Les premières rencontres européennes « L’économie de travailleurs » se sont déroulées les 31 janvier et 1er février chez les Fralib à Gémenos (13). 200 personnes ont ainsi pu débattre, confronter les expériences et surtout de tenter de répondre à la question de savoir si les initiatives de reprise d’entreprises par les salariés sont une réponse à la crise et préfigurent l’organisation d’une nouvelle société. Une réussite indéniable qui appelle de nouveaux développements.
Les reprises d’entreprises par les salariés se multiplient aujourd’hui en Europe. En France, de nombreuses reprises se sont concrétisées ces deux dernières années : SeaFrance, Helio-Corbeil, Arfeo, Fontanilles, SET et tout récemment Pilpa. En Italie, deux sites industriels fermés par leurs propriétaires sont occupés par leurs travailleurs qui inventent une nouvelle façon de produire (Rimaflow et Officine Zero). En Grèce, les anciens salariés de l’entreprise Vio.Me. occupent leur site et ont lancé, sous une forme autogérée, une nouvelle production de produits ménagers biologiques. Il semblerait que l’Europe, en crise économique depuis plus de cinq années, suive la voie des expériences latino-américaines de récupérations d’entreprises par les travailleurs qui se pratiquent là-bas depuis plus de vingt ans.
C’est dans ce contexte, et à l’initiative du Programme « Faculté ouverte » de l’Université de Buenos Aires, de l’Aire d’Etudes du travail de l’Université autonome de Mexico-Xochimilco, de l’Association Solidarité Provence Amérique du Sud, de l’Association Autogestion, de l’Institut de Sciences Economiques et de l’Autogestion (Etat espagnol), du site Workerscontrol.net et des travailleurs de Fralib, que les premières rencontres européennes « L’économie des travailleurs » se sont déroulées les 31 janvier et 1er février dans le prolongement des quatre éditions internationales organisées en Amérique latine. Préparées en un délai record – moins de deux mois –, la participation de 200 personnes à ces rencontres dans l’usine occupée par les Fralib, est indéniablement un succès. Outre la participation des Fralib et des travailleurs de diverses entreprises, des syndicalistes, de nombreux collectifs, des étudiants et universitaires ou simplement des militants ont pu échanger et converser. Grâce à la présence active du réseau de traducteurs-militants Babels, les échanges ont pu se mener, de façon quasi-simultanée, en français, espagnol, anglais et italien.
Est-ce que ces reprises d’entreprises constituent une réponse crédible et viable à la progression du chômage et de la pauvreté en Europe tout en offrant une alternative à l’exploitation et à l’aliénation qui constituent le fondement du système capitaliste ? Voilà la question à laquelle les participants ont tenté de répondre sur ces deux jours. Comme l’indiquait Andrés Ruggeri, chercheur militant de l’Université de Buenos Aires, l’aspiration à la démocratisation de la production et à la redistribution de la richesse est « dans l’ADN des travailleurs ». Cependant, il apparaît que les expériences de mise en autogestion des entreprises ne suivent jamais un même modèle. Dans certains cas, privilégiés par les organisations du mouvement coopératif, les salariés ont potentiellement toutes les cartes en main pour reprendre la production sous leur contrôle : les clients ainsi que les financements. Cela a été le cas de Ceralep, de SeaFrance et c’est sans doute celui que recherchent, a minima, les Fralib pour pouvoir repartir. Dans d’autres, le contexte est plus délicat. Entreprises abandonnées par les anciens actionnaires, productions qui ne répondent plus à aucune demande solvable. Tout est alors à repenser. Situations économiquement difficiles mais ô combien riches en changement social et écologique. L’occasion de questionner le sens des productions antérieures, de promouvoir des productions socialement et écologiquement utiles. C’est le cas de Vio.Me., de Rimaflow, d’Officine Zero et de La Fabrique du Sud – ex-Pilpa. Cette dimension n’est d’ailleurs pas anecdotique dans le projet de reprise des Fralib. A l’avenir, un des enjeux de ces rencontres sera de combiner ces deux aspects et cela suppose de nouvelles propositions à émettre et/ou à reprendre par les acteurs de ces luttes ainsi que les mouvements syndicaux et politiques.
Dans l’immédiat, ces rencontres ont permis des échanges entre entreprises récupérées, l’occasion d’entrevoir des actions communes. Pourquoi ne pas généraliser la campagne de boycott des produits d’Unilever à l’ensemble de l’Europe, ce que les travailleurs de Vio.Me. en Grèce ont commencé spontanément ? Il est vrai qu’Unilever multiplie les licenciements comme par exemple aux soupes Knorr en Alsace. Inversement, Vio.Me. avait initié une campagne nationale et internationale pour obtenir sa régularisation, régularisation qui lui permettrait de commercialiser ses produits dans des réseaux traditionnels. Un appui international du réseau eut été un plus dans cette campagne. Autre idée : celle d’échanger les productions entre entreprises. On pourrait imaginer que les productions des Fralib, de la Fabrique du Sud, de Vio.Me. ou encore des deux entreprises italiennes soient échangées. Une approche indiscutablement intéressante en tant qu’acte militant mais discutable d’un point de vue environnemental où le développement d’une économie de proximité doit être privilégié. Une première discussion a eu lieu sur l’idée d’un fonds de solidarité, d’outils de mise en réseau, de prise de décisions collectives ainsi que de promotion d’initiatives autogérées et d’élaboration théorique. A cet égard, le site multilingue workerscontrol.net sera certainement
un atout non négligeable de ces prochains développements.
Les participants ont décidé du principe de dresser une cartographie des entreprises récupérées en Europe en s’appuyant sur les outils et méthodologies utilisés par les universitaires argentins et brésiliens. La construction d’un réseau européen a également été envisagée afin de permettre les échanges entre les travailleurs des entreprises récupérées.
Malgré le faible nombre d’entreprises représentées, cette rencontre est indiscutablement une réussite et marque l’émergence d’une nouvelle mouvance politique large, dépassant les frontières idéologiques ou partidaires, pour laquelle, la prise de contrôle des travailleurs sur la production est centrale dans un projet d’émancipation humaine.
La prochaine rencontre internationale se déroulera en juillet 2015 au Venezuela. D’ici là, comme décidé au Brésil l’été dernier, une deuxième rencontre régionale (Amérique latine) aura lieu en novembre 2014 en Argentine. Après ce succès, ces premières rencontres européennes ne devraient pas rester sans lendemain.