Le projet est novateur. Une coopérative pour relancer le service ferroviaire : voilà qui ne peut laisser indifférents les milieux autogestionnaires, écologistes, syndicalistes 1 ; pas plus que celles et ceux qui, comme bien des Gilets jaunes mais aussi largement au-delà des Gilets jaunes, réfléchissent aux alternatives en matière de démocratie directe, d’égalité sociale et accessibilité dans tous les territoires. Mais comment conjuguer ce projet coopératif avec le service public ferroviaire ? Comment construire un projet coopératif pour une partie seulement de l’activité ferroviaire (l’exploitation, pas l’infrastructure) ? Qui plus est, dans le cadre d’un réseau qui est national et international ? Qui doit décider de quoi en matière de dessertes, de services, de moyens ? Ces questions, et sans doute bien d’autres, sont réelles. Les ignorer ou s’y confronter ? Notre choix est fait… Une première esquisse avec une courte présentation du projet Railcoop, puis l’interview d’Alexandra Debaisieux, membre de l’équipe opérationnelle de Railcoop.

RAILCOOP SE PRÉSENTE 2

La complémentarité avec le service public
Notre objectif est de renforcer l’usage du train dans sa globalité. Nous ne nous inscrivons donc pas en concurrence avec les services organisés par les autorités organisatrices de transport, mais nous fournissons des services complémentaires qui ne sont pas, ne sont plus ou ne sont que partiellement fournis dans le cadre du service public.

L’égalité des territoires face à la mobilité
Le développement d’une offre ferroviaire nouvelle doit permettre de renforcer le maillage des territoires, c’est-à-dire les connexions directes entre territoires, et non une centralisation de l’offre autour de métropoles, afin de contribuer au désenclavement des territoires.

La garantie de conditions de travail dignes
La recherche de nouveaux modèles économiques pour la desserte ferroviaire de territoires ne doit pas se faire au détriment des conditions de travail des salariés. Grâce à son statut coopératif, les salariés de Railcoop sont directement impliqués, au côté des usagers, dans la définition de nouveaux services qui respecte les besoins de chacun.

La préservation de l’environnement
Complémentaire des mobilités douces et consommant jusqu’à 12 fois moins d’énergie à masse égale que le transport routier, le transport ferroviaire est un maillon essentiel de la transition écologique en cours. Mais des progrès peuvent encore être accomplis, Railcoop s’engage donc à innover pour réduire encore plus l’empreinte écologique du transport ferroviaire.

Une gouvernance démocratique et transparente
Une personne = une voix. Quel que soit le niveau d’engagement dans le projet, l’opinion de chacun des membres est respectée. Concrètement, toutes les décisions des organes de direction de Railcoop sont publiques et chaque membre de Railcoop peut consulter à tout moment les comptes.

INTERVIEW D’ALEXANDRA DEBAISIEUX

– D’où vient le projet ?
Le projet est né début 2019 dans la tête de plusieurs personnes d’horizons différents : des cheminot·es ou anciens cheminot·es, des acteurs et actrices de l’économie sociale et solidaire, des acteurs et actrices de la transition écologique et du développement local. S’inspirant de ce qui s’est passé lors de l’ouverture à la concurrence dans le secteur de l’énergie et convaincu·es que le rail est un maillon essentiel de la transition énergétique, les hommes et les femmes à l’origine du projet ont souhaité développer une offre alternative, coopérative, capable à la fois de challenger un modèle ayant largement montré ses limites (diminution de 37% de l’offre Intercités entre 2017 et 2018 pour ne citer qu’un exemple) et d’éviter l’amplification d’une désertification ferroviaire que l’ouverture à la concurrence peut engendrer (recentrage des offres sur la grande vitesse et le transport de masse), comme cela a pu être constaté dans certains pays européens. 

Le postulat de départ est donc double : 1) Le train est une solution d’avenir, notamment pour lutter contre le changement climatique et l’hyper métropolisation, mais encore faut-il associer pleinement et à un même niveau d’engagement ceux et celles qui ont intérêt à son développement (cheminot·es, collectivités locales, citoyen·nes, entreprises, associations…) pour concevoir des offres nouvelles, pertinentes pour les territoires ; 2)  Le train produit de la richesse là où il passe et il faut que cette richesse soit partagée entre tous et toutes.

C’est donc sur ces bases qu’est née officiellement la SCIC Railcoop le 30 novembre 2019. 

