Née à Thessalonique, l’Initiative 136 s’oppose à la privatisation de la société de traitement des eaux de l’agglomération et propose sa gestion par des coopératives locales. Des syndicalistes, des citoyens et associations de Thessalonique ont formé l’Initiative 136 dont l’objectif est de mobiliser les habitants pour racheter la compagnie afin qu’elle développe une véritable politique de service public.
Nous publions ici la traduction d’un article de Daniel Moss, coordinateur de l’ONG Our Water Commons (Notre eau, bien commun) publié le 8 janvier 2013, suivie d’une interview en anglais de Katerina Tzanetea, membre d’Initiative 136, par la radio « Good Afternoon Athens ».
Les grecs se lèvent pour protéger leur eau de la privatisation
Alors que les investisseurs internationaux lorgnent leur service public, les travailleurs de l’eau luttent pour créer des coopératives.
Ce n’est pas à la Grèce qu’on apprendra ce qu’est la démocratie. Dans ce pays de plus en plus aride, une gestion efficace de l’eau est essentielle à son avenir. La récente crise financière grecque a, non seulement, bousculé la démocratie grecque mais aussi son système de gestion de l’eau.
« Vous pouvez dire qu’une société est démocratique si l’eau est disponible pour tous, si elle est propre et contrôlée par le public. » Voilà comment Kostas Marioglou voit les choses. Magasinier au sein d’EYATH (Service public d’Etat de l’eau de Thessalonique), quand il ne distribue pas de compteurs d’eau ou des canalisations, il est responsable syndical et organisateur de l’Initiative 136, un rassemblement de citoyens désireux de racheter le service public de l’eau au gouvernement grec.
La Grèce est fortement incitée à privatiser son réseau d’eau. Alors que le pays croule sous les dettes, la Commission européenne, le Fonds monétaire international et la Banque centrale européenne (que l’on désigne fréquemment sous le nom de « troïka ») travaillent avec les partis de gouvernement pour équilibrer le budget en privatisant le service public de l’eau. La Grèce n’est pas le premier pays à privatiser son eau à la faveur d’une crise budgétaire. Conditionner l’octroi de prêts à la privatisation partielle ou totale de l’eau est une pratique courante – et largement critiquée – des créanciers internationaux.
« Alors que le peuple avait clairement exprimé, lors des élections des 6 mai et 17 juin, sa volonté de renégocier la dette et les mesures imposées par la troïka » nous explique Théodoros Karyotis, membre de l’Initiative 136, « le nouveau gouvernement continue d’appliquer le programme de la Troïka. »
En juin 2010, le Ministère des finances a annoncé que le gouvernement allait réduire la participation du Fonds de développement des actifs de la république grecque dans EYATH et dans le service public d’eau d’Athènes (EYDAP) de 74% à 51%. Depuis, le ministère a réévalué son objectif en planifiant de vendre la totalité de ses participations dans les deux sociétés. A ce jour, 21% des actions EYATH flottent à la Bourse d’Athènes.
La société française Suez possède 5% d’EYATH et pourrait augmenter sa participation si la privatisation se réalise. George Archontopoulos, président du syndicat des travailleurs d’EYATH, indique que lors d’une visite d’EYATH effectuée en 2006, les dirigeants de l’entreprise se demandaient pourquoi l’eau était aussi bon marché à Thessalonique. George Archontopoulos espère que cette crise financière montrera clairement que l’eau ne peut en aucun cas être considérée comme une source de profit. « Tous les jours, des gens viennent dans les bureaux et essayent de négocier les paiements tellement l’eau est devenue chère pour eux. »
George Archontopoulos et Kostas Marioglou jugent infondées les justifications du gouvernement expliquant que la dette sera réduite par des privatisations. Un article intitulé Racheter le Public pour 136 euros, rappelle qu’« EYATH réalisait des profits annuels de 75 millions d’euros et qu’en dépit de la crise, ses profits ont atteint 12,4 millions et 20,18 millions d’euros en 2010 et 2011. » Ses profits ont cependant diminué sur les derniers neuf mois.
Alors que les partisans de la privatisation expliquent que la vente d’EYATH va permettre à la Grèce de payer ses dettes, Theodoros Karyotis, membre de l’Initiative 136 réagit : « C’est une explication ahurissante. La valeur de l’entreprise est estimée à 50 millions d’euros alors que la dette du pays dépasse les 400 milliards. »
Mais si l’Etat ne veut plus d’EYATH, les citoyens de Thessalonique veulent le conserver. Pour s’opposer à ce que l’Etat grec vende des actions à des investisseurs privés, les organisateurs d’Initiative 136 frappent aux portes des voisins pour intéresser les ménages de Thessalonique à acheter une action de 136 euros, montant qui a donné son nom à cette initiative. Cela ne pourrait pas paraître cher pour un pays riche comme la Grèce, « mais avec 35% de chômage, explique Kostas Marioglou, je ne suis pas sûr que cela marche ».
