Avec quelques années d’écart avec l’Amérique latine, l’Europe prend le train des reprises d’entreprises par les salariés. Ce week-end, 200 personnes venant de douze pays différents se sont rassemblées chez les Fralib pour les premières rencontres européennes « L’économie des travailleurs ». Co-organisées par l’AA et d’autres partenaires, dont les salariés des Fralib, ces rencontres ont permis de rassembler quelques initiatives de reprises d’entreprises, des étudiants et des chercheurs, des syndicalistes et sympathisants de telles initiatives. Comme son nom le laisse supposer, il s’agit de savoir si ces quelques expériences sont capables d’offrir une alternative au système capitaliste, et immédiatement, une réponse au chômage et à la pauvreté.


Préparées en deux mois de temps, ces rencontres ont été un véritable succès, montrant l’intérêt politique d’une telle démarche. Dans la majeure partie des cas, les quelques entreprises présentes se battent dans un contexte économique difficile. Dans certains cas, l’entreprise a été abandonnée purement et simplement par les patrons, les salariés n’ayant au mieux que des indemnités légales de licenciement, plus ou moins conséquentes selon les pays. Dans bien des cas, ceux-ci doivent inventer de nouvelles productions, trouver de nouveaux débouchés. Ces démarches sont riches de sens. Dans tous les cas, cela revient à s’interroger sur le sens des productions que l’on réalisait précédemment, qui étaient guidées par l’obtention du profit maximum. Désormais, on souhaite travailler pour une véritable utilité sociale, laquelle intègre toujours la prise en compte de l’écologie. Mais, qu’on ne s’y trompe pas, la récupération d’une entreprise par ses salariés est tout sauf une promenade de santé, et les revenus que l’on percevait auparavant ne sont pas toujours au rendez-vous.

Et pourtant, tous les chiffres nous le prouvent : les salariés sont les mieux à même pour gérer leur entreprise. En France, la Confédération générale des SCOP indique que le taux de survie à 5 ans d’une SCOP est de 66 % alors qu’il n’est que de la moitié pour les entreprises traditionnelles. De même, 22,6 % des SCOP ont plus de 20 ans alors que seules 18,2 % des sociétés peuvent afficher une telle longévité. Pourtant, en dépit d’une progression supérieure au reste l’économie, les SCOP restent une exception dans le paysage économique français : 2 165 sociétés coopératives pour 43 860 salariés. Pour se développer, les instances du mouvement SCOP choisissent une approche entrepreneuriale classique : une SCOP ne sera financée et soutenue que si elle a identifié un marché et son équipe opérationnelle. Démarche qui peut se comprendre en dehors du champ politique et qui se développe à plein dans la création d’entreprises, dans la transformation d’associations ou dans la transmission d’entreprises. L’exercice est bien sûr plus difficile dans le cas d’entreprises en difficulté.

Une autre question interroge l’autogestion dans les entreprises : celle de la taille. La plupart des SCOP sont des petites entreprises : la taille moyenne est de 21 salariés. Cette petite taille est indiscutablement un atout pour qu’une démocratie véritable puisse se développer mais aussi un inconvénient tant de nombreux secteurs de l’économie ont besoin d’entités plus grosses. Sans doute est-ce la raison pour laquelle la reprise en autogestion est rarement mise en avant dans le cas de grandes structures. Faute d’alternative des salariés, les grands groupes peuvent ainsi imposer impunément à leurs salariés des baisses de salaires comme cela a été le cas à Renault ou Enel en Espagne et plus récemment Electrolux en Italie. Jusqu’à présent, bien que les récentes évolutions du groupe aient été pour le moins discutables, Mondragón paraissait une alternative possible : des coopératives qui se fédèrent pour former un groupe, organisation pyramidale exactement inverse de celle d’un groupe capitaliste où une holding détient des filiales. La coopérative Fagor Electrodomésticos est aujourd’hui en faillite, la chaîne de supermarchés Eroski en difficulté et le groupe se trouve confronté à deux alternatives : une intégration plus poussée des coopératives signifiant plus de solidarité mais moins de démocratie ou, au contraire, un relâchement des liens du groupe permettant aux coopératives les plus dynamiques de se développer avec moins de contraintes, discours à connotation fortement libérale.

La réponse à cette question est politique. Comme nous l’avons dit précédemment, la taille du groupe Mondragón n’a pas permis de faire face à la double rétractation du marché espagnol et de celui de l’électroménager. C’est donc bien à une échelle plus grande que ces questions se posent. Nul doute que le développement de nouveaux mécanismes de garantie de revenus pour toutes les unités productives permettra d’envisager plus sereinement les reprises en autogestion d’entreprises, les reconversions d’activités productives. C’est en renouant avec la perspective d’une appropriation sociale des entreprises que le syndicalisme pourra quitter le terrain défensif pour aller vers de nouvelles conquêtes sociales. C’est dans une alliance entre le syndicalisme et ces expériences autogérées que celles-ci se généraliseront et feront système. Tel est le défi posé aux futures rencontres « L’économie des travailleurs ».

La lettre du mois de février