– Quels sont les objectifs de Railcoop : à court terme et à plus terme ?
Railcoop a pour objectif de remettre des trains partout où cela est possible (trains de fret, trains de voyageurs de jour et de nuit, liaisons grandes lignes province-province, dessertes locales). 
A court terme, l’objectif de Railcoop est de faire croitre la communauté de sociétaires. Aujourd’hui (29 juillet 2020), Railcoop compte plus de 1500 sociétaires, essentiellement réparti·es dans le collège des bénéficiaires « personnes physiques ». L’enjeu est de diversifier le sociétariat, notamment en embarquant plus de collectivités et de personnes morales (entreprises, associations, organisations syndicales, etc.). Cette croissance du sociétariat doit permettre à Railcoop d’atteindre le seuil de capital social nécessaire à l’obtention de sa licence d’opérateur ferroviaire voyageurs (aujourd’hui le capital social de Railcoop permet déjà l’obtention d’une licence fret), mais aussi de mettre en place véritablement l’intelligence collective nécessaire à la pérennité du modèle.
Dès 2021, Railcoop opérera ses premiers services fret et les premières lignes voyageurs devraient démarrer mi-2022 (notamment la ligne Bordeaux-Lyon).

– Pourquoi une coopérative ? Pourquoi une SCIC ?
Comme évoqué plus haut, pour permettre le développement du ferroviaire, il nous semble essentiel de pouvoir associer à un même niveau d’engagement tous les acteurs et actrices qui ont un intérêt à ce développement. Les SCIC (société coopérative d’intérêt collectif) fonctionnent sur la base du multi sociétariat et sur le principe 1 sociétaire = 1 voix, peu importe son apport en capital. 
Railcoop est structuré autour de 5 collèges de sociétaires, chaque collège ayant 20% des voix en AG :
* le collège des salarié·es : tout salarié qui le souhaite, après une période donnée dans l’entreprise, peut devenir sociétaire de Railcoop ;
* le collège des bénéficiaires personnes physiques : toute personne mineure ou majeure peut être sociétaire de Railcoop ;
* l collège des collectivités locales : toute collectivité locale peut devenir sociétaire de Railcoop, la mobilité ferroviaire venant renforcer la plupart des compétences des collectivités, notamment des collectivités infrarégionales (développement économique, insertion, aménagement du territoire…). Les collectivités locales ne peuvent toutefois pas détenir plus de 50% du capital social. Pour 1 euro public investi, il faut donc 1 euro provenant des autres composantes de la coopérative. Cela permet donc de faire effet levier sur l’investissement public;
* le collège des bénéficiaires personnes morales : toute entreprise ou association qui va bénéficier directement ou indirectement du service peut devenir sociétaire de Railcoop. Il peut s’agir par exemple des entreprises ayant des besoins logistiques (chargeurs), des entreprises des territoires traversées ayant un enjeu d’accessibilité pour leurs salarié·es, client·es et fournisseurs, des organisations syndicales interprofessionnelles parce qu’elles sont concernées par les sujets transport, aménagement du territoire, écologie, etc.
* le collège des partenaires techniques et financiers : ce collège associe celles et ceux qui peuvent apporter une expertise particulière à la coopérative dans le cadre d’un développement convergent de services (par exemple, l’Association française des voies vertes et des vélos routes  (AF3V) qui vient apporter son expertise sur l’articulation train/mobilité douce pour un développement de services au bénéfice des adhérents de l’AF3V et des usagers de Railcoop), des organisations syndicales du secteur ferroviaire, ou des organismes qui apportent des financements importants (institutions financières, fonds à impact…).

Le modèle SCIC (société coopérative d’intérêt collectif) offre également un autre avantage : il permet de garder en réserve impartageable 57,5% des bénéfices. Cette réserve sert à financer l’objet social de l’entreprise, c’est-à-dire qu’elle doit permettre de financer le développement de nouvelles lignes, de nouveaux services ferroviaires. La richesse produite ne sert donc pas majoritairement à rémunérer des actionnaires, mais bien à venir produire de nouvelles richesses (pas forcément monétisables) dans les territoires au bénéfice de tous. 

Comment Railcoop se situe par rapport au service public ferroviaire, aujourd’hui incarné (en France) par la SNCF ? En quoi Railcoop est différent des autres entreprises ferroviaires qui visent à « prendre des parts de marché » à la SNCF ?
Railcoop vise à renforcer la part modale du ferroviaire. Son objectif n’est donc pas en effet de prendre des parts de marché à l’opérateur historique. C’est notamment la raison pour laquelle Railcoop ne se positionnera pas sur les délégations de service public. L’objectif de Railcoop est d’imaginer de nouvelles offres, en complémentarité avec les services existants. Le ferroviaire est un marché de l’offre et non de la demande. Plus les offres ferroviaires sont nombreuses, plus les gens prennent le train. Railcoop souhaite donc contribuer au renforcement de cette offre globale. Et d’ailleurs, si la SNCF ou d’autres opérateurs ferroviaires veulent demain devenir sociétaires de Railcoop, ils sont les bienvenues ! La gouvernance de l’entreprise permet en effet un engagement équivalent de chacun et chacune, sans possibilité de prise de pouvoir par un ou plusieurs sociétaires (cf. plus haut). 