Les militants grecs ont été encouragés par un mouvement de solidarité lors de l’Assemblée européenne de l’eau à Florence en octobre : leurs amis européens se sont proposés de lever des fonds supplémentaires pour racheter l’entreprise.
L’initiative cherche à créer un réseau de 16 coopératives à Thessalonique pour gérer une entreprise réellement publique. Parce qu’il était impensable de confier la supervision de la gestion de l’eau pour l’ensemble de la ville à un organisme unique et centralisé, Initiative 136 propose que les coopératives de quartier décident des tarifs et des investissements à réaliser. Les coopératives joueront un rôle de co-gestion avec le service public et serviront d’organisme de contrôle, garants du bien commun. Le syndicat fait son possible pour arrêter la privatisation mais si celle-ci a lieu, alors les coopératives feront de leur mieux pour demander des comptes à l’entreprise.
Dans son anglais hésitant, Kostas Marioglou prend soin de distinguer « public » et « étatisé ». Initiative 136 ne cherche pas à préserver le statu quo. En fait, Kostas refuse le qualificatif de service public à EYATH. « Avec Initiative 136, nous voulons créer un service public » explique-t-il. « Actuellement, c’est une entreprise d’Etat où le management n’a aucune expérience de l’eau, n’est nommé que sur des bases politiques, dirige tant bien que mal l’entreprise avant d’aller occuper une autre place ailleurs. »
Bien que le Parti communiste de Grèce soit opposé à la privatisation d’EYATH, il est en désaccord avec l’idée de coopératives de quartiers. Il demande le maintien de la propriété étatique. Les autres partis de gauche expliquent que la population n’a pas à racheter l’entreprise à l’Etat, puisqu’elle leur appartient déjà.
Mais Kostas Marioglou et les membres de l’Initiative 136 soulignent le fait que le statu quo étatique ne fonctionne plus. Des contrats de complaisance avec des entreprises politiquement proches sont monnaie courante. « Pour réparer une fuite sur une canalisation, ils creusent un énorme trou pour surfacturer. Il aurait dû être de deux mètres, ils en font un de quatre. » Le fait que la compagnie d’Etat se soit débarrassée de la moitié de ses salariés ces dernières années, salariés qui auraient pu réparer les canalisations, reste en travers de la gorge de Kostas,
Exaspéré, Kostas demande : « Pourquoi une entreprise d’Etat devrait-elle faire du profit ? C’est de l’argent public. Ils devraient le rendre à la population, installer des fontaines d’eau potable ou des toilettes publiques. Pourquoi être obligés de demander à un commerçant de pouvoir utiliser ses toilettes ? Nous devrions décider des investissements publics. »
Kostas Marioglou affirme que les coopératives seront plus efficaces dans la protection des eaux de source. Thessalonique tire son eau potable des sources et de la rivère Aliakmon. L’eau de source est « absolument excellente » précise Kostas et préférable pour les consommateurs. Elle est aussi moins chère et plus facile à distribuer. Au tournant des années 1990, les sources ont été surexploitées et l’équilibre écologique est menacé. Les fermiers ont protesté et incendié un établissement de l’EYATH, demandant que la compagnie ne prenne que ce qui coulait naturellement.
En ce qui concerne les eaux usées, la Commission européenne a placé le golfe de Thessalonique sur sa liste noire. De grands rejets d’azote menacent la côte d’eutrophisation. Kostas est inquiet de l’évolution du traitement des déchets et de la gestion des eaux de source avec une société privée orientée par des profits à court terme. Il a peur que les pratiques futures soient pires que celles de l’actuelle direction étatique.
Un récent sondage d’un média grand public a montré un large soutien à l’Initiative 136. Elle ne s’est jamais résumée à une campagne destinée à protéger des emplois de fonctionnaires. Il y a eu une grève de la faim, un référendum contre la privatisation et de grandes manifestations. « C’est un détail important, précise George Archontopoulos, les citoyens sont solidaires de nos actions. Nous ne nous battons pas pour nos emplois mais pour notre eau, pour les gens qui ne peuvent désormais plus payer leur facture d’eau. »
L’Initiative 136 a aussi trouvé des soutiens auprès des maires et des conseils municipaux de l’agglomération de Thessalonique. Pour les gens, elle élargit le champs des possibles en s’opposant à la peur, au cynisme et à l’insécurité causés par le système politique grec et la crise de la dette.
Pour l’instant, Kostas Marioglou et George Archontopoulos ne subissent pas de répression politique pour leurs activités. « Ils pensent que c’est une idée romantique qui ne se réalisera jamais, nous dit Kostas, ils ne se sentent pas menacés. » Certes, pas encore. Mais l’Initiative 136 ne fait que commencer.
Daniel Moss
Texte original : http://onthecommons.org/magazine/greeks-stand-protect-their-water-privatization
Interview de Katerina Tzanetea, membre d’Initiative 136, par la radio anglophone « Good Afternoon Athens »