer d’une des dernières coopératives de consommation de France : Coop Alsace. Pierre Liret nous a merveilleusement chroniqué le contexte de la liquidation de celle-ci en 2015 avec un contrat de sociétariat qui « reposait moins sur l’engagement du consommateur pour son enseigne que sur sa motivation à bénéficier des avantages liés aux cartes de fidélité. » Il faut dire que certains éléments de cette crise n’est pas sans nous rappeler les difficultés récentes du Co-operative Group britannique, dans lequel les sociétaires n’ont guère eu de prises sur leurs dirigeants…

Autre point fort de ce livre, un quasi reportage sur la vie du Crédit mutuel d’Alsace qui nous montre une vie locale qui semble bien réelle. Il est probable que cela soit une spécificité toute alsacienne de la banque coopérative que nous ne retrouverons pas dans les autres fédérations régionales du Crédit mutuel. Toujours est-il que l’auteur, tout en étant très réservé sur le niveau de rémunération des dirigeants, insiste sur le fait que cette banque, à l’inverse des deux autres groupes coopératifs français, le Crédit agricole et la BPCE, n’a jamais créé de société cotée en bourse, ce qui préserve tout l’intérêt du modèle coopératif : « Dans une économie mondiale où les pannes de croissance peuvent déclencher des crises boursières généralisées et faire fondre en quelques heures la valeur patrimoniale des banques capitalistes (avec, comme risque ultime, l’effondrement du système économique), le modèle coopératif sécurise les avoirs de tous les petits épargnants et, donc, l’économie réelle. »

La grande famille des Scop, sociétés coopératives et participatives, occupe forcément une place de choix dans ce livre avec une variété de cas de figure assez représentative de ces entreprises : une coopérative d’activité et d’emploi dédiée et auto-organisée par des artistes (Artenréel), deux entreprises d’insertion (Scoprobat et Au Port’Unes), une reprise d’entreprise en faillite par ses salariés (la Fonderie de la Bruche), deux exemples de transmission (Mader et Lutringer Sillon Scop), une transformation d’association en Scop (Re.Form.E) et deux sociétés coopératives d’intérêt collectif (Soli’vers et Auto’trement). L’exemple de la Fonderie de la Bruche issue d’une liquidation d’entreprise en 1981 est exceptionnel : on découvrira combien cette reprise a été délicate, quelles ont été les erreurs commises mais aussi l’ampleur de cette réussite avec un recul de trente cinq ans. De même, la forme Scic a été illustrée par deux expériences, dont celle de l’autopartage avec une coopérative qui participera à ce formidable réseau Citiz qui est déjà présent dans de nombreuses villes de France. Parlant des Scic et du partage du pouvoir en collèges avec des pourcentages prédéterminés, l’auteur affirme qu’« il paraît naturel, aujourd’hui, d’associer au projet les salariés qui font tourner la coopérative, de même que ses financeurs. » Si cela est une évidence en ce qui concerne les salariés, la nature du financeur reste quand même une question ouverte…

Une rupture parfois possible avec l’entreprise capitaliste

Existe-t-il UNE solution coopérative ? Il reste difficile d’affirmer son unicité tant les configurations des différentes coopératives sont diverses, de la coopérative de travail à la coopérative de commerçants, de la coopérative militante à la coopérative d’opportunité économique, de la coopérative où la démocratie une réalité vivante à celle où elle reste formelle… Mais, comme l’explique l’auteur, « ce n’est pas la même chose de viser à générer des bénéfices que de chercher à rendre un service et à générer des excédents sur son activité. Ce n’est pas la même chose d’avoir un capital variable et d’avoir un capital fixe. Ce n’est pas la même chose d’avoir des actions qui prennent de la valeur et d’avoir des parts sociales remboursables. » De ce point de vue, la forme coopérative marque une rupture avec l’entreprise capitaliste, et non le système, et il nous a montré au vu de ces différents exemples que la coopérative peut parfois, et pas toujours, être une solution concrète à certains problèmes économiques, écologiques et sociaux.

La Solution Coopérative
Pierre Liret
Editions {Les Petits matins}
ISBN 978-2-36383-222-1
616 pages
25 euros

Notes:

  1. Il s’agit ici d’une coopérative qui regroupe des entreprises indépendantes, dont certaines peuvent avoir des relations salariales détestables, qui utilisent la forme coopérative pour construire leur centrale d’achats.