Le chemin de fer est d’une part un système intégré (infrastructure et exploitation sont liées) et d’autre part fonctionne en réseau : comment une société n’intervenant que sur une portion du réseau et uniquement comme entreprise exploitant le réseau peut concilier cela ?
Cela rejoint la question précédente. L’enjeu de Railcoop est de développer des offres complémentaires de l’existant. La logique de Railcoop n’étant pas une logique capitalistique classique, des partenariats avec d’autres opérateurs sont envisageables, voire souhaités. Quant à la question de l’infrastructure, le fait d’associer dans la gouvernance de Railcoop des collectivités locales intervenant par ailleurs sur le financement de l’amélioration de l’infrastructure peut permettre de penser l’articulation service/réseau de manière plus optimale. Par ailleurs, à ce stade, Railcoop a d’excellentes relations avec SNCF Réseau.

– La question des conditions de travail (au sens large) des cheminotes et cheminots est un sujet important. Comment se situe Railcoop?
Tout d’abord, il est important de souligner que la gouvernance la coopérative est régie par un principe d’horizontalité, chaque collège de sociétaires ayant un poids équivalent dans les décisions prises. Les salarié·es (cheminotes et cheminots) ont 20% des voix en AG, au même titre que les autres collèges de sociétaires. Ils ont également la possibilité de siéger au Conseil d’administration de Railcoop.
Ce principe étant posé, Railcoop s’est mis en conformité dans ses statuts avec l’agrément ESUS (Entreprise solidaire d’utilité sociale) et à ce titre, Railcoop s’engage à mener une politique de rémunération qui satisfait aux deux conditions suivantes, définies dans l’article L.3332-17-1 du Code du travail :
* la moyenne des sommes versées, y compris les primes, aux cinq salariés ou dirigeants les mieux rémunérés ne doit pas excéder, au titre de l’année pour un emploi à temps complet, un plafond fixé à sept fois la rémunération annuelle perçue par un salarié à temps complet sur la base de la durée légale du travail et du salaire minimum de croissance, ou du salaire minimum de branche si ce dernier est supérieur ;
* les sommes versées, y compris les primes, au salarié ou dirigeant le mieux rémunéré ne doivent pas excéder, au titre de l’année pour un emploi à temps complet, un plafond fixé à dix fois la rémunération annuelle citée ci-dessus.

Les règles de fonctionnement de la coopérative permettent par ailleurs à 5 sociétaires au moins de proposer des cercles de travail pour venir nourrir le projet collectif et le travail de l’équipe opérationnelle. Il est tout à fait envisageable qu’un cercle de travail se constitue pour travailler plus spécifiquement sur la question des conditions de travail au sens large. Dans ses statuts, Railcoop affirme son intention d’innover non seulement techniquement, mais également socialement. C’est aux sociétaires de Railcoop de construire un cadre social favorable aux salarié·es, mais également aux usagers (avec des tarifs sociaux notamment, une accessibilité universelle…).

– Quelles relations y-a-t-il entre Railcoop et les organisations syndicales du secteur ferroviaire ? Et avec l’organisation patronale du secteur (UTP) ?
Plusieurs sociétaires de Railcoop sont également engagés dans des organisations syndicales du secteur ferroviaire. Certaines d’entre elles ont communiqué à propos de notre projet ; de premiers échanges ont eu lieu avec des représentants de la fédération SUD-Rail, celle-ci étant d’ailleurs membre du réseau FERINTER comme Railcoop.
Nous avons eu l’occasion d’échanger avec l’UTP. Aujourd’hui certaines prises de position de l’UTP nous semblent aller à l’encontre des valeurs de Railcoop (sur les enjeux d’accessibilité universelle notamment).
Nous sommes bien évidemment ouverts à poursuivre les échanges avec chacun.

– Quelles relations a (ou souhaite avoir) Railcoop avec d’autres coopératives ?
Railcoop est membre du Collectif pour une transition citoyenne (CTC) qui fédère plusieurs coopératives, notamment Enercoop, Biocoop, Mobicoop, la Nef, Telecoop, etc. Certaines d’entre elles (dont Railcoop) se sont réunies au sein du groupe dit « des Licoornes » pour partager expériences et moyens et co-construire des projets ensemble. Par ailleurs, beaucoup de sociétaires de Railcoop sont également sociétaires d’autres coopératives.

Notes:

  1. A ce sujet, voir « Sur la voie (ferrée) de l’autogestion », Francis Dianoux et Christian Mahieux, Les Utopiques n°10, printemps 2019, Éditions Syllepse (www.lesutopiques.org/sur-la-voie-ferree-de-lautogestion/). Texte repris dans le volume 7 de l’Encyclopédie internationale de l’autogestion (www.syllepse.net/autogestion-l-encyclopedie-internationale-_r_76_i_648.html).
  2. Nous reprenons ici les arguments mis en avant sur le site de la coopérative : « 5 bonnes raisons de rejoindre Railcoop ».